indebted to you ☆☆ (yesugei)

Le couvert de la nuit les enveloppe, Nyx dans son étreinte les dissimule. Petit groupe rebelle avançant à pas de loup dans les rues silencieuses de Londres, suivant la piste d'une rumeur et les gémissements désespérés d'âmes en perdition. Le réseau avait fonctionné, la parole de Morgane se rependait petit à petit à travers la ville. Solidarité dans les bas-fond, où les misérables tentent de se tirer de l'enfer. Murmures qui s'ébruitent, l'effet boule de neige, jusqu'à tomber dans les bonnes oreilles. Ni une, ni deux, une petite équipe est rassemblée : lui, Nile, qui passait dans le coin, et deux autres.

« […] La mère porte du sang de vélane, ils l'ont emmenée il y a trois lunes. Mais le père a caché les enfants à l'abri des Aigles terribles du Ministère. Avec votre aide, ils peuvent éviter la marque. »

Calligraphie envoyée à un sympathisant, information relayée jusqu'à la forêt. Véritable allégeance glissée aux oreilles de la bonne personne. « C'est une née-moldue, esclave de cette horrible famille. Elle a entendue ses maîtres moquer la chute de ceux qui, il semblerait, partageait leur voisinage. Je la connais, elle passe régulièrement faire ses emplettes dans ma boutique. Je lui ai affirmé que tout le monde n'était pas encore devenu fou. » Qu'il en soit ainsi.

L'air est doux, la brise légère. Le quartier est calme sous les étoiles. Trop calme. D'un mouvement de baguette silencieux, l'omanais le prive de la lumière faible des réverbères pour que la seule source brille au bout de leur bois. Le lieu de rendez-vous est désert jusqu'à ce que des bruits de pas perturbent le silence. Dans son manteau noir, leur informatrice leur apparaît nerveuse, et pour cause. Il préférait ne pas imaginer ce qui lui arriverait si ses maîtres apprenaient comment elle occupait ses nuits. Pourtant, Nile l'accueille du sourire le plus chaleureux qu'il connaisse, et tente de la rassurer de son accent mélodique. Les confessions sont brèves, les présentations plus encore. Accroché à ses bras, deux adolescents au visage tordu par la peur. Le lieu de leur cachette soufflé à la seule personne de confiance, le grenier délabré au dessus de l'ancienne boutique d'antiquités moldue du père, laissé à l'abandon lorsque celui-ci dut mettre la clé sous la porte quelques mois plus tôt, suite à l'ascension de leur bon vieux ministre. Le briseur de sort réprima un ricanement nerveux : certaines personnes just can't catch a break.

Mais tout ira bien, promesse candide échappée des lèvres attendries. Le genre de serment qu'on vient à regretter, mais il fallait bien que quelqu'un se dévoue à détendre l'ambiance. L'on s'échangeait les mômes comme l'on dealait de la poudre à perlinpinpin, et tandis que la sauveuse s'évapora dans l'air non sans lancer un dernier ''bon courage'' empathique, Nile passa ses bras autour des épaules de leurs dernières recrues. Il ignorait ce que Eabha ferait d'eux, mais il se promit de s'en inquiéter une fois de retour au sein de la forêt. Il n'était pas bon de penser à plusieurs choses à la fois. Adolescents aux bras, dix-sept et quinze ans. Le seul crime de la mère étant de partager son arbre généalogique avec une vélane, pêché coulant dans leur jeunes veines. Leurs pas résonnent dans la ruelle écartée et totalement noire du chemin de traverse, masqué par les joutes de l'omanais qui tente tant bien que mal d'amuser les malheureux. S'il n'était pas si tard, il leur offrirait une bierraubeurre pour les mettre en confiance.

Et pendant qu'il plaisante dans le vide, il manque le signal. Il tire sa baguette après tout le monde, qu'il pointe vers l'obscurité. Ils ne sont plus seul, il le sent désormais. Et tandis que les trois partisans de Morgane s'assemblent, rempart séparant leurs protégés du danger, Nile est le premier à discerner la silhouette se mouvant dans l'ombre, presque imperceptible.

« Allez-vous en ! Murmure-t-il aux autres tandis qu'il s'avance de trois pas. Prenez-les et transplanez loin d'ici. Je vous retrouve là-bas. » Lui s'assurerait qu'on ne puisse pas les suivre.

Quiconque se cachait dans l'ombre ne pouvait être qu'ennemi. Ou du moins était-ce la mentalité qu'il préféra adopter. Et dans l'obscurité, il ne se terrerait plus longtemps. Le crac caractéristique l'informa de sa soudaine solitude, promptant le sorcier à agiter une nouvelle fois sa baguette dans les airs. Lumos Maxima, incantation informulée, dévoila le croque-mitaine. Crainte confirmée au premier regard qui languit sur la silhouette élancée, à la recherche d'un indice, de l'insigne du ministère, qui roule jusqu'à la baguette entre ses doigts, preuve suffisante. Un aigle ? Sourire insolent qui déjà, rida les lèvres du prince. Pas sûr qu'il puisse faire appel à Genesis pour le tirer de ce merdier.

« Il se fait tard, mon brave monsieur. Vous espérez une augmentation en travaillant ainsi en dehors des heures de bureau ? »

Les bottes en cuir d'un noir de jais de Yesugei martelaient le pavé froid et humide de la ruelle. Il faisait ascension dans ce quartier, formant une ligne impénétrable avec ses acolytes. Tous étaient vêtus de leur uniforme noir, à l'exception du chef d'escouade Greyback, qui arborait une tenue grise tirant sur le vert, Le col roulé lui sied au corps, les épaules larges recouvertes par un long manteau au liseré noir. Ses gants en cuir se froissaient dans un son reconnaissable entre mille à mesure qu'il pressait ses mains l'une contre l'autre. Il fit craquer ses doigts à mesure qu'il avançait, le regard droit devant lui, observant chaque parcelle de pénombre, à l'affût du moindre son ou de la moindre odeur. Le bruit du vent, un quelconque murmure dans la nuit, le froissement d'une étoffe, l'odeur de la peur, ou d'un parfum; il attendait le moindre signal qui lui confirmerait la présence de plusieurs individus, comme on le lui avait signalé. Cela faisait plusieurs jours qu'on lui avait déposé ce dossier sur son bureau; Yesugei et son escouade d'hybrides avaient été spécialement réquisitionnés pour l'occasion : rien de tels que des chiens à l’adorât développé pour traquer des proies. Parmi la troupe se trouvaient deux ou trois cabots de la meute Greyback, que Yesugei avait enrôlé lui-même. Le reste se composait d'hybrides quelconques, parfois demi-vélanes, parfois demi-harpies, mais souvent lycanthropes. Ils étaient généralement les hybrides que l'on recherchait le plus pour rejoindre le Ministère; il était toujours plus aisé de tenir un chien en laisse que de le laisser se rassembler avec ses congénères pour vous attaquer. Aussi, avec le pacte négocié par Lars Greyback et la Coalition, la condition des loups Greyback avait été scellée : ils évitaient le bagne, l'esclavage ou l'exécution, en échange de leurs loyaux services.

« […] Nos voisins sont des abjects individus au sang souillé. Nous faisons confiance à notre bien-aimé Ministre de la Magie pour nettoyer nos beaux quartiers de ces rats qui pullulent. […] » La lettre avait été envoyée au service du Ministère, puis transmis au bureau des Aigles qui se délectaient de ces délations en bonne et due forme, qui leur permettaient de mettre la main sur des hybrides non recensés. Il ne faisait pas bon vivre aux côtés de certaines familles de sang pur, et gare à ceux qui se montraient trop imprudents. L'enveloppe avait fait le chemin jusque dans le dossier que le superviseur avait tendu à Yesugei. Deal with it. Swiftly, avait sifflé le sang pur entre ses lèvres gercées, à l'égard du Greyback, lui jetant presque le dossier au visage.

Les alentours étaient plongés dans les ténèbres. La lune était absente, cachée derrière d'épais nuages grisâtres, tandis que l'air était plutôt doux. La brise légère qui soufflait servait tout juste de transporteur à odeurs. Des effluves que Yesugei et ses acolytes loups n'avaient aucun mal à analyser en quelques secondes à peine, humant l'air ambiant sans distinction aucune. Leur démarche était assurée, leurs pas déterminés battaient le pavé à un rythme régulier, presque effréné. Il n'y avait pas une minute à perdre. Les informations qu'on leur avait transmises quelques heures auparavant avaient généralement une durée de vie assez courte; la fuite des traqués ponctuait bien souvent les affaires sur lesquelles était balancé Yesugei.

Our little nark in the neighbourhood told us an interesting tale that you may want to hear, Greyback. avait chantonné un des Aigles à l'oreille du chef de meute. Et c'était ainsi que l'Alpha s'était retrouvé à arpenter les rues du Chemin de Traverse à la recherche du fameux colis.

L'ascension s'arrêta net lorsque Yesugei leva la main d'un coup sec. L'ordre silencieux avait été vif, à tel point que les acolytes pouvaient sentir leur cœur battre la chamade dans leurs oreilles. L'adrénaline montait en flèche, les narines grossissaient alors que l'air se remplissait d'odeurs particulières.

— They're here. A few people. Il marqua une pause. Il fixa deux de ses acolytes. Scatter around. If they escape, chase them.

Les instructions avaient été claires, rapides, sans ménagement, comme à l'accoutumé. Yesugei n'aimait pas faire dans la dentelle, tout comme il n'aimait pas traquer des hybrides, encore moins lorsqu'il s'agit de possibles semblables. Cependant, sa position d'Alpha ne lui permettait tout de même pas d'outrepasser les directives de Lars, et il avait ployé le genou comme l'ensemble des Greyback. Il servait la Coalition, for now.

Les deux acolytes s'étaient dispersés et les deux autres restaient sur le qui-vive, attendant sans broncher les prochaines instructions. Yesugei tendit l'oreille, croyant percevoir le son distinctif d'un transplanage, sans pour autant en être sûr. Ce dont il était certain en revanche, c'était que les odeurs s'étaient amoindries; soit il ne restait plus qu'un fuyard, soit ils étaient en train de se cacher.

— You two, go back to the neighbourhood where they live, they might pull our strings and hide in their own rat hole. Les deux se toisèrent un instant avant d'être méchamment rappelé à l'autre. Now! Vociféra Yesugei.

Le chef de meute se retrouva à présent seul, englouti par le silence et les ténèbres. Ses yeux tentaient de percer ce voile de jais. Il dégaina sa baguette magique d'un geste vif, avançant à pas de loups. L'inconnu se rapprochait, Yesugei pouvait aisément le sentir. Il ne devait être qu'à une dizaine de mètres, face à lui. Il hésita quelques secondes; devait-il foncer dans le tas ou attendre une quelconque réaction ? Il n'eut pas le temps de répondre à sa propre question que les alentours s'illuminèrent soudainement. Un Lumos Maxima informulé avait dû être lancé, dévoilant un jeune homme à la peau halée et aux cheveux sombres. Ses traits semblaient innocents, mais la baguette magique qu'il tenait entre les mains pourrait rapidement se transformer en arme. Aussi, à cette heure de la nuit, ça ne pouvait être un simple marcheur nocturne. Yesugei esquissa un sourire; mon brave monsieur, avait-il dit.

— Don't spar with me, little fellow. We both know you shouldn't be out of bed at this late hour. So, lets take a shortcut and spare us the burden of an undesired little talk. What are you doing here?

De son mètre quatre-vingt-cinq, l'Alpha s'était avancé doucement à mesure qu'il avait parlé, se rapprochant dangereusement de Nile, comme un prédateur se rapproche de sa proie. Il n'était qu'à quelques centimètres de lui, plantant ses iris sombres dans les siennes, la baguette fermement tenu dans sa main droite.

Les as-t-il vu ? Dans l'obscurité, Nile se permet presque d'en douter. Avec un peu de chance, il confondra le bruit du transplanage avec le claquement de ses chaussures sur le pavé. Une bonne chose que nous ayons privé le quartier de sa lumière, se félicite-t-il en inversant le sortilège. Que la lumière soit, et la lumière fut. Aura de mystère levée sur l'homme aux origines qu'il discerne asiatiques, au regard sombre, à la carrure olympienne et à la démarche menaçante. Tant d'alarmes qui se déclenchent et pourtant, l'omanais reste de marbre, toise le nouvel arrivant d'un regard neutre glissant de ses cheveux de jais jusqu'aux bottes de cuir, s'attardant sur les traits d'un visage qui pourrait aisément être séduisant s'il n’exsudait pas d'une telle froideur. Le bras de l'omanais tombe le long de son corps, baguette pointée vers le sol après avoir illuminé les cieux : avec un peu de chance, on le prendra pour un flâneur nocturne un peu paranoïaque, et celui qui l'épiait décidera de passer son chemin ou, au moins, renoncera à venir le renifler de trop près. Par les temps qui courent, personne n'osera le lui reprocher. Pour autant, il évalue déjà la situation, dans l'optique qu'elle déraille -ce qui lui semble déjà plus probable- d'une façon ou d'une autre. Il devine qu'il s'en tirerait seulement en baratinant quelques affabulations mais son regard jauge les potentielles voies par lesquelles il pourrait s'enfuir au cas où le bonhomme, qui avait commencé son avancée, ne les juge pas suffisamment convaincantes. Heureusement que le chemin de traverse ne manque pas de ruelles dans lesquelles se perdre. Et tandis qu'il approche, sa voix grave résonne contre les murs de briques et le force à observer la vague qui s'apprête à l'engloutir, plus impressionnante à chaque pas. Paroles fermes et autoritaires qui, si elles échouent à le faire trembler, ont au moins le mérite d'invoquer une moue scandalisée sur le visage du briseur de sorts.

''Little fellow''? Le sobriquet siffle comme une insulte et l'omanais réagit en conséquence. Puisque l'inconnu aimait se prendre pour sa mère, il lui réserverait le même traitement qu'à elle lorsqu'il lui prenait de le réduire à ce genre de nominations condescendantes : en plaquant ses poings contre ses hanches et en affichant une mine boudeuse.

« ''Undesired little talk"? répète-t-il de son accent mélodieux. Speak for yourself, giant twig. I, for one, would love to chat. » Rictus insolent en guise de sourire, bien loin de se laisser intimider par la stature imposante de l'inconnu, dont l'ombre l'avale entièrement. « People casually strolling at night, especially in this day and age, are sure to, at least, be interesting. If not cautious. » Déjà l'orgueil le tire dans la mauvaise direction, et lui fait perdre de vue son objectif : sortir de là sans trop se froisser les plumes. Mais que voulez-vous, il est incorrigible. Quant à sa question, elle entraîne un petit moment de flottement pendant lequel il se demande si il ferait mieux de continuer à jouer la carte de l'impertinence au lieu d'essayer de se trouver une excuse, bien conscient que sa présence en un tel lieu, et à cette heure de la nuit ne pouvait être que suspecte. « I work at Gringotts, some issues with a dragon kept me there late. Almost ate a golbin. I hate when that happens. » Finit-il par répondre d'un ton nonchalant en haussant les épaules, soutenant le regard froid de son interlocuteur curieux. Duperie basée sur une anecdote de son frère dresseur de dragon à la banque des sorciers, mensonge au fond de vérité : la marque des meilleures tromperies. « Just getting home, when I heard you creeping around. »

Il ne fait cependant pas beaucoup d'effort pour paraître convainquant, le fou, ses tendances défiantes aiguisées par l'air supérieur qu'on ose lui faire subir et qu'il considère provocateur. N'étant plus protégé par le couvert de la nuit, soumis au regard inquisiteur de l'omanais, l'identité du chien de chasse est rapidement percée à jour. Qui d'autre aurait le toupet d'antagoniser ainsi un honnête citoyen comme lui ? L'on ne saurait méprendre sa posture, ou sa réactivité à la baguette pour celles d'un marcheur lambda. Au moins Nile était heureux de voir que son instinct ne lui faisait pas encore défaut. Et sur son visage, un air railleur d’irrévérence que l'aigle aura tout le plaisir d'admirer du haut de ses longues pattes, réaction viscérale envers les vautours qu'il méprisait depuis leur création, mais dont la rancœur s'était mutée en aversion totale depuis que l'un d'eux était presque parvenu à le jeter en prison. D'aucuns penserait que cet incident le prompterait à y réfléchir à deux fois avant de vouloir faire le malin à nouveau en leur présence, mais ce serait mal le connaître.

« My turn now ! » S'exclame-t-il alors en croisant ses bras sur son torse, le farceur au sourire effronté. « I would ask you what you're doing here too but I think I figured it out, so ... » Regard vers la baguette fermement serrée entre les doigts de marbre. « How's the hunt going ? » Dog.

Haussement de sourcil trop malin pour son bien, comme à l'accoutumé. Leçon qu'il ferait bien d'apprendre un jour : celle de se mordre la langue avant de parler.

Tomber nez-à-nez avec un inconnu, à cette heure du soir, les alentours étrangement plongés dans le noir; Yesugei avait tous les droits de se montrer suspicieux. Rien que son manteau d'Aigle lui donnait le droit d'être suspicieux, de toute manière. Il toisait l'inconnu de ses opales sombres, deux billes d'un noir de jais qui scrutaient chacune des expressions du visage de Nile. Il émanait de ce garçon une certaine candeur, une insouciance presque. Yesugei était perturbé. Autant il ressemblait à un gamin, autant sa barbe de quelques jours le rendait plus masculin et mature. Pour sûr, l'Alpha le trouvait bien à son goût; le teint basané, l'insolence dans le regard, son expression corporelle. Tout indiquait qu'il ferait un merveilleux en-cas.

Les pupilles de Greyback s'attardèrent un instant sur la baguette magique de son interlocuteur. Ce dernier avait baissé son arme, le bras ballant le long de son corps, Yesugei était perturbé; se pouvait-il qu'il soit tombé nez-à-nez avec un innocent badaud ? La question trottait dans son esprit alors qu'il reportait son attention sur les traits juvéniles du visage de l'omanais. Pourquoi diable cette partie du Londres sorcier, à deux pas du Chemin de Traverse, se trouverait-il plongé dans le noir le plus complet ?

Yesugei renifla en guise de désapprobation face à la désinvolture du jeune homme; giant twig, uh? Le rictus de l'insolence se dessina sur les lèvres de Nile. Ce dernier ne devait pas beaucoup chérir la vie, se dit l'Alpha. Il se targuait de vouloir une petite discussion ce soir. Soit, c'était ce que l'Aigle pouvait bien lui donner; après tout, un petit interrogatoire en bonne et due forme pourrait lui permettre d'en apprendre davantage sur qui il était et pourquoi il se promenait à une heure aussi tardive.

— Undesired little talk. Répéta Greyback de sa voix rauque, comme pour lui confirmer qu'il n'était clairement pas le bon partenaire de discussion à avoir, surtout maintenant.

Face au silence de Yesugei, le jeune homme poursuivit presque aussitôt, indiquant qu'il travaillait chez Gringotts et qu'une affaire avec un dragon l'avait retenu tardivement. C'était apparemment la raison pour laquelle il était sorti si tardivement de son lieu de travail, pour rentrer chez lui. Le doute qui taraudait l'Aigle persistait; il était pour le moment incapable de définir s'il disait la vérité ou non. Et le manque de discernement commencerait rapidement à l'agacer. Peut-être que s'il le secouait comme un prunier, l'autre finirait par se mettre à table.

— I do not like goblins. Commenta Greyback, sans expression aucune sur le visage, si ce n'était ce regard suspicieux qu'il continuait de lancer à l'encontre de Nile. That's interesting to see how devoted you are to your job. I may refer this to my Gringotts' contacts; surely you need to be compensated for all that hard work, don't you?

Baissant d'abord la tête, s'assurant d'ajuster le badge des Aigles sur son manteau, assez lentement et minutieusement pour que le Shafiq le remarque aisément, Yesugei reporta ensuite son attention sur l'omanais. La récolte d'informations permettait toujours soit de gagner du temps, soit de tenter de démasquer de possibles imposteurs. Dans l'attente de sa réponse, il était aisé pour tous les deux d'observer les alentours, et si Yesugei avait repéré les différents moyens d'échappatoire et quels raccourcis permettraient de les couper en cas de poursuite, il était persuadé que son interlocuteur aussi. Il y avait deux possibilités : soit c'était un idiot fini qui ne faisait que rentrer chez lui, et Greyback aurait perdu un temps considérable, soit il s'agissait bien d'un des suspects, et dans ce cas, la partie de chasse ne faisait que commencer.

En parlant de chasse, c'était justement la remarque que venait de faire l'interlocuteur. Après tout, il était aisé de le deviner; une tenue sombre, un badge officiel, des questions inquisitrices. Il ne fallait pas être Einstein pour s'en douter.

— How smart you are, little fellow. Railla Greyback, alors qu'il s'approcha encore un peu plus de Nile, dévorant les quelques centimètres qui les séparaient. Là, il se pencha légèrement en avant, approchant son visage de l'oreille de l'omanais. Il s'assura que ce dernier puisse sentir l'air chaud s'échappait de ses lippes alors qu'il lui murmurait une douce mélodie. But tell me, how smart are you to actually escape from my claws? I believe a little lamb is trying to fool me, tonight, and I'm up for a little run. Une menace bien placée était toujours plus efficace que des discussions inutiles. Unless you want to confess something to your big bad wolf? Terminant son murmure, Yesugei laissa son visage proche de son interlocuteur mais tourna légèrement la tête vers lui, s'assurant que son regard sombre s'ancre dans le sien.

L'adrénaline et l'excitation lui montaient au nez. L'excitation de l'enquête, l'excitation de la chasse, pour sûr; mais peut-être aussi l'excitation de ces deux corps si proches, et l'impression qu'il pourrait ne faire qu'une bouchée de ce charmant jeune homme.

Force et intimidation : l'artillerie des puissants. L'insigne brille sur son torse saillant, fièrement attaché sur le tissu mêlé à la nuit. Il réajuste ce qui n'a pas besoin de l'être, et Nile plisse des yeux. Pffeuh. Il réitère son dédain pour les paroles en n'en usant que peu, et cette fois, c'est un sourire qui étire ses lèvres. Manque de chance, le chasseur s'est trouvé une proie bien bavarde. Il en va de son salut, après tout. Un regard appuyé sur le sorcier lui suffit pour comprendre qu'il lui faudra au moins ça pour se tirer de cette délicate situation. Diable, un boursouffle ne ferait qu'une bouchée de lui en duel. Sa baguette lui serait aussi utile qu'un bâton de réglisse si ils devaient en arriver là. Ce qui, bien sûr, n'est pas dans les plans de l'omanais. Chacuns ses armes, et par chance, il s'orgueille bon comédien, bon charlatan.

« Who does? » Rétorque-t-il à la réplique en croisant les bras contre son torse, dont la peau vibre un peu plus à mesure que les battements de son cœur gagnent en intensité.

Cette sensation de danger, qui le garde aux aguets mais qui semble également l'enivrer. La marque du fou, de l'inconscient, qui préfère s'y soumettre que de s'y soustraire. Parce que tout ceci n'est qu'un jeu pour le briseur de sort, et à force d'en ressortir toujours gagnant, il doute de pouvoir perdre un jour. Mais cet Aigle, déjà, représente un challenge qu'il ne peut ignorer.

« They're rude, pretty ugly, and they never seem to want to talk either. »

Réplique sournoise délivrée par un rictus effronté. Deux de ces choses qu'il pourrait attribuer à son inconnu également, celui-là même dont le faciès figé le motive d'autant plus à tenter de lui tirer quelconque réaction. Qu'il s'en amuse, ou qu'il montre les crocs, quoi qu'il en soit, il gage qu'il n'en sera que plus sublime.

Une impassibilité presque déconcertante qu'il viendra à lui envier quelques instants plus tard à la mention de contacts au sein de la banque sorcière, qui suscite chez l'omanais un haussement de sourcil et un léger malaise. Si le chien de garde a le regard assez aiguisé -et Nile ne doute pas que ce soit le cas-, alors il remarquera sa poigne se resserrer légèrement sur le bois de sa baguette toujours au repos. Se détendant rapidement, il parvient à gratifier son interlocuteur d'un haussement d'épaules à l'air nonchalant.

« Devoted ? Sure, let's call it that. I couldn't just let that goblin get eaten. They think they can, but dragons can't digest them. Try explaining to some rich wizard that the beast supposed to defend their vault can't even move it's tail. »

Défiant directement son dédain pour les badinages non-désirés, aussi bien pour noyer son léger trouble que pour son propre plaisir, Nile observe attentivement les traits de l'homme. Peut-être sa peau se riderait-elle en une moue agacée, auquel cas le diablotin se jugera victorieux. Rien (ou presque) ne lui procure plus de plaisir que de contrarier un Aigle.

« But some kind of risk premium sure would be nice, I suppose. Spread the word, good sir, perhaps a word from someone like you could convince my boss -son père- to not be so stingy. » Le compliment ruisselant d'hypocrisie, il pense cerner son bluff, et décide de jouer le jeu.

Pourtant, son frêle château de carte tremble sous le souffle chaud qui caresse sa joue quand le chasseur semble perdre patience. Il l'a eu, sa réaction, mais sa victoire sera de courte durée. La faible distance les séparant s'amoindrissant encore après quelques courtes enjambées, le briseur de sort n'a pas le temps de se reculer que ses lèvres susurrent déjà à son oreille, le timbre de sa voix rauque si près de son tympan provoquant des frissons s'insinuant jusque dans chaque recoin de son être, promptant ainsi son cœur à s'agiter plus encore. De peur, peut-être ? Ou est-ce la proximité et la chaleur de ses expirations sur sa peau ? Mâchoire serrée, regard ancré sur un mur en face de lui, Nile n'ose pas bouger la tête. Il n'ose pas bouger le petit orteil, en réalité. Peut-être sait-il mieux que tenter de s'échapper de ses griffes justement : leurs corps ont beau être séparés, il les sent pourtant bien ancrées. Un pas en arrière, et il bondirait, il l'a bien compris.

« Am I the lamb in this situation ? »

Le murmure aux tonalités faussement ingénues lui permet de retrouver une contenance, et c'est d'un regard innocent qu'il confronte enfin les iris sombres de son grand méchant loup. Il y contemple la froideur, l'étincelle du traqueur qui a ferré sa proie et qui attend désormais le bon moment pour frapper, s'y perd le temps d'un instant lourd en tension. Son sourire n'est qu'un vestige du ricanement qu'il retient suite à l'appellation. Oser se désigner ainsi exige un certain penchant pour le dramatique, et Nile se sent tiraillé entre l'envie de se moquer ouvertement, de lui cracher au visage ou de poursuivre sur cette voie qui, il le devine, ne le mènera pas hors de ses filets.

« Listen, il intime, cette fois d'un ton plus sérieux. Look the other way. L'audace de la confession qu'il a réclamé. Vaine ? Sans doutes, il ne saurait dire. Rien dans cette confrontation ne lui semble familier. L'adrénaline appelle à la fuite, sa baguette le démange, mais il se force à tenir son regard. Et puis, c'est à son tour d'étendre le cou et de murmurer à son oreille : I can make it worth your while. » Il change son arme d'épaule.

L'agneau n'est peut-être pas parvenu à tromper le loup, mais il ne se laissera pas dévorer aussi aisément.