Le silence est d'or (Annabel)

Des heures qu’elle officie dans l’enceinte de sa boutique où des senteurs exotiques vibrent au rythme des coups de burin qu’elle pose sur ses cristaux que Sinéad façonne. Commande passée il y a quelques jours et déjà elle se met à l’œuvre. Bijoux aux blasons d’une famille aisée de l’oligarchie sorcière dont elle se passerait bien, préférant forger ses propres entailles qu’offrir le luxe de son travail jalousement gardé au profit de sangs-purs qui rejettent et ne donnent. Parfaite épouse et parfaite dame de ce monde qui évolue dans cette société qui matraque tous ceux qui sortent du rang, c’est avec un sourire radieux et d’une main élégante qu’elle conclut l’accord. Reflets verdâtres et violines se dégagent des précieuses qu’elle observe à la loupe. Lianes qui s’entrelacent finissent de raffiner les cailloux guère ordinaires et elle s’extasie devant son travail, enfants qu’elle chouchoute à chacune de leur venue au monde. Seul moment où la lionne se retrouve et peut laisser vagabonder son esprit, délier sa langue et ses muscles pour ne commettre d’impairs. Son souffle s’accorde au rythme de notes de musique qu’elle laisse filer d’entre ses lèvres, écho d’un autre temps, d’une autre époque. Musique moldue qui risque de l’envoyer sur le bûcher mais le risque est permis puisque la boutique est sienne. De ses yeux glissent quelques larmes, signe que sa concentration est atteinte et qu’il faut qu’elle se détente. Etirant ses bras vers le ciel, la belle masse la cime de son crâne, dénotant son chignon parfait auquel elle redonne sa vergogne et sa force de ses doigts qui ramènent les récalcitrantes à domicile, logées sous les barrettes qui terminent sa coiffure. L’air s’engouffre dans sa poitrine alors qu’elle clôt l’enceinte de sa boutique d’un coup de baguette pour mieux profiter de la journée qui s’étire. La soirée s’annonce bientôt mais le soleil ne décline encore en cette belle après-midi ensoleillée. Beaucoup paradent au bras de leurs époux peu frileux face au temps, d’autres vagabondent dans les échoppes pour quérir leurs envies démesurées de shopping et certains filent sans qu’on les remarque, comme des ombres dans la nuit en pleine journée. Sinéad quitte son poste d’avant-garde pour se commander une boisson au chaudron baveur ainsi qu’une part de gâteau, ombre elle aussi qui ne prendra place au comptoir car les regards inquisiteurs s’abattront fatidiquement sur elle. Dame Olbricht ne peut se mouvoir sans son époux qui la chaperonne. Epoque archaïque qui la désespère. Les mains pleines de ces achats fructueux tandis qu’elle déguste cette bière au beurre qui coule dans son gosier dans ce verre plein qui risque de casser, un bruit attire son attention. Fixe, à l’image d’un râle et plaintif, il parvient pourtant à ses oreilles avisées. Elle stoppe son chemin et bifurque dans l’une des petites rues perpendiculaires à celle de sa boutique. Tendant l’ouïe, elle ne remarque pas grand-chose et s’avance à nouveau, croisant le regard de quelques audacieux qui le baissent lorsqu’elle ne transgresse de règles et se montre distinguée, sourire neutre plaqué contre ses lèvres imparfaites qui cache la curiosité qui grandit. La belle va aux devants de nombreux ennuis selon la chute de sa quête mais la répression n’est pas son mode de fonctionnement. Précautionneuse, la lionne s’arrête dans un recoin où la scène s’offre à ses yeux…