Des visions aux tourments

Ses rêves, chaque nuit jusqu’au matin, ses rêves, des plumes ou des poignards, des images de silhouettes, des événements brouillés par les pensées, les inquiétudes et les désirs, ses rêves, comme un oreiller déplumé. Elle se lève le matin, l’air sage et confiant mais la psyché toujours alertée. Elle remplit des carnets, sa plume gratte, éperdument, le papier, elle a posé son noir sur des centaines de cahiers alignés, des bouts des phrases, des mots, parfois une esquisse. Curieuse cette aurore-là, elle cherche les prémices, la présence de cet être qu’elle ne connaît pas, objet de son imagination certainement, mais Alarius dans son talent de cibler les choses l’a presque convaincu qu’un don de voyance se mouvait dans sa chair. La figure se répète, la même scène, celle d’une ombre, une boule énorme, une déflagration, une explosion, au milieu un homme la baguette levée vers le danger et puis… Elle enfile une robe de lys, l’or des tiges tournoyant sur son corsage, ne prend la peine de natter ses cheveux tandis qu’elle enfile un voile de lin afin de toujours passer inaperçue dans ce monde qui l’agresse.
Le bruit et les passants. Le soleil d’été baigné de nuages, l’odeur d’une pluie en naissance. Elle se fige, profite des rayons doucereux. Elle s’est dirigée, guidée par son instinct, cette image la hante, elle préfère s’en débarrasser, ou être sûr, n’est-ce pas, Amarante, dans ton sillage de doute tu traînes des questionnements, peut-être… Peut-être est-il réel ? Elle n’hésite pas, tout droit marche vers l’être à la cape d’ébène, d’un ton grave elle lui adresse ces mots.  « Vous ne cessez de me perturber et perturber mon sommeil. » Elle ose, comme un coup de poker. Ce n’est certainement pas lui la figure de son imaginaire et pourtant, l’homme se tourne et dévoile le faciès connu et contemplé par les crayons et les stylos. Ses traits se tendent, Amarante hésite, choquée.  « Je ne savais pas que vous existiez. En réalité, je vous considérais comme une fantasmagorie que mon esprit se plaisait à créer. » Cette situation lui semble étrange, sorcière côtoyant les dérives d’une force magique et transcendance, cette fois, elle a les pensées tourbillonnantes et la culpabilité dans le sang.

Les cumulus dégorgent, et une pluie diluvienne s’abat sur la capitale sorcière. Temps maussade dont Dumbledore se soucie peu. L’esprit encore embrumé par la veille, les cils noirs papillonnent. Les mouvements maladroits, le gallois s’extirpe de la couche du ministre retrouvé. Le crâne endolori se remémore les ébats passionnés, partagés à la sortie du Fol’Opium. La nuit le dévore de ses songes, et une tragédie de sensualité et d’affection se referme progressivement sur lui. Le myocarde serré, il hésite, se masse les tempes. Les possibles se multiplient et il décide de quitter son appartement. Prendre l’air, évaluer ses décisions une dernière fois, avant de plonger dans les projets, érigés aux cotés de Minerva et Nicolas. Il serpente sur le Chemin de Traverse, sa baguette et un sortilège pour protéger ses boucles brunes du déluge. Se dirigeant vers un salon de thé, il s'arrête à un kiosque à journaux. Des galions passent d’une main à l’autre et il agrippe la Gazette de sa pogne, lorsque, soudain, un sursaut : Vous ne cessez de me perturber et perturber mon sommeil. L’ambre se cogne contre l’ocre, et les visages de la sorcière et du briseur de sorts se rencontrent. Pour la première fois, peut-être, du moins pour lui. Il observe la jeune femme de sa haute stature. Son air fermé laisse place à l'incompréhension. “Je ne vous connais pas. Qui êtes-vous ?” Vérité troublante. Choc mutuel qui le laisse interdit. L'a-t-elle vu dans un article, suite à un rapport du ministère ? Elle le nargue du regard. Je ne savais pas que vous existiez. En réalité, je vous considérais comme une fantasmagorie que mon esprit se plaisait à créer. “Un fantasme ? Il y a erreur sur la personne.” Les iris dorées s’agitent, tentant soudainement de lire en elle. Une voyante. Albus se perd dans sa quête encéphale, confus par la ribambelle de prophéties qui se dérobent sous sa rétine. La couvrant du journal fraichement acquis, il dit alors : “J’étais sur le point de prendre un thé. Venez avec moi.”

L’inconnu arbore sur ses traits un air préoccupé, elle ne l’a jamais vu mais elle le connaît, sensation étrange, lui qu’elle pensait inexistant, avoir devant son nez une réalité qui échappe ; Amarante aussi, sur ses traits le soucis de se sentir violée.  « C’est impoli de fouiller dans les pensées. » Le ton, froid, claquant, l’insupportable sentiment d’un enlèvement, elle se sent dépossédée. Il a cependant la grâce de l’abriter sous ce journal fraîchement acheté, l’encre ne tardera pas à s’effacer laissant ses empruntes mouillées sur le papier. Elle s’autorise à prendre son bras, transplane avec son invité jusqu’à ce petit salon de thé. Situé en face de sa maison Victorienne, les gens n’y affleurent pas, ce sont des chics parfois trop bourgeois, aristocrates moldus, parfois sorciers. Les murs se vêtent d’un rose éclatant mêlée de lueur d’argent, et les plafonds en stuc donnent l’illusion du luxe. Elle s’engage vers le coin le plus reculé, à l’ombre des regards, elle s’assoit sur la banquette, attend son hôte. Puis, lorsque tous deux installés et ayant commandé semblent prêts à une discussion plus profonde, elle pèche dans son sac agrandi une multitude de carnets.  « Dans combien de problèmes vous êtes vous immiscez ? Avez vous créé ? Pas besoin de récolter mes pseudos prophéties pour se rassurer. Tout est là, vos agissements, vos actions. » Elle scrute la surprise dans les pupilles dilatées.  « Comment vous appelez vous ? » Elle a toujours ce regard étrange, un regard taquin dilué dans la sévérité des affaires.  « Amarante Kirchner ». Elle tend la main comme signe de politesse.

Les silhouettes immobiles se détachent de la foule pressée. Une sensation inconfortable lui serre la gorge. Il ignore tout de la sorcière qui se présente à lui. Inquisitrice qui lui arrache les mots. Il s’introduit dans son crâne et la toise du regard, bouche-bée. La verve de la sylphide lui arrache un rictus nerveux. C’est impoli de fouiller dans les pensées, crache-t-elle avec une froideur à lui glacer le sang. L’oeillade échangée fend l’éther, cuisante. “Je comprends votre déception. Moi qui pensais avoir déjà perturbé votre sommeil. Vous n'êtes donc pas habituée à ma présence encéphale ?” Rétorque-t-il sur un ton cinglant. Poussant un soupir, il se redresse du haut de son mètre quatre-vingt-dix et l’abrite sous la revue. L’encre s’écoule lentement sur ses dextres. Dans quelle galère est-il encore enlisé ? En cette matinée d’été, il s’attendait à tout sauf aux sollicitations d’une Cassandre. Dumbledore lève les yeux au ciel et son esprit vagabonde un bref instant. Peut-être pourra-t-elle lui être utile, après tout ? Exaspéré mais tenté, il tend le bras à l’inconnue. Ils transplanent tous deux et s’enlisent dans un salon de thé. Rose acidulé qui contraste avec la noirceur du directeur. Il prend place à ses côtés et l’observe déballer plusieurs carnets de son sac ensorcelé. Dans combien de problèmes vous êtes vous immiscez ? Avez vous créé ? Pas besoin de récolter mes pseudos prophéties pour se rassurer. Tout est là, vos agissements, vos actions. Les syllabes s’enlisent en son esprit et le déstabilisent. Il saisit un calepin et ses orbes se dilatent. “Qu’est-ce que...” Tout est là. Son intimité étalée devant ses yeux ébahis. Pour la première fois, Albus Dumbledore est mis à nu face à une femme. Comment vous appelez vous ? Les prunelles dérivent en sa direction. “Albus.” Marmonne-t-il. “Albus Dumbledore.” Elle lui tend la main et il hésite un instant à la saisir. Amarante Kirchner. “Que me voulez-vous, miss Kirchner ?”

L’habitude de heurter pour mieux cerner, Amarante procédait à cette technique, quand ses interlocuteurs se dévoilaient mystérieux. Face à elle, les mèches brunes se perdent dans la surprise de centaines d’esquisses, fusain, encre et stylo, des traits rigides pour faire voir le visage morcelé de ce sorcier ; certaines nuits elle appréciait les recherches de ses mouvements, cherchant à rendre l’atmosphère ténébreuses l’environnant.  « En vous dessinant, j’ai remarqué que ce n’était pas vos agissements qui vous mettez en danger. Plutôt vos proches certainement, et votre manie de rentrer dans le tas… Si je ne me trompe pas... Je ne suis pas la science infuse. » Elle se pare de calme, curieuse, elle cherche dans les yeux inconnus la même sensation quand il la réveillait, lorsque les visions se mordaient, s’entortillaient, elle ouvrait ses ambres, épuisée.  « Je ne saurai vous dire ce qui vous attend précisément, d’ailleurs, il ne faudrait pas vraiment m’écouter, la voyance n’est pas un don dont on peut se vanter. » Elle souffle sur son thé et, dans son souffle la réflexion d’un avenir, elle aurait pu ignorer, elle aurait pu éluder, la magie liait des individus, fatum intransigeant.  « Je ne saurai dire pourquoi je me suis mise à votre recherche. Mais je crois à la magie et à ses appels, peut-être allez-vous me proposer quelque chose, me faire part d’une information importante, peut-être… Je me sens liée à vous, Albus Dumbledore, et cela me frustre, car je ne vous connais pas. Habituellement je ne fais confiance à personne. » Dit-elle en mangeant une pâtisserie posée devant sa tasse de thé.