plant your hope with good seeds (laserian)

Un crac sonore la fait sortir brutalement de ses songes. Ses rêves se dispersent, et sa bouche se tord en un bâillement sonore. Le petit matin laisse quelques rayons de soleil passer au travers de ses rideaux, dont la silhouette nue de Laserian Malfoy est tendrement caressée. Roisin plisse les paupières, hébétée de sommeil, ne sachant pas s'il s'agit ici d'une chimère ou d'une créature faite de chair et de sang. Il se tient là, dévêtu et frémissant, l'épiderme à vif.

« Malfoy ? » marmonne-t-elle en se redressant sur ses avant-bras, avant de se laisser retomber sur le matelas, son nez s'enfonçant dans son oreiller dans lequel elle étouffe un grognement. Qu'est-ce qu'il fiche encore ici ?

Puis l'urgence de la situation lui revient en tête. Lendemain de pleine lune. Ce sursaut de pensée la fait se redresser de nouveau, essayant de retrouver la contenance qui lui manque souvent au lever. « Malfoy » répète Roisin en rabattant la couverture sur le côté tandis qu'elle s'extirpe maladroitement de son petit lit. Cette fois-ci cependant, l'affolement transcende ce nom qu'elle prononce. Retour à la réalité, celle de Laserian. Roisin agrippe sa robe de chambre grisâtre qu'elle utilise afin de couvrir le sorcier, inspectant de ses yeux affûtés les marques et les griffures qui parsèment le corps du lycan, redevenu l'humain qu'elle connait. Elle ne rougit plus de le voir ainsi exposé ; en ce qui le concerne, elle a probablement vu bien pire. Son corps lacéré et ensanglanté la nuit de l'attaque, par exemple. Un souvenir qui la fait frémir, et qu'elle a également vite fait de réprimer.

La née-moldue se détourne du supplicié, ses doigts glissant autour d'une bassine en ferraille remplie d'eau – bassine qu'elle remplit tous les soirs, et dont l'eau fraîche lui permet de faire sa toilette s'être réveillée. Sourcils froncés tandis qu'elle plonge une serviette en tissu dans le liquide clair, Roisin désigne son lit défait d'un petit mouvement de menton. « Assieds-toi. » son ton ne laisse aucune place à la discussion – Laserian le sait déjà. A peine levée qu'elle se sent déjà perdre patience, avec les commentaires graveleux qui ne tarderont pas à affluer, et ses nombreux sourires en coin, joliment accentués par l'estafilade qui marque sa joue. Mais elle n'a pas le temps de jouer. Etouffant un grognement, Roisin soulève la bassine et la pose aux pieds du sorcier. Un peu d'eau se déverse sur le plancher, et un juron manque de passer ses lèvres serrées.

« Comment te sens-tu ? » quelques mots seulement qui déploient toutefois un tonnerre de questions qui tombent sous le sens de leur relation, de ce pacte qui les lie et ce, bien malgré elle. Mais les mois aidant, Roisin a commencé à sincèrement se soucier de Laserian, de son état de santé et de ce que ce changement signifiait pour lui. Si les souvenirs qu'elle entretient à l'égard du sorcier sont loin d'être flatteurs, Roisin et Laserian se retrouvent désormais sur un pied d'égalité. Ca doit bien signifier quelque chose, ça.

« Tiens, décrasse-toi, tu mets de la terre partout. » Roisin souligne ses propos en lui tendant sa serviette mouillée qu'elle vient de repêcher de la bassine, avant de se redresser, le dominant de toute sa taille – bras croisés et sourcils arqués, attendant les informations qui tardent à lui parvenir. Son ton se veut autoritaire, mais son cœur se pince. La née-moldue a une vague idée de la souffrance que son associé doit endurer avant et après chaque transformation ; elle a lu un livre à ce propos qui détaillait avec brio chaque étape de la mise en forme du loup. Alors au milieu de ses demandes abruptes, une petite étincelle s'anime – si ce n'est de la sympathie, sans doute est-ce de l'empathie qu'elle ressent à son égard.

Os ressoudés. Dernier craquement sonore revissant les vertèbres. Torse à même le sol, souffle coupé en bord de lèvres. Images qui ne veulent rien dire coincées sous les paupières. C'est la ferraille sur la langue qui le secoue, la douleur qui revient harponner la chair, ci et là, ainsi qu'il ouvre ses yeux, le sorcier, à l'aube d'un nouveau jour. Pas d'élégance dans les gestes qui s'opèrent à tâtons, fierté égarée quelque part dans la forêt, sûrement avec ses vêtements. Et il tangue, s'écroule, se relève, champ de vision qui chamboule. Pire gueule de bois de sa vie, c'est ce qu'il aimerait se dire, jamais si doué dans le déni que depuis que sa vie s'effrite. Sait pas combien de temps il tourne en rond, peine à assimiler les nouvelles limites de son corps, après une nuit de frénésie sauvage, de tempête dans les veines.

Vers la demeure des Lestrange que le vent l'entraîne. Transplane tant bien que mal, manque de se désartibuler au passage. Focalise les pensées désordonnées sur les contours de la piaule récemment apprivoisée. Pourrait dégueuler quand son univers finit par se stabiliser. Les lèvres pincées sur la bile qu'il ravale, il reste un instant planté là, devant la fenêtre, à ne surtout pas bouger pour éviter toute récidive de nausée. Sans doute qu'elle l'a vu dans de pires états, n'empêche qu'il n'a pas envie de se présenter comme ça. Déjà suffisamment humiliant que de débarquer en ayant si peu d'allure, surtout devant elle. Paradoxalement qu'il tâche de bomber le torse, rendre les muscles saillant, rattraper un peu de cette prestance qu'il aime arborer. « Whelan. » Qu'il balance d'un ton qu'il veut dramatique. Trachée passée au gravier, une quinte de toux étreint ses côtes et lui ôte tout vestige de charisme. De stature d'apollon, le voilà qui se retrouve à comprimer d'un bras son thorax endolori, quand la seconde main s'écrase sur les lèvres et tâche de taire l'agonie. Voix en rocaille, tout désir de provocation se fait la malle. N'ose même pas réitérer, à se contenter de reprendre son souffle, la laisser l'ausculter. Relève le front tout de même, récupère bien vite son port de tête altier, malgré la plainte sourde de sa nuque malmenée. Appréciant la chaleur du tissu qu'elle dépose sur ses épaules, le grand gaillard obtempère non sans un soupir agacé. Comme s'il ne s'était pas pointé chez elle de son plein gré, arrive encore à jouer les blasés en venant prendre place sur son lit, non sans un craquement de sommier.

« Je me porte comme un charme. » Souffle doucereux cherchant à épargner les cordes vocales, mielleux qui s'incline en arrière, pose ses coudes sur le matelas et s'installe tel un pacha, non sans une ou deux grimaces. S'expose, aussi, à ne pas même prendre la peine d'ajuster le tissu pour se couvrir, les jambes bien écartées, pas pudique pour un sou. La prunelle éteinte, il aura beau déblatérer toutes les conneries possibles qu'elle ne sera sûrement pas dupe, Roisin. « Comme à chaque fois que je te vois. » Persiste et signe, jusqu'à ce que l'ordre ne retentisse, à lui arracher un grognement. L'air insolent égratigne son visage, et il la toise encore quelques secondes supplémentaires, quand elle se redresse et le dévisage. « Bien, bien. » Finit pourtant par obéir, mauvaise volonté latente, serviette avec laquelle il éponge mollement les parcelles de son corps marquées par le sous-bois. C'est donnant-donnant et il l'a compris depuis le temps, aime pourtant toujours autant taquiner les limites en cherchant à prendre l'ascendant, aller trop loin et faire mine de se repentir dans un regard charmeur et des mots innocents. « J'aime mieux quand c'est toi qui le fait, pourtant. C'est d'ailleurs pour ça que je suis là, pour que tu me décrasses. » C'est dit d'un ton exagérément enjôleur qui manquerait de le faire rire si chaque inspiration ne venait pas déjà perforer ses poumons. Il lui coule un petit regard en coin en finissant par venir tremper directement ses pieds dans la bassine, rapidement lassé par l'effort. « Qu'est-ce-qui t'arrives ? » Art du détournement de situation, Laserian peine à répondre aux questions informulées, à assumer son état tout court. Ne sait pas bien ce qu'il est venu chercher, ne se l'avoue pas, du moins. Incapable de regagner ses quartiers et de s'y enfermer, de se retrouver seul avec le cauchemar qui tourne en boucle dans son crâne. A besoin d'elle, derrière ses airs arrogants qui transparaissent encore sous le teint livide. Serait capable de l'emmerder jusqu'à son dernier souffle, force de vie ravivée par sa seule présence. « Arrête de me regarder comme ça enfin, Whelan, tu vas me faire rougir. » Et il tire sur les pans de la robe de chambre comme si son honneur était soudainement menacé, croise même les jambes sans cesser de la regarder. « Tu peux le dire, tu sais. » Il pâlit à vue d'oeil, dans les efforts démesurés pour rester conscient, ne pas se laisser envahir par le tourbillon de sensations avec lesquelles il ne souhaite pas renouer. « Tu rêvais de moi, c'est ça ? » Fausse confidence à laquelle il souhaite l'inviter, l'incorrigible égare progressivement son sourire, s'accroche pour ne pas perdre pied, ultime tentative pour donner le change, inespérée.

Bien, bien. A peine lui a-t-il répondu que Laserian s'empresse de rebondir, ne laissant aucun répit à Roisin qui le considère de son regard clair et passablement ennuyé. En désespoir de cause, la née-moldue se contente simplement de froncer le nez alors que son invité écarte les jambes à s'en déboîter les hanches, ne lui octroyant pas le plaisir de la voir baisser les yeux vers sa dignité. Laserian est fidèle à lui-même et il s'agit là d'un attrait que Roisin affectionne autant qu'elle exècre. Puis les lèvres de Malfoy s’entrouvrent de nouveau. C'est d'ailleurs pour ça que je suis là, pour que tu me décrasses. Les yeux de la trentenaire s'écarquillent quelque peu, avant que ses sourcils ne se froncent, fardant son front d'une multitude de rides. Ses mâchoires se serrent, alors qu'elle essaie de conserver un silence hautain, détaché. Elle meurt d'envie de lui claquer le côté de la tête de sa paume, mais elle n'en fait cependant rien, forte d'une patience qui n'a de cesse de l'impressionner. « Tu es déjà bien chanceux d'être assis sur mon lit, dans ma chambre » rouspète Roisin en ne lui décochant pas l'ombre d'un sourire « tu peux courir pour que je te lave. » tranche-t-elle d'une voix sans appel.

Mais la née-moldue sait – elle sait que s'il lui revient un jour ensanglanté et hébété par la douleur, elle l'aidera probablement à se laver. Lui donnera sûrement des vêtements chauds et propres. Et l'aidera également à se coucher dans son petit lit, et recouvrira son corps malmené de draps blancs et frais. Non pas à cause de ce pacte qui les lie – mais parce qu'elle en est venue à s’inquiéter pour lui. Sincèrement, et viscéralement. Subsistent cependant les taquineries et les dialogues insouciants, afin de soutenir la façade d'une relation tout-à-fait saine, et d'un corps qui n'est pas récipient d'un venin imbattable.

Qui plus est, le visage de Roisin ne flirte pas tout le temps avec la crispation – Laserian parvient à la faire sourire parfois. Mais, en ce tendre matin d'hiver, elle n'a guère envie de se faire entraîner dans cette valse – et il n'en a visiblement pas la force non plus.

Mais la danse reprend son cours, parce qu'il ne peut pas s'en empêcher – Laserian s'enveloppe dans la robe de chambre, lui qui n'avait cure de sa pudeur quelques secondes plus tôt, titillant ici et appuyant là. Roisin laisse passer un grognement lorsqu'il lui demande si elle rêvait de lui. « Evidemment Malfoy – tu es un tel régal, comment ne pourrais-je pas m'encombrer de toi jusque dans mes rêves, uh ? » susurre-t-elle, venimeuse et fardée d'un sarcasme qu'elle ne se reconnaît pas. L'exaspération commence à se faire palpable, et sa voix vibre sous son poids, alors qu'elle le considère de toute sa hauteur. C'est étrange – il a l'air chétif, presque petit.

Oh non. Ses prunelles s'accrochent à Malfoy qui, peu à peu, semble sombrer. Ses pommettes sont creusées, et pâles à l'en faire frémir d'effroi. Il lui glisse entre les doigts ; elle peut le sentir. « Oh, Laserian » marmonne la née-moldue entre ses dents, imperméable à ses sourires enjôleurs et ses œillades insistantes, en l'empoignant doucement par les épaules. Elle le pousse à s'allonger sur le lit, guidant ses gestes dès qu'il en montre le besoin, et ignorant les commentaires s'il en émet. S'agitant autour de lui, toujours habillée de sa chemise de nuit, se fatiguant à essayer de le comprendre sans qu'il n'ait besoin de parler. Finalement elle pose les genoux à terre, près de l'oreiller, ses prunelles narguant le visage pâle du sorcier. Désormais face à face, elle toise sa mine fatiguée. « Dis-moi comment t'aider. » il s'agit à la fois d'un ordre et d'une supplication – une phrase grinçante ponctuée d'un froncement de sourcils qui se veut féroce, mais qui ne parvient qu'à être nerveux. « Et pas de plaisanterie ! » aboie-t-elle, index pointé sous le nez du Malfoy.

Concentrée sur Laserian, Roisin guette toutefois la porte de sa chambre. L'estomac alourdi par l'anxiété - elle ne saurait pas comment expliquer la présence de Laserian Malfoy dans son lit, nu et drapé dans sa robe de chambre.

Car dire la vérité la tuerait.
Oh, well.

Champ de mines savamment parsemées depuis leur rencontre, il n'a de cesse de s'emplir au gré de son arrogance. Spectateur à la curiosité enfantine, Laserian pose ses bombes et recule subitement, attend de voir lesquelles finiront par exploser, ou non. Avoir raison de la patience de Roisin, tout un loisir aux yeux de l'insolent qui s'est mis en tête de se spécialiser dans le domaine. Rebondit dès qu'elle fait un pas de plus vers le dernier mot, incapable de la fermer, n'a jamais vraiment su le faire. Pas même avec la carne translucide et l'iris délavé, incorrigible qui s'écroulerait en continuant à la provoquer : « Oh, Whelan, mais bien entendu. Je suis conscient de l'honneur que tu me fais, je me doute bien que rares sont les hommes à avoir eu la chance de s'asseoir sur ton lit. » Débit de parole intarissable, une main sur le coeur et une moue faussement désolée lui inventant une gueule d'ange. « Existent-ils, d'ailleurs ? Ou ne serait-ce qu'un mythe ? » Use et abuse des railleries, à se demander si ce n'est pas ce qui lui permet de puiser toujours un peu plus dans ses réserves d'énergie. Et ça scintille dans les débris de son être, flamme faiblarde en fond de prunelle. En tout cas, sans doute n'en fait-il pas partie. Pas de cette manière-là, du moins, peu vaillant tout juste bon à tenir à moitié assis, à moitié vautré, sur ses draps emmêlés dans son éveil précipité. Il ne saurait vraiment dire s'il a sincèrement eu l'envie de la voir céder à ses avances incessantes, ses remarques teintant leurs échanges depuis l'adolescence. Sans doute apprécie-t'il sa manière d'assécher ses ardeurs de quelques remarques dont elle a toujours eu le secret, et le jeu serait moins plaisant si elle venait à le prendre différemment. Plus maline que bien d'autres, si ça a pu l'agacer autant que ça lui a plu, plus jeune, l'enjeu semble bien différent désormais. Logorrhée destinée à camoufler les dégâts, Malfoy s'échine à huiler les rouages de leur relation passée, mode de fonctionnement qui déraille depuis l'incident. Difficile de savoir de quelle manière se comporter face à celle qui en sait trop, désormais. Presque un peu désespéré de demeurer têtu quand c'est son aide qu'il est venu quémander. L'idée lui a semblé logique au réveil, face contre terre, mais s'avère moins aisée à assumer une fois planté là, sous le regard implacable de Whelan.

« Je le savais... » Souffle échappé à contre-courant, la silhouette de Roisin se met à osciller dangereusement et puis, c'est la pièce toute entière qui commence à tourner. Incapable de rétorquer une énième fois, la nausée le contraint au silence et à se laisser faire. Pas vraiment dans ses habitudes, le sorcier grogne un peu, marmonnements inaudibles venant se perdre sur l'oreiller. Seule l'odeur de Whelan, imprégnée dans le tissu, le pousse à inspirer à nouveau par le nez, au lieu de s'évertuer à arracher des mots à sa trachée. Contraint au silence par le vertige, les yeux se plissent sur les gesticulations de la sorcière et finissent par se fermer un instant. Le temps de conjurer la marée qui lui monte entre les poumons à mesure que son univers tangue, il n'y a que sa voix à laquelle se raccrocher, sa présence pour l'empêcher de sombrer. Là qu'il fait l'effort d'ouvrir un oeil pour la fixer, lèvres entrouvertes finissant par inviter un sourire carnassier aux commissures. Sans doute le connaît-elle trop bien, à anticiper l'évidence. « Ne demande pas, si tu es de mauvaise volonté. » Deuxième paupière qui se soulève, à la détailler un peu plus attentivement. « Jolie chemise de nuit. » Battement de cils à l'appui, il finit par incliner légèrement la tête pour suivre la direction de son regard, contempler la porte à son tour, marquer une pause, et reprendre. « Tu pourrais venir t'allonger à côté de moi, au lieu de rester là. Je te fais un peu de place dans ma robe de chambre, si tu veux. » Léger haussement d'épaule. « Sans plaisanter, je crève de froid, Whelan. J'ai passé la nuit dehors. Viens, je te promets que je ferai un effort pour parler moins fort. » Parce que c'est vrai qu'il a haussé le ton, un peu, juste suffisamment pour espérer la voir redoubler de vigilance. Le sait bien, Laserian, quelle excuse serait toute trouvée si quelqu'un venait à les trouver là, à mesure que la maison s'éveille. On ne contesterait probablement pas l'aveu faussement pudique du Malfoy, qu'on connaît suffisamment ici pour ne pas être vraiment surpris. Alors, il lui fait les yeux doux, le tout couplé à son petit air mesquin qu'elle connaît bien. « Ce serait toujours plus facile d'expliquer pourquoi je suis dans ta chambre, si tu es à mes côtés. » N'en loupe pas une, jamais.

Sa patience se fissure, ployant sous le poids de tout ce que Laserian débite. She is only human. Ses commentaires, si elle n'y prête habituellement pas la moindre attention, commencent à la blesser. Roisin se contente de concentrer son attention ailleurs – le cœur éborgné par le portrait qu'il peint de sa jeune vie. « Tu connais beaucoup d'hommes, toi, qui seraient prêts à aimer une née-moldue ? » L'amour ; que ce soit dans le sens biblique du terme, que de sentiments forts, fardés d'une passion compliquée à expliquer. Mais sa question est candide, et elle est curieuse de connaître ses pensées à ce propos; à la fois, elle espère que ça lui passera l'envie de recommencer. De tout ce qu'il peut lui faire subir, il s'agit là de ce qu'elle exècre le plus ; au fond, Roisin se sait capable de gérer les œillades appuyées et les sous-entendus graveleux. Mais les attaques directes – ça, elle n'est pas sûre.

Si elle ne manque toutefois pas de verve, Roisin se trouve souvent interdite face à la vérité qui passe les lippes de Laserian ; énoncée avec dédain, et suffisance. Installée sur le sol auprès de lui, alors qu'il est allongé de tout son long dans son lit, la née-moldue se demande si elle mérite pareil traitement de sa part. Elle se démène pour lui – vraiment – mais la tempête qui anime le sorcier ne semble pas se calmer. Coeur battant, Roisin l'observe. Son regard glisse le long de ses traits fatigués et, réprimant un soupir, le chagrin qu'elle éprouvait quelques minutes plus tôt disparaît. Que dire, finalement ? Elle est vierge et Laserian, à moitié mort. En prenant suffisamment de recul, Roisin peut lui permettre d'émettre ce genre de remarque si ça l'amuse – après tout, personne ne peut les entendre.

Mais lorsque les prunelles affûtées de Laserian remarquent la nervosité de Roisin, son comportement devient bien vite hors de contrôle. Hors de sa portée. Immobile, elle l'écoute patiemment, toutefois piquée au vif par ce qu'il parvient à imaginer. Son front se plisse alors qu'il hausse le ton, jeu dangereux auquel il se prête volontairement. Peut-être est-ce la fatigue qui le pousse à se comporter ainsi, ou peut-être a-t-il le diable au corps. Roisin tend vers la seconde possibilité – l'habitude la rendant imperméable à ses suggestions grivoises. Pourtant, Roisin se redresse et se penche vers l'oreiller sur lequel la tête de Laserian repose. Elle bat des cils, un sourire soulignant son étrange comportement.

« Oh, Laserian, j'ai bien cru que tu ne me le proposerais jamais. » susurre-t-elle, fausse amoureuse qui se rapproche des lèvres du sorcier – son souffle caresse son menton, sa bouche, en une tendre étreinte. Roisin peut sentir l'odeur de sa peau, en juger la chaleur par cette distance qu'elle réduit presque à néant. Elle se rapproche davantage et soudain, agrippe les joues du loup entre ses griffes de démone. « Maintenant, espèce de sombre idiot, qu'est-ce que tu crois qu'ils feraient de toi s'ils pensaient que tu étais en train de batifoler avec une née-moldue ? » demande-t-elle entre ses dents serrées, ses doigts toujours crispés autour de sa prise. « Tu penses qu'ils te laisseraient partir avec une tape sur la main en te faisant promettre de plus recommencer ? » gronde-t-elle d'une voix rocailleuse  « Grandis un peu, Malfoy. » crache-t-elle, mauvaise. Roisin relâche sa prise, zieutant brièvement les marques de demi-lunes qu'elle laisse derrière elle, et ouvre l'un des tiroirs de sa table de nuit. Elle en ressort une petite fiole qu'elle tend à Laserian. « C'est un anti-douleur. Bois-le. » qu'elle lui glisse, sourcils froncés, sans le regarder. Bras croisés contre sa poitrine, elle lui tourne alors vivement le dos et s'adosse au corps boisé du lit. Jambes étendues, mine renfrognée, toujours effrayée à l'idée d'être surprise avec lui, nu, dans son lit. Mais l'effroi commence à être surpassé par l'agacement – un agacement qui désormais flirte avec une colère latente.

Roisin n'est pas certaine de ce qu'il se passerait pour Laserian, s'il était surpris dans sa couche – sans doute a-t-elle cherché à lui faire peur, le poussant dans ses derniers retranchements sous le joug d'une menace sous-jacente. Si Amadeus les surprend... Cette pensée lui alourdit l'estomac, tandis qu'elle plie ses genoux et les enroule fermement de ses bras.

La réponse, le bellâtre ne l'anticipe pas, vautré dans toute sa splendeur et suintant d'arrogance, trop obnubilé par sa personne pour daigner regarder plus loin que le bout de son nez. Tout le souci de relativiser à grand renfort de ce flirt acide dont il a le secret. Ne l'a jamais épargnée, Roisin, mais n'avait jamais eu le sentiment, jusqu'alors, de l'avoir blessée par le passé. Les dires qu'elle énonce portent l'amertume d'une tristesse non feinte, et il se sent un peu con, sur le coup. Rare qu'il tienne sa langue, la née-moldue vient pourtant de lui ôter toute loquacité. La question est légitime, pourtant, et il le sent, à sa manière de se tenir, et de lui répondre, qu'il l'a éraflée sans même le vouloir. Suffisamment observateur pour s'en apercevoir, certainement qu'il l'apprécie assez, aussi, pour savoir quand se mordre la langue pour cesser de rétorquer. Pourra presque se targuer d'avoir eu le dernier mot, pour une fois, sans qu'il ne s'entête jusqu'à en devenir insensé dans ses propos. Il peine pourtant à y croire, à la contempler avec attention, garder pour lui ce qu'il en pense réellement. Et c'est une connerie qui finit par lui échapper, malgré tout, parce qu'il ne changera pas, jamais, surtout pas dans un état aussi catastrophique que ce matin-là. « Mais ça, ce n'est pas parce que tu es née-moldue, Whelan. C'est juste parce que tu es d'une pénibilité rare. » Tentative de détendre l'atmosphère et de rattraper son erreur, terrain sur lequel il lui sera sans doute compliqué de ne plus s'aventurer, n'empêche qu'il n'a pas envie de la revoir tirer une mine pareille, par sa faute. Pas quand elle prend soin de lui, mine de rien, et que tout habitué à être traité en petit prince depuis l'enfance par sa mère, le comportement de Roisin à son égard ne manque pourtant pas de lui plaire. Dans toute sa mauvaise foi, Malfoy pourrait pourtant prétendre ne s'immiscer dans sa chambre qu'à défaut de mieux. Qu'après l'urgence de la pleine lune, il n'y a bien qu'elle qu'il peut déranger sans être traîné de force au ministère pour rende des comptes, ou encore, Hestia. Pourtant sur elle que se porte son choix, ce qu'il pourrait toujours justifier en argumentant sur sa certitude de la trouver dans son lit, seule, à une heure comme celle-ci, et non éventuellement sortie. Bassesse après bassesse, Laserian pourrait se défendre de toute affection développée à son égard durant ces jours, ces semaines passées sous ce toit, à la laisser panser ses plaies. Et renier dans une fierté déconcertante tout réconfort ressenti à peine ses mains affairées à couvrir sa carcasse fébrile, sa voix envahissant son crâne en y faisant taire le craquement de ses os, encore en résonance lointaine. Pas très habitué à dire merci, c'est le poids de se sentir dépendant d'autrui qui prend l'ascendant sur toute sa gratitude, pourtant ronronnante sous sa peau dès lors que la sorcière s'enquiert de son état.

Les paupières s'agitent et les yeux papillonnent, dans un élan insensé qu'il recolle les morceaux de son esprit fatigué, juste suffisamment éveillé pour la voir qui s'approche, pas assez pourtant pour ne pas cerner le piège qu'elle s'apprête à refermer. Les lèvres légèrement entrouvertes, le temps se suspens quand il hume son odeur, appréhende le contact des siennes, le souffle coincé dans la trachée. Impossible, pourtant, tout semble plus cohérent après une nuit blanche à hurler dans la vallée. Même ça. Ce baiser qui ne vient pourtant pas. Grognement dans le gosier, les sourcils se froncent dès qu'elle le contraint au silence en enfonçant ses griffes dans ses joues. Il s'évertue pourtant à simuler des baisers qui claquent dans l'air, à faire mine de ne rien entendre de ce qu'elle peut bien lui raconter. Il entend pourtant, à lever les yeux au ciel en attendant qu'elle se décide enfin à le lâcher. Certainement que Roisin a raison, mais qu'il n'aime guère cette manière de ramener inlassablement sa condition sur le tapis. Plus atteint qu'il ne l'admet, il se renfrogne indiciblement et finit par reclaquer sa tête sur l'oreiller, à s'étendre sur le dos et fixer le plafond, les mains croisées sur le ventre. Contraint au mutisme par les émotions qui râlent entre ses poumons, les lèvres sont pincées quand il accepte d'attraper la fiole, et attend qu'elle lui tourne le dos pour la déboucher. Filtre avalé, les secondes s'écoulent plus lentement, désormais que l'un comme l'autre ont décidé de cesser de parler.

« Je te propose de venir dans mes bras, même en tant que née-moldue, et tu me rejettes. » C'est lui, étonnamment, qui se décide à reprendre la parole le premier, quand la douleur semble décidée à lui laisser un temps de répit, lentement rejetée du fond des plaies et ecchymoses dispersées ci et là. « C'est à cause de ma condition ? A partir du moment où on le sait, je deviens repoussant ? » Légèrement sarcastique, fond de sincérité qui pointe pourtant quand il la questionne, à tâcher de se redresser lentement, mais sûrement. « T'es en train de me dire qu'on ne m'aimera plus jamais ? » Transpose ses dires à son état sans pourtant parvenir à le nommer. N'a pas été foutu d'en parler réellement, depuis que ça lui est arrivé. Première fois qu'il pose des termes aussi flous soient-ils sur le sujet, en venant s'asseoir au bord du lit, pour finir par se laisser glisser à ses côtés. A imiter sa position et bousculer son épaule de la sienne, esquisse de sourire au coin des lippes tout en lui coulant un regard en biais. « Je suis certain que n'importe quel type, bon, un brin masochiste, serait sacrément chanceux de t'aimer, Whelan. » Il marque une pause, Lase, s'humecte les lèvres en finissant par détourner le regard pour fixer le mur qui leur fait face. « Après tout, qu'est-ce-qu'il risquerait ? Sa réputation ? Il y a beaucoup plus de challenge de mon côté. Je dois trouver quelqu'un qui est susceptible d'accepter de manquer de se faire dévorer une fois par mois, et pas d'une manière excitante. » C'est un peu bancal et ça se termine dans un souffle un peu court, aussi. Plus ardu qu'il n'y paraît, de faire de l'humour quand l'angoisse se remet à le tirailler, et tendre ses traits.

Il n'en faut étrangement pas plus à Laserian pour se tenir tranquille. Roisin remarque l'effet de son petit commentaire, où elle a pris le parti de se dresser en victime. Douloureux portrait d'une vie amoureuse muette, qu'elle n'a jamais vraiment pris soin de contempler. Le sorcier essaie de détendre l'atmosphère, soulignant sa pénibilité rare qui, au contraire de son ascendance, serait la raison de son célibat ; remarque qui la fait esquisser un petit sourire, relevant son regard clair dont l'éclat déguise mal l'inquiétude. Peut-être est-ce plus facile, finalement, de se plonger dans ces joutes verbales que de simplement accepter l'étrange affection qu'elle porte à Malfoy, ou de le lui avouer directement. Les déclarations mielleuses n'atteignent cependant aucune apogée entre eux, et s'affaissent à l'instar de non-dits, deviennent cendre et disparaissent. Roisin se complaît cependant dans ce silence qu'elle entretient, ces paroles qu'elle réprime, et le tourment que Laserian lui insuffle par moment.

Ensemble, ils possèdent quelque chose de spécial. Il l'amuse, avec la cicatrice qui marque sa joue, ses sourires en coin et son humour qui lui arrache parfois un rire. Il l'amuse – à prétendre que tout va bien, parce que se passerait-il s'il s'arrêtait quelques secondes ? Que se passerait-il s'il acceptait être ce qu'il est devenu ?

Sous ses yeux pourtant, le monstre se déchaîne. Claquant des baisers dans les airs, n'ayant visiblement cure de ce que Roisin pourrait lui dire, la frustration devient grande – palpable. Tandis qu'elle s'installe sur le sol, la née-moldue se sent affreusement superflue. Un travail acharné, alors qu'elle essaie de retaper le sorcier, ayant accepté de s'emporter dans ce pacte infernal alors qu'elle n'en avait pas le moindre envie. Mais peut-être est-ce là son erreur, que de courber l'échine et d'accepter des autres des décisions qu'elle ne prendrait jamais pour elle-même. Roisin se sent à l'agonie, l'estomac retourné par ce mur devant lequel elle a l'impression que sa vie s'est arrêtée. Une myriade de soucis, pour une éternité de ressentiments. Entourant ses genoux repliés de ses bras, le silence est alors brisé par la voix grave du loup, encore glissé sous ses draps. Attention attirée par des paroles cachant une misère de vérité, une conscience pourtant si joviale alourdie par les récents événements. Son cœur se serre. Si Roisin souhaite voir un peu de sérieux fissurer ses grands airs, elle n'a aucun désir de le voir d'humeur chagrine.

Lorsque Laserian la rejoint enfin, épaule bousculant et délicieux sourire qui anime son fasciés fatigué, Roisin se sent rassurée – et, surtout, désolée. Les mots qui passent les lippes du sorcier l’inquiètent cependant, soulignant une angoisse floue que Roisin pense comprendre. Elle lui coule un regard en biais, observe son profil délicat et imagine les millions de pensées qui agitent sa caboche. Malfoy est un tout – est un monde qu'elle peine à découvrir, sous couvert de plaisanteries et de mesquineries. C'est pourtant cette vulnérabilité que Roisin recherche chez Laserian. Les rares moments où il s'ouvre, laissant entrapercevoir chez lui quelque chose de profond, et de suffisamment beau pour capturer ses prunelles.

« Oh, je t'en prie, est-ce que toi tu risquerais ta réputation pour une pauvre née-moldue ? » souffle-t-elle en enfonçant son coude dans les côtes du loup, ponctuant son interrogation d'un petit sourire désabusé. Mais, maintenant que Laserian a décidé de se montrer, Roisin ne veut pas rater cette opportunité. Elle tourne la tête vers lui, crâne caressant le bois du sommier, l'observant dans toute sa splendeur.  « Malfoy, tu es un idiot. Il s'agit là de ton seul vrai problème. Pas le fait que tu sois un tu-sais-quoi. » d'un coup de langue, elle s'humecte la lèvre inférieure et continue sur sa lancée, d'une voix douce – qui ne lui ressemble pas en présence de Laserian. « Tu te caches, tu sais ? Tu te dissimules sous des plaisanteries, de la condescendance, et tout un tas d'autres artifices afin de ne pas montrer qui tu es. Et ce que tu es, Malfoy, ce que tu es vraiment – c'est pas si mal. » Roisin lâche un petit soupir, levant les yeux vers le plafond, incapable de dire si Laserian tournera ses paroles en parodie. Mais qu'il le fasse s'il en a l'opportunité ou l'envie ; cela ne fanera en rien la sincérité de ses propos. « Et je ne pense pas que tu en aies nécessairement conscience. » souffle court qui s'atténue. « Quelqu'un t'aimera, Malfoy, si ce n'est pas déjà le cas – que tu aies ou non cette condition. Tu es un idiot, mais tu es assez attachant. »

Cette conversation la rend fébrile, peu habituée à ce genre d'échange avec Laserian. « Tu te sens un peu mieux ? » se risque-t-elle à demander, pommettes rosies sous l'effort de concentration, et l'attrait de la vérité qui, en compagnie de Laserian, s'apparente pourtant à une faille. Elle pourrait tant dire à son propos ; après tout, Roisin est toujours là, répondant présente à chacun de ses maux. Souhaitant lui offrir une vie un peu plus facile, aux contours qu'elle voudrait limer en son nom. Il y a cependant des choses qu'elle ne peut pas faire à sa place.