oceans rise, empires fall /vassili

Première croisade de sang, le corps immaculé de tous les vices et les horreurs avec lesquelles elle a fait corps et âme. Elle a valsé la nuit durant, elle a embrasé un monde de silence pour découvrir les secrets mystiques d’un univers magique, pour voir naître sous ses yeux un espoir nouveau, pour étouffer avant son premier souffle les macabres prophéties, pour courir après murmures, mensonges et réalité. Le péché a été effacé, la mort a été distillée au fond d’un verre d’alcool, la solitude a été accompagnée d’inconnus, elle a valsé ces jours et nuits durant pour se fondre corps et âme aux objectifs d’un gouvernement, qui devient les siens, juste quelques jours quelques secondes.

Pourtant la maîtresse des mensonges et des illusions foule les pierres de Londres, le pas calme et assuré, le visage calme et si doux, si loin du sang qu’elle a fait couler ces derniers jours, si loin de l’excitation qui a étreint son cœur, si loin de la peur qui s’est étranglé dans la gorge de sa victime. Le corps douloureux, elle plonge une main dans une poche sans fond de sa cape de voyage, elle y farfouille avec aisance pour retrouver une fiole qu’elle avale discrètement, avant de la faire disparaitre de nouveau. Elle sent la potion faire rapidement effet, venir lui faire oublier cette douleur qui prend son corps, ces blessures profondes qui n’ont pas totalement guéris.
Elle a l’amertume à la bouche, elle a toujours cette étrange sensation lorsqu’elle revient en Angleterre, de ne pas réellement être chez elle. Electron libre, elle loge ici et ailleurs, entre les murs du manoir Dolohov en Ecosse, entre les murs de l’appartement du fils sacré, ou encore auprès des amants non-confessés, ou cette maison esseulée loin de tout, méconnue de tous, son refuge, son repère, lorsque l’eau boue, l’air palpite et le tonnerre gronde.
Quelques jours, deux semaines, et pourtant elle a déjà l’impression que le monde change, que les odeurs tournent. Elle doit toujours rattraper le temps de retard, elle doit toujours raccrocher, et surtout, faire savoir au peu de ses proches, qu’elle est bien toujours en vie, et présente. Pourtant, c’est si simple d’être oublié, c’est si douloureux de faire ces efforts pour avoir un semblant de vie, et ne pas être résumé à son travail, à ses actions. Elle pourrait. C’est plus simple, si simple, de juste arrêter d’exister.

Elle laisse son cœur s’éveiller, la guider. Bientôt elle pénètre dans l’antre du fol’opium, coeur boursoufflé, palpitant de passion charnelle, de joie alcoolisée, et de conversations murmurées. Elle y pénètre, avance, sans un mot, un regard, maîtresse inconnue, amie d’un dirigeant, on ne se pose plus de question, on ne la remarque parfois si peu. Une ombre qui se faufile, et qui vient rejoindre la pénombre du bureau de l’homme qu’elle vient rejoindre. Cette vérité toujours frappante qu’elle se présente trop souvent à lui en premier, pilier d’un monde éparpillé, ancre dans la folie de ces ambitions qui ne sont parfois guère les siennes. Une corde qui la tient hors de l’eau, qui la ramène toujours au rivage, quand bien même revient-elle secouée, fatiguée, dépassée ou hors d’elle-même. Le plaisir, le repos, cette étrange sensation de sécurité.
Assise sur le fauteuil, elle est une ombre dans la pénombre du bureau de Vassili Dolohov. Elle reconnait l’odeur du cuir et du tabac, l’odeur du russe qui plane dans l’air, et celle un peu fruitée du bordel, et de métal, de sueur. Les yeux clos, sa main glisse contre sa hanche quelques secondes. Elle ne sait pas combien de temps s’écoule. Quelques secondes, ou minutes peut-être ? Elle ne réagit presque pas, lorsqu’elle entend la porte s’ouvrir, se déverrouiller après son passage. Elle a laissé sa trace habituelle pour lui signaler sa présence, elle ne le prend guère par surprise, le russe, c’est un rituel qu’elle vienne s’introduire ici, qu’elle s’invite sans cesse pour lui rapporter ses informations, lui quémander son avis, ou simplement venir voir son cher ami, son frère de cœur, son amour de sang.

Le souffle retenu, elle se lève doucement, face au sang royal, toujours encore plongée dans la pénombre. L’appréhension éclot légèrement, pour une raison obscure, un léger pincement au cœur. Parfois, elle s’imagine elle naît d’une autre famille et porter ton nom, dans ces rêves les plus fous.