Fête Galante (Amos)

Février 1910.

    « Tu sors ? » La voix inquisitrice de Bryone retentit lorsqu’elle observe le visage d’Amarante se reflétant dans la psyché aux dorures opalescences, la jeune femme effleure ses crayons et son carnet, pose ses mains sur les figures esquissées, il y a dans les postures suggestives le manque d’Aloysius, les traits de l’homme décédés entre les marges gravées de vers. Oui, répond-t-elle, se levant majestueusement.  « Tu l’auras certainement deviné à ma robe » Le rire doux, apaisé, s’échappe d’entre les lèvres qu’elle a scintillantes. Elle s’est permise la fantaisie d’un léger rouge à lèvre, rose coquillage pour relever le teint boticellien. Et, sur son corps, épousant ses hanches, épousant ses seins, épousant ses jambes élancées, la robe de nuit, noir d’ébène aux tissus évanescents, un voile de lune et des paysages crépusculaires, des points en étoiles sur la jupe poétique. Elle s’est coiffée d’un chignon libéré où quelques mèches s’échappent sur sa nuque blanche. Bryone a l’air inquiet, jalousie tapie dans le regard mais l’angoisse et la haine franche dans le rictus.  « Ne tombe pas amoureuse. » Rituel habituel où se niche la sororité des sœurs, fais attention à toi entend Amarante.  « Bryone, je vais bien et je ne rentre…. » pas tard… Mais les mots se taisent et les pupilles s’amusent, s’excitent.  « Peut-être que je ne rentrerai que demain matin. » Et la Lilith s’enfuit dans ses mouvements fluides, la souplesse de la panthère quand la silhouette se faufile et transplane jusqu’à l’allée des embrumes.

 Elle l’avait rencontré une soirée donnée par des amis, amusée mais ennuyée, elle avait croisé ses iris, orbes reflétant le styx. Elle n’avait rien dit, ne s’était pas approchée, elle avait attendu, toujours immobile dans l’ombre de l’alcôve lovée dans le salon de cette famille de sang pur. Amarante l’avait admiré, admiré sa carrure, sa posture, ses mains. Des mains d’homme comme elle les aimait, imaginait déjà les faits, les gestes, le quotidien. Puis elle avait fermé ses paupières et il s’était rapproché. Ils ne s’étaient presque rien dit mais elle l’avait emmené longer les couloirs de la demeure connue, l’avait emporté sans sa permission pour le piquant de la rencontre, vers les hautes falaises des côtes Ecossaises. Je vous ai vu poser des grains de délire dans les bouteilles, mais je ne pense pas que les réactions soient intéressantes pour s’y pencher concrètement. Avait-elle rit, oui elle avait rit dans le vent de minuit.

 Devant l’immeuble elle attend, femme attirant les regards par sa robe si luxueuse et son visage d’ange à qui l’on donnerait la terre. Assise sur un banc elle dessine comme à chaque fois qu’elle se concentre, des traits rigides formant le spectre de l’immeuble, une couleur, le rouge, pour les briques, elle veille cependant à la silhouette qui se retire de l’entrée. Il a l’élégance des Apollons, la marche d’un tigre. Apparaissant devant lui, le sourire doux et déjà séduit, Amarante tend la main vers la sienne.  « Tu peux me faire confiance… Je ne te mangerai pas. » Des lippes jaillissent le rire de colombe, le sous entendu qu’elle maîtrise.  « Monsieur Gaunt n’a peur de rien ça c’est une certitude et je me porte garante de ma conduite. » Elle continue dans l’affront, la provocation. Il y a un côté mignon qui grésille cependant, la complicité déjà au bord des creux du sourire sincère. Ce qu’elle dit, le désire de partager un moment avec cet inconnu côtoyé depuis trois semaines. Impatiente, elle s’engage, enlace ses doigts vers les siens afin de l’amener directement vers le château abandonné, vestige puissant des Kirchner ayant délaissé la bâtisse.