can you feel the silence (albus)

Bouche sèche et âme mise en péril. Journée de travail terminée, ongles noirs de crasse et cœur lourd. Le vent est froid lorsque Roisin franchit la porte du manoir d'Amadeus Lestrange, frigorifiée après quelques pas alors qu'elle s'avance bravement dans la rue déjà sombre, cœur battant et yeux larmoyants. Tell me that the night is long; elle s'accroche aux quelques chansons qui continuent à jouer dans sa mémoire, mélodies qui lui sont uniquement adressées – d'elle à elle. Elle grelotte, se pense être la proie d'une mascarade infernale. Elle a besoin d'un sentiment familier, de quelque chose qui la fasse se sentir bien – pas piégée, ni en danger. Roisin a l'esprit piqué au vif, dansant et trépidant. Prêt à attaquer ou à riposter. Tell me that the moon is gleaming.

Les membres engourdis, et sa baguette aujourd'hui seulement utile pour les tâches ménagères ; sortir dans la rue la terrifie. Elle ferme les yeux, et ressent jusqu'à la finesse de ses vêtements qui laisse le froid la pétrifier et mordre sa peau. Roisin rouvre les yeux et rabat la capuche de sa cape sur sa tête, couvrant ses mèches blondes et assombrissant les traits fins mais nerveux de son visage rougi par le froid. Par réflexe, plus que sous le joug de sa raison, elle laisse la pulpe de ses doigts caresser le manche de sa baguette. Fill my glass I'll sing a song.

Sa démarche est précipitée, presque affolée alors que la nuit couvre les rues de son voile noir. Lorsque Roisin pousse finalement la porte du pub d'Abelforth Dumbledore, sa moue se rétracte en un air vaguement circonspect qu'elle peine à dissimuler. Bloody hell. Ses paupières se plissent alors que son regard clair évalue les lieux, à la recherche de son hôte. La commissure de ses lèvres s'étire lorsqu'elle le remarque enfin – et, alors que leurs regards se croisent, Roisin sait qu'elle n'est plus obligée d'être sur le qui-vive. Ses muscles se détendent. Sa démarche est moins saccadée.

« Albus. » souffle-t-elle d'une voix prétendument légère, fardée d'un épais accent irlandais. Elle s'approche de son interlocuteur, défait sa cape, et l'accroche au dossier de sa chaise en bois. « J'espère qu'il s'agit d'une vraie bière. » remarque Roisin en s'affalant sur sa chaise, toisant l'homme aux cheveux noirs d'ébène de ses yeux perçants  - mais joueurs.

Le respect est un concept qu'elle a encore du mal à intégrer ; elle se contente de baisser les yeux lorsque des invités se présentent chez Lestrange, priant Dieu et Merlin pour qu'ils ne la remarquent pas. Qu'elle n'ait pas à ouvrir la bouche. Elle a conscience que son éducation, relativement pauvre et axée sur l'échange avec le voisinage, ne fait pas d'elle une personne polie. Et, forte d'une férocité qu'elle ne se connaissait pas autrefois, Roisin a découvert qu'il y a des choses chez elle qu'elle n'a tout simplement pas envie de changer.

Ses yeux brillent enfin d'une malice qu'elle pensait perdue. Roisin laisse ses doigts tapoter le bois de la table. And yet, at this very moment, she feels normal. Être au pub, boire des pintes jusqu'à en tituber, et rire de ceux qui en sont incapables. Être en compagnie de quelqu'un qui ne la pense pas secondaire - ou potentiellement éphémère.

It feels good to be alive again.

Le manteau de la nuit recouvre l'Angleterre, déchiré ça et là par quelques éclairs. La foudre fend l’air et illumine les cieux un court instant, ramenant le briseur de sorts à lui. Dix-neuf heures à l’horloge. Enfermé dans son bureau, les heures s'égrènent comme des minutes. L’esprit préoccupé depuis plusieurs semaines, Albus perd toute notion du temps. La chute du Ministère a entraîné un cataclysme sans précédent. A son grand regret, il réalise avoir sous-estimé l’ambition de Grindelwald. C’est à la lueur d’une bougie qu’il se repente, hanté par ses péchés passés. Planifiant méticuleusement la riposte, le voilà qui perd l’appétit. Son tourment est un prix bien maigre à payer comparé au sort qui attend les nés-moldus du pays. L’obscurité redouble d’intensité, et il se décide enfin à se lever. Dumbledore enfile sa cape à la hâte, et disparaît d’un coup de transplanage dans l’oeil de la tempête. Saluant brièvement son frère, il lui commande deux verres et prend place au fond de la salle. La discrétion est de mise ce soir, il ne peut pas se permettre le moindre faux pas. Remerciant Abel qui lui apporte les verres, il examine sa main qui tressaillit nerveusement. Si d’apparence il garde son calme olympien, le gallois sent son coeur tambouriner contre sa poitrine.

"Albus." La voix cristalline de la sorcière le sort de ses pensées et lui arrache un sourire. Róisín, la voilà enfin. Galway se déverse de ses lippes et réapprend à étirer la commissure de ses lèvres, envouté par l’accent qui lui avait tant manqué. Il pose sur lui un regard tendre sur elle. S’il est peiné par la terreur, on devine une lueur dans son regard, égarée depuis bien longtemps. Celle de l’espoir. Gardant le silence, il observe la jeune femme s’exprimer. “J'espère qu'il s'agit d'une vraie bière.” Elle le surprend à le taquiner. La légèreté de leurs plaisanteries usuelles lui semble si loin. “Róisín. Bien sûr, elle est pour toi.” affirme-t-il de son timbre de baryton. “Je suis heureux de te voir.” Il approche son siège et plante ses iris dans ses yeux azurés, se voulant réconfortant. Il ne peut pas lui parler de suite de ses projets, il se doit d’abord de l’écouter. “Tu as mentionné les Lestrange dans ton hibou ?” s’enquiert-il, direct. Il ne pourrait tolérer la savoir en détresse. Quand bien même il connaît bien Hestia, il n’a pas encore eu vent d’Amadeus. Sa situation actuelle doit être un fardeau assez lourd à porter pour être exacerbé par des bourreaux.

Albus va droit aux faits, tandis que Roisin accepte volontiers la bière qu'il lui indique. Assoiffée, sans vraiment l'être – probablement soumise au manque, la née-moldue s'empresse d'enlever ses gants noirs, avant d'emprisonner son verre entre ses doigts frémissants. And she remembers – many things. Happy things. Son sourire est plus franc, alimenté par l'amertume de sa première gorgée de bière, boisson qui fait remonter en elle un frisson qui longe lentement sa colonne vertébrale. Ses prunelles se reposent alors sur les traits de son vis-à-vis qu'elle observe l'espace d'un bref instant, avant de se loger au sein de ses yeux. Elle le devine compatissant à son malheur – aimable, comme à son habitude. Bienveillant.

« C'est bon de te revoir, Albus. » lui répond Roisin en reposant sa pinte sur la table en bois, produisant un petit claquement discret. Sa verve est toute relative, fardée d'une éducation à retardement, et d'un doute persistant. La servitude la rend prudente, presque méfiante. Et ce, malgré l'affection qu'elle ressent à l'égard de Dumbledore.

Because you never really know someone, do you ?

« Je suis au service d'Amadeus Lestrange. » confirme Roisin en s'adossant plus confortablement contre le dossier de sa chaise. Machinalement, elle délaisse son verre, laissant le bout de ses doigts tracer des figures sur la table. « Frère aîné d'Hestia Lestrange, que tu connais très certainement – mais détrompe-moi si je fais fausse route. » ses yeux se plissent alors qu'elle sourit, dévoilant ses dents en un petit rire alors qu'elle est essaie de décrire le caractère de celui qui l'emploie désormais. « Il est très...respectueux. Ne t'inquiète pas pour ça, et ne t'inquiète pas moi. »

Elle est sincère. Seulement, Roisin manque visiblement de contrôle sur son existence. Un fait qui emprisonne son estomac dans un étau d'acier, étau qui se resserre tous les jours un peu plus. Elle ne dira pas à Albus qu'elle peine à s'endormir une fois la nuit venue et qu'elle devrait s'estimer heureuse de ne pas être couverte d’ecchymoses. Elle ne lui révélera pas non plus qu'elle a récemment découvert qu'elle était terrifiée à l'idée de mourir. La mort – une idée abstraite qui à présent prend tout son sens.

« Qu'en est-il de toi, Albus ? » demande-t-elle avant de laisser ses phalanges glisser de nouveau vers son verre. Ses yeux clairs l'observent de nouveau. I just want to know that you are doing well. « De bonnes nouvelles à rapporter ? » sa phrase meurt dans sa gorge, étranglée par un curieux optimisme qui frôle le désespoir du condamné à mort. Elle le contemple. Coeur battant. Rêvant d'une échappatoire. Amoureuse d'une existence à présent avortée.

And what are you going to do about this?

Logés au fond du pub, ils se retrouvent enfin. Soir de semaine oblige, l'établissement est presque vide. La lumière tamisée offre un instant de repos aux orbes. Esquinté par le chagrin et l’inquiétude, l’épuisement le rattrape. Si Dumbledore est heureux de retrouver sa comparse, les muscles sont tendus. Il secoue ses boucles brunes et se redresse sur son siège, balayant la fatigue du revers de la main. Il est là pour elle. C'est bon de te revoir, dit-elle. Le gallois tend l’oreille et écoute la sorcière sans l’interrompre. Observant ses quelques tics nerveux, il perçoit dans ses oeillades une crainte sous-jacent. Un crève-coeur. Elle n’a rien à craindre de lui, songe-t-il un instant. Du moins il l'espère, car leur rencontre n’est pas innocente.

Les mots de la née-moldue sont pesés un à un, chargés de non-dits qu’Albus relève pas. Les détails de la perte de la liberté desdits impurs a été étalée dans la Gazette, et la compassion qu’il éprouve à son égard le pousse à garder le silence. Il prend une gorgée du liquide blond, se délectant de l’amertume qui éveille ses papilles. Il est des peines qu’on préfère ignorer, il est bien placé pour le savoir. Il répond à son rire avec un sourire réconfortant, la libraire ne mérite pas son sort. “Hestia, oui bien sûr. Je m’en souviens d’elle.” affirme-t-il calmement. Elle l’a récemment soigné des suites d’une blessure au ministère. Ne t'inquiète pas pour moi. Un rictus nerveux s’esquisse sur le visage de l’occlumens. D’habitude pétillant, l’inquiétude se lit dans son regard. Le quotidien de Róisín a été bouleversé du jour au lendemain. Il se souvient de l’aura qui se dégageait d’elle à la librairie, elle contraste avec la terreur qui la consume à présent de l’intérieur. Grindelwald lui a retiré une partie de son âme, au grand désarroi d’Albus qui réalise l’ampleur de son erreur. Le retourneur de temps même n’aura pas su sauver Ariana ou le monde magique de l’ambition du polonais. Il n’est pas non plus parvenu à le raisonner cette année. Il est à présent trop tard pour reculer. “Je suis désolé pour ce que tu traverses.” souffle-t-il du bout des lèvres, la gorge serrée par l’émotion.

Qu'en est-il de toi, Albus ? La question de l’irlandaise l’interpelle. Les nouvelles ne sont pas bonnes, elle doit le savoir. En tant que briseur de sorts, on le pousse à collaborer avec le ministère, et il accepte pour mieux le renverser. “J’étais à l'ouverture de l’arène, le sort qui vous est réservé me révolte.” murmure-t-il. Vous. Le mot lui échappe. Il approche sa figure de la sienne, s’assurant que seule elle puisse l’entendre. “Tu n’as pas à accepter cette vie. J’ai des projets de rébellion, Róisín.” Une pause. “Joins-toi à moi.”

L'émotion qui fait frémir les traits d'Albus serre le cœur de Roisin qui, jusque là, n'était que prudence. Elle se plait désormais à croire que son vis-à-vis ne lui veut que du bien – elle tend même à le ressentir. Mais les paroles de son interlocuteur la frappent de nouveau, murmures qui lui serrent la gorge et brouillent ses pensées. Joins-toi à moi, lui propose-t-il, rassurant.

« Des projets de.. » répète-t-elle en retour, ses grands yeux clairs traversés par l'ombre d'un doute qu'elle peine à ignorer. Le sorcier réveille en elle une impatience féroce, dardée d'une indignation mêlée de chagrin, implorante face à ce jeu malsain dans lequel elle refuse d'être entraînée. « Est-ce que je suis supposée refuser ta proposition, afin de passer ton test ? » demande l'irlandaise en retour, inspectant les prunelles de son interlocuteur, sentant grandir en elle une frustration qu'Albus alimente malgré lui.

Albus n'est pas frêle, ni chancelant – mais qu'a-t-il du révolutionnaire ? Est-il prêt à se battre pour une cause qui ne le concerne aucunement ? Une rébellion indique un soutien sans faille, sans l'ombre d'un doute, sans l'ombre d'une peur. Et le cœur battant, bien qu'ayant passé de délicieux moments en compagnie de Dumbledore, Roisin le considère désormais avec aigreur. La pense-t-il suffisamment sotte pour supposer qu'elle accepterait cette demande ? « Albus, ne joue pas avec moi. » souffle la suppliciée, yeux larmoyants et poings serrés, ses ongles dessinant des demi-lunes rougeâtres dans le creux de ses paumes. « Je t'en conjure, tu n'as..tu n'as aucune idée de- » de ce qu'on vit. Aucune idée. Il n'a jamais été réduit au silence. « Tu ne sais pas ce-ce qu'on- » tu ne sais pas. Tu ne sais pas.

Tu ne sais pas.
And you will never know.

« Ne joue pas avec moi. » répète-t-elle, alors que sa voix baisse dangereusement d'une octave.

Si sa baguette ne lui est d'aucune utilité en cas de rixe, Roisin n'est pas contre jouer de ses poings si Dumbledore essaie de renforcer sa plaisanterie cruelle. Elle le toise. Il est grand – si grand – et, elle le pensait, si bienveillant. Mais sa bienveillance a pris des allures de farce qu'elle refuse d'embrasser. Too good to be true. Et lorsque que c'est trop beau pour être vrai, elle apprend à ses dépends que c'est souvent le cas. Ses lèvres se serrent, alors que son palpitant vomit un mélange acide de crainte, d'effroi et de rancœur - émotions qui la tiennent aux aguets.

Albus, ne joue pas avec moi, dit-elle. Déchirure du myocarde, l’oeil se colore de peine. Dumbledore appréhendait la réaction de la sorcière. Elle voit juste, les conséquences de cette conversation peuvent être graves. Puis, qui est assez fou pour écouter un membre du ministère parler de rébellion ? Depuis leur premier échange, il a fait preuve de respect envers l’irlandaise,  indépendamment de la nature de son sang. La bienséance anglaise n’avait rien à voir avec ses agissements. Les sourires et les plaisanteries qu’elle lui a arraché étaient bels et bien réels.  le monde magique a déjà tant perdu. Le gallois refuse d’accepter la conjoncture actuelle. Le soulèvement est la seule solution. “Roisin.” souffle-t-il, les lèvres oscillantes. “Je n’oserai pas jouer avec toi.” affirme-t-il avec fermeté. Elle ne comprend pas son implication, et il ne peut pas la blâmer. Il pousse un soupir lourd de signification. L’occlumens est calculateur, mais ses intentions ne demeurent pas moins pures. Il transpire de bienveillance. Ceci dit elle ne le connait pas. Pas vraiment. “Tout comme toi, ma mère était une née-moldue.” Le cœur vacille. C’est la première fois qu’il parle de Kendra depuis des années. Il n’a pas pour habitude d’étaler son passé. “Elle m’a appris que ce n’est pas ce qu’on naît qui importe, c’est ce que l’on devient.” Une des leçons apprises ces dernières années. Il ne mentionne pas le drame qui a emporté sa sœur, lui-même étalé dans tous les journaux à l'époque. Il se contente de marcher dignement dans le sillage de sa génitrice et il n’est pas seul. Homme repenti, le voilà qui s’efforce de réparer les rouages du passé.

Tu ne sais pas ce qu’on… Échec. Le château de cartes d'effondre et l'émotion de la jeune femme le traverse férocement.  Ses phalanges approchent le bout de ses doigts avec une douceur toute masculine, se voulant rassurant. “Tu n’as rien à craindre de moi, je t’en fais la promesse.” murmure-t-il. ”C’est vrai, j’ignore ce que tu as vécu. J’ignore ce qui te tient peut-être éveillée la nuit. Je ne le saurais peut-être jamais.” Une pause. Il relève sa cape et approche de l’irlandaise. Il n’y a à présent plus qu’eux et Abelforth dans les lieux. “Ceci dit j’ai vu ce qui est arrivé à Isaiah, et je ne resterai pas immobile.” Il évite encore de mentionner le nom de Gellert, sujet encore sensible pour son âme noyée de peine. “Tu peux décliner l’offre, je ne t’en tiendrais pas rigueur. Ceci dit je te lancerais  un Oubliette avant de quitter cet endroit, j’espère que tu comprendras.”

Les arguments d'Albus se veulent personnels. Le cœur de Roisin tangue et, chagriné, penche en sa faveur. Et les mots de l'homme persistent dans son esprit - ce n’est pas ce qu’on naît qui importe. Persistent, tambourinent, et la blessent par leur vérité. La née-moldue soutient bravement le regard sombre de son vis-à-vis, et sent son ardeur flancher petit à petit.

Mais il y a une autre vérité, aussi honnête et désabusée que celle de la mère du gallois. There is nothing wrong with me. On essaie de soutirer aux nés-moldus leurs droits, de les faire s'affronter en guise de grotesque amusement public, de faire insidieusement miroiter aux vrais sorciers un monde meilleur dans lequel les nés-moldus sont les sujets ou de la chair à canon, ou des vies facilement dispensables. La société sorcière elle-même est mise à l'épreuve par des peurs profondes, ancrées dans les mœurs de chacun, et d'une manipulation qui jamais ne faiblit. La vérité de Roisin est simple, car malgré ses doutes, ses affaiblissements – malgré cette sensation qu'elle a parfois de disparaître au profit de cette servante qu'ils veulent tant faire d'elle – elle se sait identique à ceux qui l'entourent. Et au moment où elle n'en sera plus convaincue, alors Roisin sait qu'ils l'auront dépossédée de tout ce qu'elle détient encore.

Faite de chair et de sang, comme eux. Elle saigne, comme eux. Elle rit à s'en faire mal, pleure à en sangloter, jure à en faire trembler les murs, rêve à s'en faire sourire, et est fardée d'une nuée de regrets - comme eux.

Les doigts d'Albus se rapprochent des siens, en un geste qui se veut certainement rassurant. On aurait pu les croire amants, à se souffler une myriade de jolies paroles dans un pub vidé de toute vie. Fermement, Roisin pose sa main sur celle de l'homme, l'emprisonne entre ses phalanges. Son autre main se rapproche, et ses doigts défont lentement les boutons de sa manche qu'elle retrousse, dévoilant l'épais rond noir ornant son poignet.

« Je suis marquée, Albus, comme du vulgaire bétail. » la née-moldue baisse son regard vers son tatouage, et l'émotion lui fait perler des larmes au coin de ses yeux rougis  « Si tu dis vrai, si tu ne te joues pas, alors comment puis-je refuser ton offre ? » qu'est-ce ça ferait de moi ?, mais la question meurt avant qu'elle ne puisse la lui poser, car Roisin sait exactement ce que ça ferait d'elle.

Étouffant un soupir las, de nouveau calme, la sorcière desserre son emprise autour de la main d'Albus et reboutonne sa manche.

« Tu n'auras pas à lancer d'Oubliette ce soir. » dit-elle simplement, mais fermement. Elle l'observe un instant, se repaît presque de son regard bienveillant, de ses manières délicates et de ses boucles noires, et sourit faiblement. « J'ai toujours pensé que la rébellion avait des airs de violence. Tu ne me frappes pas comme quelqu'un de violent, Albus, ou comme quelqu'un qui voudrait mourir pour une cause qui ne le concerne pas directement. »

« Alors, dis-moi, qu'est-ce que ça t'apporte ? » demande-t-elle sans aucune agressivité, plutôt curieuse d'en apprendre davantage à propos d'un homme qu'elle ne connait pas vraiment – et qui est visiblement prêt à la recruter dans ses rangs. Et elle, silly, qui ne tarde pas à accepter sa proposition.

L’odeur âpre de l’alcool se perd dans l'éther, les enveloppant de son carcan moite. Réconfortant. Il les sait en sécurité dans l’établissement d’Abelforth. Confinés au cœur du Chemin de traverse, ils sont hors du temps, balayant la guerre qui fait rage à l'extérieur d’un revers de baguette. Si seulement ils le pouvaient. Albus se perd dans l’azur de ses yeux avant de reprendre une gorgée du liquide ambre fourni par son frère. Il voit en Roisin celle qu’il a toujours vue, une sorcière à part entière, érudite, fière. Mais pas libre. La née-moldue traîne derrière elle les chaînes du régime, pesantes sur ses épaules d’Atlas. C’est ce qu’ils veulent. La réduire au néant, a l’ombre d’elle-même, et Dumbledore veut puiser dans cette même ombre pour ramener la lumière, sur elle et ses semblables. Je suis marquée, Albus, comme du vulgaire bétail. Il observe le poignet de la trentenaire, puis ses orbes gonflés de larmes. L’émotion lui enserre la gorge. Ils ne peuvent nier la triste réalité à laquelle elle fait face, l’épouvante qui hante les rues de Londres a coup d’encre et de sortilèges meurtris. Il les a vus au ministère, ces chercheurs qui jouent avec les corps endoloris des rejetons de sans-magie. Il les a entendus crier, un à un puis en choeur, et c’est le souvenir ces mêmes cris qui retentit dans son crâne et le fait tressaillir.

Si tu dis vrai, si tu ne te joues pas, alors comment puis-je refuser ton offre ? Les propos de sa jeune amie lui arrachent un rictus amer, hésitant. C’est cet espoir qui cogne contre sa poitrine et fait naître un sourire. Il se déverse de ses lèvres et vient planter sa flèche en plein dans son cœur. Il la veut auprès de lui. Il l’a toujours voulue, depuis le premier regard, leur premier échange à la librairie. Albus aime s’entourer des capables, des audacieux. Quand bien même sa fratrie le lui a souvent reproché, c’est ce qui lui a permis d’accomplir les plus grands exploits en sortilèges du siècle en date. Cette flamme qu’il perçoit si subtilement au fond de Roisin, il rêve de la nourrir, et de l’utiliser pour embraser tout le Royaume-Unis à ses côtés. “Je ne pourrais rêver meilleure alliée pour les détrôner de leur piédestal.” Ses mots fendent l'air. Tu n'auras pas à lancer d'Oubliette ce soir. Les yeux du gallois pétillent soudainement, heureux face à la nouvelle. Il lève la main, faisant signe à Abel de leur apporter deux verres de whisky, puis il tend à nouveau l’oreille, lui offrant toute son attention.

Tu ne me frappes pas comme quelqu'un de violent, Albus, ou comme quelqu'un qui voudrait mourir pour une cause qui ne le concerne pas directement. Il caresse ses lippes de son annulaire gauche. Elle doute encore de sa parole. “Je ne t’ai pas acheté ces ouvrages pour parfaire ma bibliothèque, Roisin. Je suis briseur de sort, je traverse le monde pour rétablir l’ordre. Je vais m’assurer qu’il revienne dans notre pays, et ce même si je dois y laisser la vie.” Il remonte à la hâte les manches de sa chemise, dévoilant quelques cicatrices profondes à son bras. “Nous avons beaucoup à apprendre l’un de l’autre.” annonce-t-il. Elle la sent encore qui doute. “Devrais-je te prêter serment ?” souffle-t-il en agitant sa baguette.

Les prunelles d'Albus se fardent d'un éclat enthousiaste, ou peut-être est-il seulement rassuré par la réponse de sa suppliciée. Les lippes de la née-moldue s'étirent alors en un fin mais honnête sourire, tout bonnement fascinée par ce revirement de situation. Le compliment qui franchit les lèvres de Dumbledore la fait se redresser quelque peu, et elle sent une passion éteinte qui doucement renaît sous les cendres. Étonnement, il lui redonne le goût de la conversation, et de l'espoir qu'elle pensait avoir perdu. Sa présence est réconfortante. Elle n'est plus d'humeur chagrine, ou dardée de pensées intrusives. Dans sa tête, la rébellion prend forme et commence à l'enivrer d'une vie jumelle, parallèle à celle qu'elle mène dans le manoir Lestrange.

Suite aux interrogations curieuses de la née-moldue, le sorcier illustre ses explications par les quelques estafilades qui marquent la chair de ses bras. Roisin acquiesce simplement à ses dires, intriguée par l'homme et ses secrets qui, elle le devine, sont nombreux. Chaque chose en son temps ; car le temps ne lui manque résolument pas. Elle garde alors un silence pieux, silence presque appréciatif de ses explications dans lesquelles elle se repaît.

Mais ses sourcils se froncent lorsque son interlocuteur agite sa baguette. Devrais-je te prêter serment ? Une question qui la laisse pantoise un bref instant, tandis que ses prunelles fixent de nouveau la baguette de Dumbledore. Elle étouffe le rire qui s'engouffre dans sa gorge, et s'explique.

« Vous êtes amusants, vous sorciers, à toujours vouloir prêter serment. » comme s'ils cherchent à se dédouaner d'éventuels choix – comme si tout ne peut être question que de vie ou de mort. « Chez moi, on jure sur l'honneur. »

La née-moldue se démarque volontairement des sorciers, traçant elle-même cette limite qui lui a été imposée. Mais, cette fois-ci, il s'agit d'une force. Sans fioriture, et sans pression – car les mots sont allègrement dispersés, mais peuvent être repris aussitôt. L'honneur et les promesses. Si Albus lui ment, s'il s'avise de se jouer de sa naïveté, alors Roisin saura quel genre d'homme il est. C'est ce qui lui importe – elle sait déjà qu'il s'agit d'un sorcier redoutable, mais ce sont les aléas de son cœur qui l'intéressent.

Roisin tend ses doigts vers Albus, paume tendue vers le ciel, alors qu'elle lui adresse un regard intrigué. Elle a parfois l'impression que les moldus sont moins compliqués dans leurs démarches que les sorciers – une simplicité presque enfantine aux yeux de ses pairs qu'elle a toutefois conservée.

« On jure sur l'honneur, sur notre vie et sur celle de ceux que l'on aime – puis, on se serre la main » Roisin fait tressaillir ses doigts. « et, enfin, on boit. » elle baisse ses yeux taquins vers les deux verres de whisky qui viennent de léviter vers leur table.

Et c'est aussi simple qu'elle le laisse entendre.

« Ce n'est pas théâtral. C'est simple, rapide - et ce ne sont que des mots. Tu peux choisir d'être fidèle à ce que tu dis, ou te détourner de ta propre parole. » Roisin s'humecte brièvement les lèvres, et termine ses explications sur un ton plus doux, plus affectueux « J'ai foi en toi. Je n'ai pas besoin d'un serment, ou de sorcellerie, pour me persuader de ton honnêteté. »

Albus observe la née moldue de son regard pénétrant, intrigué par sa réflexion. Vous les sorciers. Chez moi. La séparation qui existe entre leurs deux mondes semble encore claire dans l’esprit de la jeune femme. Elle ne manque pas de le surprendre. Ainsi, elle marque elle-même son territoire. Ses idées, et elle ne manque pas de le laisser un instant songeur. Il pose une phalange sur la lippe inférieure avant de lui répondre calmement: “Tu es ici chez toi, Roisin.” souffle-t-il en lui adressant un sourire lointain. Il abaisse sa baguette. “Il est temps de reprendre tes droits.” Il pèse ses mots un à un, conscient du combat journalier que vit son interlocutrice avec la vie. Avec ce régime qui l’empêche lui-même de fermer l’oeil la nuit. Elle ne mérite pas ce sort, pas plus qu’elle ne mérite de l’accepter. En se joignant à lui, il aimerait lui rendre cet espoir qu’elle a perdu. La libérer de la cage dans laquelle on l’a jetée. La gueule du loup se referme et Dumbledore s’efforce de riposter. On jure sur l'honneur, sur notre vie et sur celle de ceux que l'on aime – puis, on se serre la main, affirme-t-elle. Le sorcier se laisse guider par son amie, visiblement pris au jeu. Il empoigne sa main avec une délicatesse toute masculine et contemple la sublime, silencieux. Et, enfin, on boit. Un éclat de rire sincère s’échappe des lèvres du gallois, amusé. Il y a longtemps qu’il n’a pas ri de la sorte. Hypnotisante et légère, l’ancienne poufsouffle a cet étrange pouvoir sur lui, et ce depuis leur première rencontre. La confiance qu’elle a en Albus est rafraîchissante pour lui qui est habitué à ce qu’on doute sa parole depuis la disparition tragique de sa soeur. Balayant la salle vide du regard une dernière fois, il s’exprime soudainement : “Eh bien miss Whelan, je jure que mes intentions envers le régime sont épouvantables.” La phrase est directe, si ce n’est cathartique pour le briseur de sorts. Il meurt d’envie de déjouer Grindelwald et de rendre leur dû au peuple. À Roisin. L’envie de la prendre dans ses bras lui enserre le coeur. Ils se contentent de trinquer et finissent leurs verres.

“J’ai une proposition à te faire.” divulgue-t-il finalement quand bien même Abelforth leur apporte deux autres verres, un sourire en coin. Albus s’arrête un instant pour remercier son frère et reprend, ses mots se faisant plus lents. Il n’a pas encore mangé et l’alcool commence à faire son effet. “Nous avons entendu parler d’une invention moldue, un outil de communication… un, peut-être une radio ? Tu connais cet objet ?” l’interroge-t-il. “Nous aimerions mettre en place la résistance à travers son biais.” Il reprend une gorgée de whiskey. “Pour tout dire, nous sommes un peu perdus. La reine des nés-moldus accepterait-elle d’aider des sorciers ignorants ?” Une pause. “En échange de quoi, je pourrais peut-être t’apprendre l’Occlumancie ?”

Les paroles d'Albus lui font autant d'effet que l'alcool qu'ils ingurgitent en choeur. Le whisky danse sur sa langue, et réchauffe son estomac d'une gaieté qui lui semblait oubliée. Ses sourires sont plus francs, et ses rires plus facilement partagés. Ses pommettes rosissent de nouveau, mais le froid n'y est cette fois-ci pour rien. La présence du sorcier est salvatrice – un goût de liberté la reprend, tandis que ses peurs lui semblent bien lointaines. Elles lui reviendront probablement au matin, mais pour le moment, la née-moldue se contente de se réchauffer auprès de cet éclat d'espoir qu'Albus a pris la peine de lui octroyer. Je ne sais pas comment le remercier. Cette pensée lui serre la gorge. Il s'agit là d'un regret profond, car Roisin n'a rien ; dépossédée de ses biens, elle n'est plus qu'une ombre. Incapable de négocier, incapable d'échanger. Incapable de lui montrer l'étendue de sa gratitude par le biais d'un livre de sortilèges joliment relié.

Le frère d'Albus leur apporte deux autres verres et, tandis que Roisin le remercie d'un sourire grandissant, son interlocuteur recommence à titiller sa curiosité. Les lèvres toujours dardées d'une jovialité retrouvée, la née-moldue acquiesce simplement, invitant silencieusement Albus à poursuivre.

Et le bougre ne se fait pas attendre. Mais ses idées, pétillantes et pleines d'inventivité, la font frémir d'impatience. « Je peux vous aider. » et elle émet ces quelques mots avec une force de conviction qui en ferait sourire plus d'un. Roisin saute sur la proposition sans y réfléchir à deux fois, forte d'un abandon alimenté par ce nouveau verre qu'elle boit encore d'une traite. Lorsque le cul du récipient claque sur la table en bois, l'éclat dans ses yeux n'en finit plus de briller. « Dis-moi simplement où, et quand. »

Sa fierté parlerait en son nom, en d'autres circonstances. Elle le sait. Orgueil tout irlandais, ou propre à ce qu'elle est en tant qu'humain, elle aurait refusé l'apprentissage qu'il lui propose en retour. Aurait prétexté ne pas vouloir s'attarder sur une telle particularité. Aurait changé de sujet. Aurait – tout fait, absolument tout, pour ne pas avoir à recevoir l'aide de quiconque. Albus la fascine toutefois ; de sa voix grave, à ses idées ingénieuses. A cette manière si particulière qu'il a de l'observer ; une proximité dont elle rougirait presque, mais qui la fait se sentir rassurée à ses côtés.

Roisin s'humecte la lèvre inférieure tandis que ses prunelles dardent son vis-à-vis d'un regard amusé. « J'imagine qu'au sein d'une rébellion, l’Occlumancie est certainement une discipline qu'il serait utile d'apprivoiser. » approuve-t-elle – d'une voix un peu trop forte, et certainement un peu trop joyeusement. Qu'importe, puisqu'elle se sent si bien. « J'accepte ton offre, Albus. Je suis très curieuse de voir quel genre d'enseignant tu es. Et, qui sait ? Tu pourrais peut-être même y prendre goût. » La née-moldue se cale un peu plus contre le dossier de sa chaise. L'idée est alléchante et, malgré ses nombreuses prétentions, attraper cette main tendue semble lui ôter un poids des épaules. L'effet est poignant.

« Merci. Merci de - » merci de croire en moi, de penser à moi – non, merci d'être là. « merci pour tout, Albus. » souffle-t-elle, frappée d'une émotion qu'elle ne prend pas la peine de réprimer. Les larmes glissent le long de ses joues ; mais elle n'a pas mal, elle ne souffre pas.

Son sourire n'en est, à vrai dire, que plus grand.