ciel noir

Ciel noir mais océan d'or. Entre ses doigts, ou même dans le coeur, mais on ne le voit pas. Les mains tremblent légèrement, habitude qu'on ne lui enlèvera plus, non par peur mais bien plus par cette douce folie qu'elle tente de restreindre mais qui attaque le corps. Ça fait des semaines que ça dure, des semaines qu'elle n'y peut plus rien, qu'elle ne tente même plus, que la silhouette est prisonnière et que les pouvoirs sont devenus amers. Pourtant, elle ne lâche pas. Il y a toujours cet espoir qu'on vienne la sauver ; qu'Abel trouve un moyen de la délivrer, ou seulement de la soulager d'une pression qui ne semble jamais la quitter. C'est lui, l'espoir. Et c'est comme si hier encore, elle avait les yeux posés sur son visage.

Elle rêve de lui parfois, lorsque les nuits ne sont pas remplies de noir. Lydia ne rêve pas, peut-être que la sombre magie y est pour quelque chose, emprisonne les songes en plus de l'esprit. Mais depuis ce soir là (depuis que le drame a éclaté), les pouvoirs sont presque devenus un luxe, et la magie noire un lointain passé. Et alors, enfin, elle s'est remise à rêver. D'Abel, de Perséphone, aussi, parfois. Et de lui, de son père qui fait enfin surface dans la nuit. C'est qu'elle avait presque oublié le manque de l'être cher, toujours occupée sans réellement avoir le temps d'y penser, mais elle se rend enfin compte du poids qu'il a laissé dans son coeur. C'est trop lourd, c'est trop dur. C'est remplit de douleur.
Elle a enfin comprit qu'il ne sera plus jamais là. Pourtant, elle n'a pas pleuré, ou seulement le soir où les mots ont éclaté - Il est mort, qu'on lui a conté ; elle n'y a pas tout de suite cru, mais au fond elle savait. Il n'avait aucune chance de survivre dans l'arène. Et puis quand les larmes ont coulé, solitaires sur le sol gelé d'une chambre qui n'était pas la sienne, elle pensait déjà avoir fait son deuil (elle s'y était préparé). Mais Lydia, elle ne l'a jamais fait ;  et viendra le moment où la gamine explosera.

Mais pas aujourd'hui, elle n'en a pas le droit. Car elle est enfin de sortie ; confiance qu'on lui attribue, doucement (c'est qu'elle n'a pas vraiment le pouvoir de s'échapper), Lydia est en route chez cette femme qu'elle ne connait pas. Il n'y a que le nom qui lui est familier : Potter, lettres qui ne sont plus que synonymes d'horreur. Elle redoute l'instant où elle se retrouvera seule face à Scylla, mais avec un peu de chance, elle ne la fera même pas rentrer. Car elle n'est de voyage que pour des commodités, Lydia : ordre de lui donner un cadeau de la part d'Astoria (c'est que cette dernière est trop occupée avec les préparatifs du mariage), il n'était pas question de refuser : elle n'en a pas le droit. Alors, la main occupée par une parure d'or protégée par un fin écrin, elle finira par sonner.

Ce ne sera pas Scylla qui lui ouvrira, mais une esclave, tout comme elle, qui franchira la porte. Son regard en dit long, elle attend des explications sur la venue de la japonaise ; elle pensait pourtant qu'Astoria avait prévenu de sa venue. « Je viens de la part de Mademoiselle Astoria pour remettre un cadeau à sa tante. » Elle ne se fait toujours pas aux commodités, car on lui impose un respect qu'elle n'estimera jamais.  Mais encore une fois, elle courbe l'échine pour qu'on ne la mette plus au sol. Elle y a déjà bien trop été, pourtant c'est bien là qu'on lui ordonne de rester.

(Mi-Août 1914) Jour de fête.
Les hiboux de courtoisie de pressent à la fenêtre et Scylla les délaisse de leurs paquets avec un certain ennui, observant chaque volatile s'éloigner en rêvant de libertés. Pourtant, ce n'est pas comme si on l'attachait dans une tour d'ivoire. Longtemps, ç'a été le cas. Mais plus aujourd'hui. Plus aux côtés de Faust, plus avec ce nouveau nom de famille à l'influence implacable. Elle soupire. Une année de plus, de moins. L'impression que cela ne change pas grand chose. L'hypocrisie qui défile sous ses yeux, sous-entendue entre les lignes dictées par sang purs et moins purs envieux ou jaloux, l'accable chaque année d'un poids d'amertume singulier. Où est Faust ? Elle se pose à peine la question, lavant la déception d'un haussement d'épaule habituel.

Rickon et Icare lui arrachent un sourire par leur attention matinale, alors qu'elle reçoit les baisers sur sa tempe avec un certain apaisement. Mère fière, elle les regarde s'éloigner pour vaguer à leurs occupations en oubliant le temps présent, l’œillade sélective ne voyant plus que ces deux silhouettes devenues plus fortes, plus vaillantes. Un soupçon de chaleur lui illuminant le visage, elle replonge dans son café en faisant défiler ses pupilles sur les mots de son amie Naiara. Les attentions d'anniversaire la touchent, surtout venant d'une telle femme, modèle artistique et spirituel, l'élégance dont elle se targue n'a rien d'étranger à celle de la Cubaine et c'est dans des pas de félins que les œillades complices se retrouvent au milieu des dorures du casino.

Les bons souvenirs chassés, les bruits sourds venant de la porte l'éveillent de sa rêverie. Dans un froncement de sourcils, elle se lève et accueille l'inconnue en face d'elle d'un visage implacable. Un présent de sa nièce, Astoria, venu par pigeon voyageur. Dans un sourire, elle récupère le trésor et son regard s'attarde un peu plus longuement sur la gamine devant elle. Une impression de déjà vue. « Entre, suis-moi. » Déclare-t-elle enfin, dans un élan de bonté inespéré en ce jour orageux. Sans se retourner, parure d'or et d'ivoire entre les doigts fins, sa silhouette déambule silencieusement dans la maisonnée, les pas glissants avec une grâce certaine sur le sol marmoréen. Quelque chose qui la pousse à inviter l'impure yeux tirés et mains tremblantes. Quelque compassion ou besoin de satisfaire sa curiosité ; peu importe la motivation, le résultat reste le même. L'infériorité écrasante de la née-moldu dans l'immense demeure semble résonner, cogner les murs, les tableaux, les lustres. C'en est presque ridicule.

« Tu remercieras ma nièce pour ce magnifique bijou. » Instinctivement, les pas de Scylla la mènent vers la bibliothèque, son sanctuaire. Elle place l'ornement dans une boite de bois clair, puis, plante son regard impassible dans celui de la brunette. « Comment t'appelles-tu ? » La question sonne faux, sonne mal. Comme une intrusion tout à fait permise, une énième violation à cette faible liberté.

@Lydia Sinclair