a million pieces / roisin.

@roisin whelan
. . . . . . . . . . . . .

Londres est gris et pluvieux. En plein juillet comme ça, on aurait pu espérer avoir droit à quelques timides rayons de soleil et à la chaleur, mais l'été semble se défiler l'espace de quelques journées. Pas pour déplaire au moral de Selene, cependant, qui apprécie davantage les nuages au soleil. Le climat anglais qui ne lui a jamais particulièrement déplu, et c'est le sourire aux lèvres qu'elle se prépare à sortir. Cheveux soigneusement coiffés par sa docile servante, boucles dorées tenues par quelques discrètes épingles, le maquillage léger, et la robe d'un vert pâle pour lui couvrir les épaules. Captant son reflet dans le miroir, elle s'arrête un instant pour scruter ses yeux bleus ; le résultat lui plaît. Elle est toujours prudente de se préparer méticuleusement quand il s'agit de rendre visite à Amadeus, même si ce dernier ne doit pas toujours remarquer les subtilités son apparence. Le coeur existe dans les détails, et elle n'est pas prête à les snober. L'apparence n'est pas tout, mais elle est clé dans un monde comme celui-là. Alors elle chasse sa servante d'un geste de la main, Selene, et sort sur le pas de sa porte. Accalmie où la grisâtre fait scintiller le bitume mouillé par la pluie, et elle transplane rapidement et discrètement. Peut-être aurait-elle pu se rendre au domicile autrement, mais elle ne voit pas pourquoi elle se priverait de la magie, après tout.

Demeure au centre de Londres, où elle et Amadeus s'étaient donné rendez-vous. Elle compte bien discuter des préparatifs d'un mariage qui avait déjà trop tardé, Selene. Mais lorsqu'elle entre dans la maison, on lui dit que le Lestrange n'y est pas encore. Retardé par le travail, à ce qu'il paraît. Selene insiste pour attendre, et se place dans un fauteuil au salon, admirant la décoration et les tableaux aux murs. Esprit paisible, placée là impeccablement comme si elle faisait partie des bibelots, mais le regard vif et intelligent qui ne manque pas un seul détail de ce qui l'entoure. Les minutes passent, et elle inspire lentement, Selene. Se relève pour parcourir la pièce, et alors un mouvement dans le couloir attire son regard. Éclat de cheveux châtains, d'une beauté qu'elle préférerait être moins fascinante, et la Gaunt sourit à la manière d'un félin. « Ah. Roisin, c'est toi. » Quelques étincelles de dédain dans sa voix, malgré la politesse habituelle. « Entre, allez. » Elle lui parle comme à un enfant, comme à un de ces elfes de maison. Selene la toise, la née-moldue, avec un sourire parfaitement charmant, mais qui frôle dangereusement l'arrogance. Que mérite-t'elle d'autre, de toute façon, celle-là ? « Où est mon thé ? » Voix claire, alors qu'elle place ses mains devant elle. Je ne l'ai pas demandé, mais tu aurais du me l'emmener.
N'est-ce pas ta place, Roisin ?
Emmener le thé, dépoussiérer ?
Rien d'autre, ma grande, ne rêve pas trop.
Rien d'autre.

La voix claire de Selene la surprend, lui agrippe le cœur dans une étreinte d'acier, en un sursaut qui lui fait faire volte-face. L'intonation de la sorcière semble l'infantiliser mais Roisin n'en a cure, allant à sa rencontre puisqu'elle le demande. Mains jointes derrière le dos, moue feignant l'innocence, gorge serrée face à l'élégance de la sorcière. Elle n'avait jamais vu pareille beauté avant de croiser le chemin de la Gaunt.

Amadeus is a lucky man, I guess. Une pensée qui lui traverse l'esprit, et qui la fait se sentir curieusement chagrine. Ne pas penser à ce mariage qui se prépare et dont elle voit les préparatifs se dérouler sous ses yeux. Ne pas songer à son cœur qui semble toujours rater un battement lorsqu'elle imagine Amadeus et Selene ensemble – ne pas y penser, repousser et réprimer. C'est toujours plus douloureux lorsqu'elle les voit côte à côte, de toute façon. Un supplice duquel elle ne peut échapper, hantant les couloirs de cette demeure dans laquelle tout semble se jouer. Elle n'aurait jamais cru que cette union, qui s'organise depuis une éternité, arriverait à son terme. Sa naïveté avait pris le parti de se cacher dans un déni qui s'était voulu palpable, imperméable à la réalité qui se développait pourtant dans son petit monde.

L'angélisme dont elle avait fait preuve n'avait duré qu'un temps. Aujourd'hui, elle appréhende silencieusement le jour où les noces auront lieu. Dans son cœur de gamine, Roisin s'était dit qu'Amadeus serait à elle – un jour. Une pensée réconfortante à laquelle elle s'était longtemps accroché, comme les mômes s'accrochent souvent à un idéal qui est presque toujours hors de portée. Les gosses comme elle, avec des bleus sur les genoux et pas la moindre chance d'être à l'instar de ce que Selene est. Bouche sèche, Roisin contemple sa vis-à-vis ; cœur ballant, palpitant marqué à la fois par le ressentiment et le tourment.

Les mots de Selene la frappent par leur politesse, et leur fraîcheur. Battant des cils, prise au dépourvu par la question fatidique, Roisin reste un instant interdite. « Oh – je ne savais pas que vous vouliez du thé.. ? » souffle la née-moldue, cherchant dans sa mémoire le moment précis où une telle requête avait pu lui être donnée. Le sous-entendu la laisse pantoise, avant de finalement lui parvenir. « Oh. » Pinçant les lèvres, Roisin se glisse auprès de la bouilloire, ses chaussures noires claquant précipitamment sur le parquet ciré, et, d'un geste tout-à-fait moldu, en agrippe la hanse. L'eau brunâtre emplit le récipient en porcelaine, que Roisin éclabousse d'un nuage de lait avant de l'apporter auprès de Selene. « Comment se portent les préparatifs du mariage ? » question polie, posée alors qu'elle lui tend la tasse. La jeune femme se mord cependant immédiatement la langue – faire la conversation n'est certainement pas un rôle qu'elle est supposée endosser – et elle sait que ses opinions ou ses commentaires ne sont pas appréciés. Aujourd'hui, ou autrefois. Sang-de-bourbe. Malgré toute la volonté du monde, Roisin ne parvient toutefois pas à lutter contre son réflexe, parfaitement humain, qu'est de s'intéresser aux gens et aux situations. Alors, elle attend – sur le qui-vive, mais fardée d'une espérance qui s'alimente d'un désespoir qui s'épaissit.

@roisin whelan
. . . . . . . . . . . . .

Y'a une innocence, dans le regard de la Née-Moldue. Elle ne saurait l'expliquer, Selene, ce qui se cache derrière. Peut-être que c'est juste l'empreinte d'un bon coeur, un véritable bon coeur, de savoir poser sur le monde des yeux aussi innocents. À croire encore en la bonté des autres, à penser que tout n'est pas que noirceur et manipulation. Peut-être est-elle à plaindre, Roisin, ou peut-être ne l'est-elle pas. Qui sait. Pas le genre de la vipère de s'accabler avec de telles réflexions. « Oh – je ne savais pas que vous vouliez du thé.. ? » Elle ne bouge pas, la poupée de porcelaine, fixant la servante avec des yeux condescendants. Continue d'y penser, ma belle, ça te viendra. Et ça finit par traverser son regard, à Roisin. « Oh. » Sourire malin, sur le coin des lèvres. La voilà. Elle l'observe faire, son corps qui glisse à travers la pièce, remplit une tasse pour sa convenance. Selene qui lâche un soupir, il faut tout faire soi-même. Mais elle sait aussi jouer avec la servante, tester les limites de son service, et la taquiner un peu trop fort. Mais elle est trop belle, trop magnétique, et trop près d'Amadeus. Son Amadeus. Les fiançailles que Selene ne laissera personne rompre, pas après toutes ces années, tous ces espoirs. Pas de remerciement, alors qu'elle attrape la tasse, un simple regard pointu en direction de Roisin. La détaillant, de haut en bas, comme on le ferait avec un insecte.

« Comment se portent les préparatifs du mariage ? » La question la surprend, il faut bien l'avouer. Pour qui se prend-t'elle, de vouloir lui faire la conversation ? C'est loin d'être sa place, et Selene est tentée de simplement agiter sa baguette pour la chasser. Mais elle ne peut pas s'enlever l'envie de connaître un peu plus cette servante qui faisait toujours partie du décor. Qu'Amadeus regardait parfois un peu trop longtemps. « Petite curieuse. » Qu'elle lui lance, enfantilisant Roisin au passage. Rien de plus qu'une gamine, qu'un rien. Rien à côté de moi. « Merveilleusement bien. Ce sera une cérémonie parfaite en tout point. » Elle ignore si ça sera le cas, Selene. Mais elle n'est certainement pas près de confier ses doutes et ses questionnements à une fille comme elle. « Et ça ne saura tarder, non plus. Amadeus et moi seront bientôt mariés. » Le dernier mot accentué, avec une certaine pointe d'arrogance. Ne va pas te mettre d'idées dans la tête. « Alors habitue-toi à me voir dans les environs, Roisin. » Sourire faux, qui s'accentue sur ses lèvres. Regard qui ne la quitte pas, qui la transperce, l'écrase. « Quel plaisir ce sera de se côtoyer, ne crois-tu pas ? » Épaule haussée. « Même si bon, tu auras besoin d'un peu aide pour apprendre à faire le thé correctement. » Des mensonges, du premier au dernier mot - le thé était parfait contre sa langue.
Mais ça ne serait pas drôle de le dire, ne crois-tu pas ?

Selene l'infantilise, et Roisin accepte le traitement sans broncher. Une réaction de sa part serait accueillie aigrement, elle en est persuadée. Ne soufflant mot, Roisin croise les doigts devant son tablier blanc qui dissimule une partie de sa robe noire, et patiente. Sa cadette se baigne dans de doux songes, alors qu'elle se targue d'une cérémonie qui sera parfaite en tout point.

La née-moldue esquisse un sourire léger, dénué de la moindre franchise, soulignant la politesse dont elle essaie de faire preuve. Son optimisme va en s'affaissant, le mariage entre Amadeus et Selene la rendant plus songeuse qu'elle ne le voudrait. Elle contemple sa vie, Roisin, son existence réduite à néant en un claquement de doigts. Elle devine toutefois l'avenir radieux qui attend Selene, et la jalouse. Cœur noirci par une envie dévorante qu'elle essaie de réprimer ; bouche sèche et doigts frémissant qui s'accrochent les uns aux autres dans l'espoir de ne pas sombrer. Et plus Selene s'exprime, plus Roisin sent ses muscles se tendre. L'accent que la Gaunt met sur certains des mots qu'elle prononce lui transmet un honnête sentiment d'insécurité – une émotion dans laquelle elle patauge sans trop le vouloir, incapable de se persuader que Amadeus lui sera bientôt arraché. Pourtant, il n'a jamais été sien.

Il s'agit là d'une évidence qui n'a jamais été à expliquer. L'espoir, pourtant, n'a pas toujours été vain. Souvent doux, sans doute assimilé à une petite lumière dont l'éclat se perd mais ne s'éteint pas, une part de Roisin a longtemps espéré l'annulation des fiançailles entre les Lestrange et Gaunt. Désormais, la possibilité de cette union n'est plus conditionnelle, car elle est devenue officielle. Roisin le remarque, d'une observation teintée d'amertume ; les nombreuses fois où Selene hante les couloirs de la demeure, ou la régularité de ses sorties nocturnes avec Amadeus. La demoiselle, parée de bijoux délicats, aux robes somptueuses, au bras du sorcier. La gorge de Roisin se serre en se remémorant les quelques fois où elle les a entraperçus ; avide de cette beauté, de la blondeur de ses cheveux, de ce minois délicat – et de ses phalanges fines agrippées au sorcier que la née-moldue se plait à observer parfois.

Respectueusement, Roisin esquisse un sourire – mais espère pouvoir s'échapper de cette conversation qu'elle a elle-même instaurée. La présence de Selene la farde d'une frayeur relative – que se passerait-il si cette dernière décidait que Roisin n'était plus digne de servir les Lestrange ? « Je suis certaine que tout sera parfait, Mademoiselle Gaunt, après toutes ces années d'attente. » Le mensonge ne darde aucunement ses paroles – car Roisin en est intimement persuadée. Pour le peu qu'elle connaisse de Selene, la née-moldue est certaine qu'elle ne laissera rien, ni personne, se mettre en travers de cette union. Tout sera parfait, resplendissant – impeccable. Et son petit commentaire de fin lui arracherait un petit rictus narquois si elle avait la possibilité de l'afficher. « Oh, je suis navrée si le thé n'est pas à votre goût. Je peux vous en refaire un autre, si vous voulez, Mademoiselle ? » Demande qu'elle souligne en tendant les mains, prête à lui reprendre la tasse si elle veut s'en débarrasser – Roisin ne s'en sentira pas frustrée. Les journées sont longues, et les théières se ressemblent toutes. « ...et la cérémonie ? Vous avez déjà une date en tête ? » Sautant d'un sujet à l'autre, car la curiosité ne ménage en rien son cœur déchiré. Battant des cils, fin sourire qui sonne faux ; et appréhension qui grandit toujours davantage.