Hungarian Dance | ft Helios

Les deux cavaliers montent en selle. Dans le massif du Metsek, aucune chance de pouvoir se déplacer en voiture. Le cheval est la solution la plus adaptée pour se déplacer rapidement… et discrètement. Ils s'étaient retrouvés dans un village en marge de Pécs ou le hongrois avait fait préparer chevaux et matériel. Tout avait été payé d'avance… presque. Cela avait commencé par un message passé au Fol'Opium. Un jeune homme qui avait besoin d'un guide en Hongrie… Son nom avait été glissé. Il faut dire qu'à Londres, il n'y avait pas tant de hongrois qui connaissaient le territoire sur le bout des doigts… ou presque. Un rendez-vous avait été pris : le commanditaire voulait se rendre au sud-ouest de la Hongrie, pour explorer une piste concernant… Quelque chose qui ne le regardait pas encore. Il en saurait plus une fois sur place… Le nomade avait ricané : tant qu'il était payé, lui, il ne cherchait pas à comprendre. Et puis… Mr Bagshot était bel homme : il y aurait sans doute pire avec qui être coincé pour une expédition de plusieurs jours en pleine nature.

Eliah s'installe confortablement, aussi à l'aise sur une selle que les deux pieds sur terre. La pleine devant eux laissant place à la forêt après quelques kilomètres. "Fais attention. La forêt est traître ici." Le tutoiement lui vient tout seul, comme une seconde nature. Le jeune homme flatte l'encolure du Gidran sur lequel il est juché. Une race fougueuse, difficile à canaliser… mais avec laquelle il s'entendait particulièrement bien. Pour Mr Bagshot, il avait préféré acheter un Lippizan, bien plus docile. Ils avaient suffisamment de route à parcourir pour ne pas prendre le risque de casser une jambe de son employeur à cause d'une monture capricieuse. Et bien lui en avait pris… La tête de l'anglais lorsqu'il lui avait montré les chevaux aurait méritée d'être immortalisée. "J'espère que tu tiendras le coup en forêt, Mr Bagshot. Si tu campes comme tu montes à cheval, je risque de te ramener à Londres en plusieurs morceaux. " Un rire amusé. Quelque chose lui dit qu'il n'a pas fini de s'amuser, avec ce citadin qui se prend pour un aventurier. Il laisse sa monture à se cabrer avec élégance, se maintenant en selle sans réelle difficulté. Par pure crânerie. Il faut dire que l'on est sur un terrain qu'il maîtrise particulièrement bien. Il a appris à monter avant de savoir marcher. Et Helios Bagshot, qui avait tenu à l'accompagner – qui se serait probablement passé de sa présence, d'ailleurs, s'il l'avait pu- risquait d'en faire les frais.

Le hongrois lance son cheval au trot. Il a pris la plus grosse partie du matériel, prévoyant une chute et une fuite du Lippizzan. "Il n'a pas de nom. Il faudra lui en donner un, ça t'aidera à le dompter." Un conseil de gitan : nommer les choses pour se les approprier. Il garde un œil sur l'anglais pour vérifier qu'il n'est pas au bord de la chute. Il lui avait donné les bases de l'équitation. La posture. Quelques astuces. Le cheval à la robe grise est encore jeune, mais particulièrement bien dressé, il fera le reste. "Dis-moi quand on peut accélérer l'allure. Oh. Et n'hésite pas à me dire ce que tu cherches, quand tu seras prêt... ça devrait faciliter mon boulot."

Eli, cavalier du chaos et de l'anarchie, se tient avec aise et sourit de voir le londonien peiner à se tenir en selle. C'est ça de vouloir partir à l'aventure soi-même. On se retrouve dans des positions délicates… Surtout lorsque l'on a un guide dont les yeux brillent avec autant de malice. Il voit bien qu'il n'est pas d'humeur, pourtant. Il voit que ses tentatives de discussion l'agacent… Et c'est peut-être pour ça qu'il continue de plus belle. Peut-être. Enfin… ça serait lui prêter de vilaines intentions, non?

Il s'ennuie. Chevaucher est toujours un plaisir, mais au trot, avec un grincheux et sans savoir ou il se dirige…  Il flatte l'encolure de la jument alezane, prénommé avec beaucoup de modestie Királynő. "Reine"... Elle agite la tête, souffle, aussi frustré que son cavalier de ne pouvoir s'élancer au galop, tester ses réflexes au travers des arbres. Elle est faite pour la vitesse. Eliah sourit. Elle… il compte la garder. Elle lui ressemble trop pour qu'il la laisse retourner à une vie triste dans une étable triste. Si Mr Bagshot ne meurt pas trop vite, la randonnée pourrait durer un peu, le temps de tester ses capacités. Le hongrois lève les yeux au ciel à la mauvaise humeur crasse de son client. Le ton glacial ne parvient pas à le calmer, à lui ôter l'envie de provoquer, de rire, de se moquer. "Alors, tu vas tomber, Mister Bagshot. Et de ce que j'ai pu admirer, tu n'as pas assez de cul pour amortir ta chute." Il se rapproche du cavalier en semi-détresse, se mets à la hauteur du lipizzan de bonne composition. Il bloque un genou dans sa selle de voltigeur et se penche presque à 90 degrés pour atteindre l'oreille de la monture du londonien. "Tu t'appelleras Maradék, mon pauvre ami." Laissé pour compte. Un nom tout trouvé pour le pauvre animal, non?  "Mais ne t'en fais pas, moi, je m'occuperais de toi, même si lui est un grincheux." Une caresse sur la joue du cheval qui ne bronche pas, le regarde de ses grands yeux doux. Une si jolie bête. Une honte de n'y voir qu'un moyen de transport. "Et s'il t'ennuie trop, tu cabres, il va tomber tout seul, tu n'auras même pas à faire d'effort." Le cavalier aux cheveux longs se redresse, revient à sa propre monture, observe la forêt avec un œil toujours neuf. Le Metsek était l'un de ses endroits préférés du pays. Avec les bordels de Budapest, pour être honnête... mais ça n'était pas la même ambiance.

Ceci dit, pour un guide, n'avoir comme indication que le strict minimum n'allait pas l'aider. Mais il attend. Patiemment, serait un bien grand mot, mais il attend. Que le fils protégé se décide à être moins têtu que son cheval. Il tire de son sac de selle une blague à tabac, bourre une pipe d'ébène ouvragée. Y rajoute un rien d'opium. Pas assez pour une chasse au dragon toutefois, il s'agirait de ne pas se disperser… son client grincheux allait lui reprocher de ne pas faire son travail. Il porte le tuyau à ses lèvres, inspire, inhale. La fumée s'échappe par volutes épaisses de ses lèvres, sucrée. Bientôt, plus rien ne l'attendra, pas même la mauvaise humeur du londonien. Puis, excédé probablement, Bagshot lui donne un indice. Les lèvres d'Eliah s'étirent en un fin sourire.

Ah. Il a craqué.

Il avait tenu plus longtemps que prévu ceci dit. Pas mal. Il note pour lui-même la marge de patience de son compagnon de route. Toujours bon à savoir. Puis il réfléchit. Chêne. C'était quoi déjà, que ce mot? S'il parle anglais depuis un certain temps, il faut avouer que la botanique n'était pas sa préoccupation majeure. Chêne, chêne… Tölgy! Un rire, alors qu'il rallume sa pipe, inspire une nouvelle bouffée et la lui tends. "Tu sais combien il y en a, des chênes, dans le Metsek?" L'opium fait effet. Il ne se soucie même pas de devoir errer des jours dans la forêt. A vrai dire… il trouve même l'idée amusante. Le croisement des quatre sentiers par contre… "Hópehely. Oui, ça, je sais ou c'est. On s'est éloigné, par contre. C'est à plusieurs heures de cheval. Si tu veux arriver avant la nuit, Mister Bagshot, il va falloir t'accrocher un peu. Au trot, on y est encore demain." Il reprend la pipe pour peu qu'Helios l'ait acceptée, la vide au sol, la range. Il récupère une longe souple, et vient la fixer au licol du lippizan. Il observe le jeune homme, avec un sourire. "Tu contractes les cuisses et tu accompagnes le mouvement du cheval pour te maintenir en selle, tu te tiens au pommeau et surtout tu gardes les rênes souples pour ne pas donner d'ordres contraires à Maradék. " Le sourire se fait malicieux, el regard glisse le long du torse de l'anglais. Oh. Probablement une illusion.

"Rassures-toi, c'est ta première fois, je ne serais pas trop brusque." Un clin d'œil. Et il lance l'alezane au galop, la guidant d'une main pendant qu'il entraîne le lippizzan de l'autre, la longe enroulée autour de sa main, semblant presque plus à l'aise que s'il devait marcher.

Son sourire s'accentue, alors que l'air fait voler ses cheveux.
Enfin.