Le peintre et le voleur | ft Orfeo

Londres, sacrée putain, tu m'avais manquée. Le train démarre et l'entraîne loin de la gare de King's Cross. Il n'est là que depuis quelques jours et déjà il se tire. Est-ce vraiment si étonnant pour quiconque le connaît? Eliah ne tient pas en place. Londres ou pas. Il avait tellement d'endroit à revoir. De gens à chercher. Enfin… Non, pas tant que ça. Il avait trouvé Perseus sans trop de mal. Selina n'avait pas bougé. Les autres pouvaient attendre… Non… il ne manquait finalement qu'Orfeo. Celui pour qui il était rentré, au final. En quelque sorte. C'était à l'ancien appartement, la dernière adresse qu'il lui connaissait à Loutry Ste Chaspoule, que le hongrois était venu frapper. Pour trouver porte close. Le peintre? Il est parti. Ou? Oh ça, j'sais pas, moi. Vous en posez des questions, vous. Ma mémoire, c'est plus c'que c'était, mon p'tit monsieur. Peut-être que dix livres pourraient l'aider à se remettre d'aplomb. Eli avait ri, en allumant une cigarette qui sentait bon la cerise et les mauvaises décisions. "On n'arnaque pas un arnaqueur, mon ami. Ce tour-là, je l'ai éculé. Avec ou sans toi… Je le trouverais." Une promesse qui lui était plus destinée qu'au pauvre type qui avait haussé les épaules et était retourné à sa bouteille. Oh… il le trouverait. Même s'il devait retourner Londres et l'Angleterre pour ça. Et quand il tomberait dessus par hasard… Il trouverait le moyen de dire que tout était calculé – évidemment.

Il s'enfonce dans son siège et pose ses bottes de cavalier sur la banquette qui lui fait face. Après tout… il est seul dans le compartiment. Non pas qu'il se serait gêné si ça n'avait pas été le cas, mais… Il baisse son haut-de-forme sur ses yeux. Il a le temps pour une sieste : le voyage jusque Pré-au-Lard est long. Et le train est affreusement ennuyeux. Sans doute le plus ennuyeux des moyens de transports. Autant dormir. Il remonte le col de fourrure de son manteau et ferme les yeux, clodo magnifiquement sapé – tout est une question de classe.

La nuit tombait lorsqu'il descend à la gare, son sac à l'épaule, comme l'aventurier sans racine et sans fric qu'il est. Pourquoi Pré-au-Lard? L'envie de retrouver une ville qu'il n'avait pas fréquentée depuis… un sacré bail. Et puis… c'était là qu'il avait rencontré Orfeo. Alors qui sait, peut-être que les pierres auraient des secrets à lui raconter… Elles… ou les poivrots de la Tête de Sanglier, qui sait. Et puis… un pèlerinage de temps en temps, ça ne fait jamais de mal. Ses bottes claquent sur la pierre du quai. Quelques sorciers lui jettent un regard intrigué. Il s'allume une cigarette. L'avant-dernière du paquet… puis il faudrait revenir à la pipe : aucune chance de se procurer de ces excellentes clopes russes au parfum sucré ici. Ou peut-être bien que si? Enfin : c'était une recherche pour un autre jour. Eli passe sa main dans sa crinière en bataille, fume de l'autre. Les yeux sombres observent, repèrent. L'habitude de faire des mauvais coups. Pourtant… Il n'a que l'envie de se gorger de souvenir ici. Peut-être passer dire bonjour au patron du pub qui l'avait embauché il y a douze ou treize ans. Si tant est que le vieux était toujours en vie : il était déjà croulant à l'époque, alors une décennie plus tard… Il recrache un épais nuage de fumée. Tout à changé et tout semble pareil. Peut-être est-ce lui qui est différent? Il faut dire qu'il est arrivé la première fois à Pré-au-Lard en adolescent de même pas seize ans, fugitif d'une école trop sectaire pour lui, parlant un anglais approximatif, mâtiné de mots de rom et de hongrois. Cela n'avait pas empêché Orfeo de l'approcher. Ou peut-être… Avait-ce été le contraire?

Il ne se rappelle plus bien. Tout ça, c'est si loin. Et puis, ça n'est pas très important. Ce qui comptait, au final, c'était leur amitié non? Enfin… quel ami coupait les ponts du jour au lendemain, hein? Probablement le même genre d'ami que lui, qui s'était tiré sans laisser d'adresse. Mais ce n'était pas la première fois. Il revenait toujours. Souvent un cadeau et une bouteille à la main. S'il n'avait pas le cadeau, cette fois… il avait bien la bouteille, qu'il comptait bien boire tout seul ce soir sur la paille d'une étable qu'on aurait bien voulu lui laisser, ou dans la cabane à outil d'une maison qu'il aurait forcée pour trouver un abri… Encore que la nuit était belle. Il pourrait dormir sous les étoiles.

Il sourit. Il est de bonne humeur. Il faut dire que le contraire serait étonnant, le connaissant. Il est en vie, à de l'alcool, du tabac, un manteau en fourrure… Et… Cette silhouette qu'il reconnaîtrait entre mille, qui vient de tourner à l'angle de la rue. Son sourire s'accentue et il presse le pas, soufflant une nouvelle fumée épaisse.

- Hey, l'ami! Tu n'aurais pas du feu?

Une envie de voir sa tête lorsqu'il se retournera, le reconnaîtra. Eliah a des petits plaisirs simples.