ten feet tall (kieran)

On ne croit pas à grand-chose, finalement. Les contrats sont scellés, les serments murmurés au creux de la nuit, et on signerait peut-être la mise à mort de sa propre femme sans ciller. Les Goyle sont des armes, et les armes ne s’intéressent guère à la direction dans laquelle on les braque ; elles préfèrent simplement être dans la main des gagnants. C'est donc en lettres de sang que Kieran a gravé son nom sur le traité qui le relierait à la Confédération Sorcière, sans enthousiasme ni dégoût.


À demi-mots, Père lui avait fait part de toutes ses ambitions. Laver le nom de tous ses péchés, accrocher la dynastie au sommet de l'échelle qu'ils n'avaient jamais réussi à gravir. On l'a rêvé stratège quand il n'est que pulsions. Vouloir, arracher, consommer. Et puis, inévitablement, se désintéresser. Les humeurs sont volatiles, entre rires et agressions, tu joues ou tu joues pas ? (Il ne sait pas, l'un ou l'autre, les deux parfois.)


Le dos droit, un sourire provocateur aux lèvres, armé d'une baguette dans les bons jours, de ses poings dans les mauvais, Kieran n'attend jamais qu'une seule chose : l'explosion. Gosse perpétuellement ennuyé, à rebondir contre les murs avec tant de force qu'on pensait qu'il allait finir par les traverser, les gestes sont brusques et la langue acérée. Tout va toujours très vite, beaucoup trop vite pour qu'on puisse l'arrêter — bien qu'il apprécie toujours ceux qui se risquent à essayer.


Avec lui le chaos, sans dessus-dessous il laisse les lieux désolés. Tout n'est que jeu, estime-t-il, rien n'a de sens et tout est inutile. Alors la cruelle indifférence, la violente lassitude. Si rien ne compte, si rien ne compte tout lui est permis, non ?


Kieran s'emmerde et Kieran le fait savoir, immanquablement. Chasseur de corps et puis de sensations, le cœur ne bat que lorsque le poing serre en son sein tout ce qu'il a pu voler aux autres. S'épanouissant dans le conflit, comme on le lui a appris, il n'a que faire des politesses, des hiérarchies bien établies ou des grands airs que certains se plaisent à prendre. L'attitude est affable un instant, survoltée le second ; le sourire las puis carnassier. La mère blâme l'éducation, du bout des lèvres, les coups et les punitions. On fera de toi un homme, mon fils, une main lourde sur son épaule, appuyant jusqu'à la broyer. On ne pleure pas, on ne ploie pas chez eux. On n'en a jamais eu le droit. L'optimisme est hésitant, on lui préfère la réalité crue, on encense le plus méritant. La fratrie se tape sur la gueule et ils applaudissent le gagnant, moquent les perdants (ce soir tu dîneras dehors avec les chiens, mon fils). Les victimes sont victimes parce qu'elles n'ont pas réussi à devenir bourreau, lui a-t-on dit, et il a écouté, religieusement approuvé. Tu seras grand mais tu resteras à ta place, lui a-t-on répété, et il a écouté mais pas trop compris l'idée.