lady luck (edelgard.)

Des noms. Une liste.
Certains raturés, d'autres effacés.
Une liste. Des noms. Oui.
Un registre soigneusement tenu par le tenancière du casino, par une patronne exigeante qui prend soin, de sa propre main, armée de sa fidèle plume à papote, de noter tous les noms des hommes, des femmes, des gobelins, des immondices de ce monde, qui lui doivent de l'argent. Un registre des dettes oui. Payer ses dettes. Une résolution aussi vieille que le monde, aussi vieille que les bordels qui jonchent les rues. A côté de certains noms, une croix, car ils ont trouvé la mort avant la fortune, mais en dessous, d'autres patronymes, les héritiers qui doivent honorer les dettes des disparus. Oh oui, Edelgard est vénale à souhait, elle ne fait aucun cadeau, surtout pas quand on lui doit des pièces. Le son de l'or est une douce mélodie à ses oreilles, elle ne saurait s'en passer et il ne le veut pas, d'ailleurs.
Son doigt, manucure rouge vive parfaite, cherche plusieurs noms. Lettre R, Rowle Barbane Un sourire, ce vieillard lui doit un sacré magot. Rowle Edward et son fils aussi, oh ! on dirait que l'addiction aux jeux est héréditaire. Lettre S. Rictus presque moqueur quand son doigt s'arrête sur le nom de ce cher Scamander Alphard. Sourire sur les lippes qui se dessine délicieusement. Messire Scamander, un homme qui a succombé aux jeux, aux paris, qui a perdu de l'argent, qui a demandé plus, plus oui, trop ? Assurément.

D'un geste, elle ferme le carnet.
« Arrête d'écrire. » la plume s'exécute et la sorcière prend le temps de ranger son carnet dans son bureau tandis que ses pupilles se posent sur l'horloge. L'heure est déjà avancée et Edelgard décide de sortir de ses quartiers. La voici vêtue d'une combinaison verte émeraude, la plume à papote subtilement glissée dans la pochette qu'elle tient à la main et déjà, la sorcière quitte son antre pour pénétrer dans le grand hall et saluer clients habitués ou simples curieux. Les profils sont différents ici, au coeur du casino. Chaque joueur a sa propre histoire, ses propres motifs, mais tous sont habités par le même désir, la même soif, un appât irrésistible, celui du gain !
« Edel. » on l'appel.
« Bald. » elle répond.
Sans se retourner, la patronne reconnaît la voix du barman et ami de toujours, âme soeur aux traits masculins, à la voix grave et à la barbe prononcée. « Monsieur Scamander est là pour toi. » Tiens, comme par hasard. De nouveau se dessine le sourire délicieusement malicieux de la sorcière tandis qu'elle fait enfin face à son héros. Scamander est ici. Elle qui songeait justement à lui faire quérir une chouette pour réclamer son dû, il vient donc s'en acquitter ? Demain, un blanc manteau recouvrira Londres, il ne fait aucun doute ! « Dis lui de me rejoindre à l'étage, derrière les rideaux. » inutile de l'emmener dans ses appartements, encore moins à son bureau. Scamander n'est pas un intime, mais malgré tout, la sorcière préfère régler les problèmes de paiement à l'abri des regards.
L'étage justement. On y accède uniquement si on a mis la main à la bourse ou sur autorisation de la gérante. Moins de tables, un bar privatisé tenu par Bald en personne, des petits salons ici et là, dont certains sont cachés par des rideaux, idéals pour des parties privées ou des discussions à l'abri des regards indiscrets. Croupiers font chanter les cartes, les dés volent et déjà, Edelgard s'installe dans un confortable fauteuil. De sa pochette, elle sort une cigarette qu'elle prend soin d'allumer, jambes croisées.

Le rideau bouge enfin, il est là.
« Alphard. »
Sourire enjoué, la sorcière expire une longue fois sur sa cigarette avant de se contenter d'ouvrir les lèvres pour laisser la fumée s'échappée, belle cheminée humaine tandis qu'elle désigne d'un hochement de tête, le fauteuil face à elle. « Asseyez-vous, je vous prie. » Fraction de secondes, la cendre déposée dans le cendrier à cet effet, silence presque pesant.
« J'ai demandé au barman de nous apporter un whisky chacun. » profitez de ma générosité. Et elle ajoute, sans perdre de temps, car le temps, c'est bien connu, c'est une poignée d'argent. « Je suppose que vous êtes ici pour une bonne raison. Je vous écoute. »

Le chant de l'or.
Douce mélodie aux oreilles de la belle.
Le claquement des jetons, les dés qui sont lancés avec l'espérance d'un bon tirage, les cartes qui sont battues, les croupiers, concentrés sur leurs rôles, font tourner les têtes, tourner les roulettes et l'argent coule à flot. Une soirée comme une autre au sein du casino, où la dépravation côtoie ce qu'elle a de plus beau, mélange de l'élégance, costume pour les hommes, robe pour les femmes, car ici, l'habit fait le moine, à défaut de faire la fortune, le casino offre la possibilité de changer d'apparence, de se rendre plus beau, mais uniquement à l'extérieur, car l'âme, si souillée est-elle, restera souillée pour toujours. Rien, pas même le couturier le plus fabuleux ne pourra changer cela.
A n'en point douter, c'est tout cet aspect, tissu de mensonges recouvert d'une belle cravate, noeud papillon et talons hauts qu'aime la patronne. C'est son élément, un milieu dans lequel elle aime évoluer et où c'est elle, oui, uniquement elle qui a toutes les cartes en main. Le contrôle, l'avoir et le conserver, deux choses liées et pourtant d'une grande complexité. Si l'un est plus simple à obtenir, l'autre est plus délicat à garder, mais Edelgard s'y emploie. Le casino, en aucun cas, elle ne doit le céder, encore moins le perdre. Maître du jeu, de son propre jeu, elle s'accorde à donner ses faveurs à quelques sorciers pour l'argent, à quelques sorcières pour plus si affinités, mais ils sont finalement peu nombreux à bénéficier de son attention, car parmi la multitude de visages qui défile chaque soir dans son établissement, la sorcière n'en remarque que très peu quand elle ose quitter ses quartiers pour déambuler sur les tables avant, très souvent, de terminer son inspection au comptoir pour déguster un cocktail ou deux et parfois, emmener à son bras une proie de choix.
Mais pas ce soir.
Artemis déjà, range son arc et son carquois soigneusement.
Ce soir, la belle attend que l'on rembourses ses dettes. A l'inverse de son regretté père, ce très cher Alphonse, elle se montre d'une extrême fermeté envers ceux qui lui doivent de l'argent et elle n'accorde aucun délai pour les pauvres idiots qui n'ont pas su se contrôler et ont dépassé les limites. Quand on lui doit des sous, Edelgard ne se déplace pas, elle prend soin d'envoyer quelques amis dirions-nous, qui vont se charger de rappeler à qui de droit qu'il doit honorer ses dettes sous peine que la prochaine fois, cela se passe mal. En général, cela suffit pour obtenir ce que l'on veut, dans le cas contraire, la lionne avise, elle avise toujours mieux avec un verre à la main d'ailleurs.

« Umbridge. C’est un plaisir de vous retrouver ici, voila un moment que je n’étais pas passé au casino. » sourire aux lèvres déjà, la sorcière apprécie le charme subtile du rouquin qui passe au travers des rideaux pour la rejoindre dans l'alcôve. Clope entre ses doigts, vernis d'un rouge pompeux, elle inspire et expire la bouffée dans les airs et ne manque pas, regard attentif, de constater que son invité n'est pas insensible à son même pêché, le tabac. « A mon plus grand regret Alphard. » ajoute-t-elle avant de décroiser les jambes pour pousser du bout du pied, talon noir, petite table basse qui frôle le sol recouvert d'un tapis oriental, la petite boîte en argent sur la table qui cache quelques douceurs imbibées de nicotine. « Servez-vous, je vois que cela vous démange d'en griller une. » petite pause, elle pose d'ailleurs la sienne dans le cendrier à cet effet. « Et promis, je saurai tenir ma langue. » quand la situation l'exige, la reine embrasse volontiers le roi du silence.
Le sorcier à la chevelure de feu prend place, les verres ne sauraient tarder tandis qu'il prend enfin la parole, mettant fin au prélude, l'acte premier s'engage.
« Deux bonnes raisons même. »
« Vous titillez ma curiosité. »
Elle réplique aussitôt, arque un sourcil, curieuse d'en savoir plus sur les raisons de cette visite, si cela ne concerne pas uniquement les dettes du chasseur. « Avant toute chose, il me semble que cela est pour vous. » la bourse est posée sur la table. Le regard de la lionne se baisse sur son dû, tandis qu'elle ne peut s'empêcher de froncer légèrement les sourcils, la main tendue déjà, elle s'empare de l'or et le fait tinter à son oreille. « Vous en avez mis, du temps... » elle recomptera, pour sûr, mais pas maintenant, en privé car de toute façon, elle sait où trouver le rouquin, le dénicher dans sa tanière, sa ferme, si le besoin s'en fait ressentir, mais elle lui fait confiance. A tord sans doute, mais quelque chose dans le regard de ce cher Alphard lui intime la conviction qu'il est bon, protecteur et surtout, que c'est un homme de parole, chose bien trop rare en ce bas monde. « Mais ce n’est pas une simple dette qui m’amène aujourd’hui. » le coeur du sujet. La sorcière récupère sa cigarette pour tirer une nouvelle fois dessus, jambes à nouveau croisées, elle s'installe confortablement au fond de son siège et attend les explications, le regard planté sur le rouquin, incapable de se détacher de ses mots, elle attend et n'aime pas attend. « Je peux me permettre d’insonoriser la pièce avec un sort d’impassibilité ? Ce dont je veux vous parler ne doit en aucun cas tomber dans l’oreille d’un curieux, ou même dans une oreille à rallonge. » Plaît-il ? elle ouvre la bouche pour souffler rapidement la fumée, prête à parler tandis que le serveur entre.
Petit con !
Elle le fusille presque du regard, le gamin qui porte le plateau avec les deux verres et la bouteille. Il le remarque sans doute et se dépêche de servir avant de repartir et de les laisser dans leur sinistre intimité.

« Faites donc Alphard, mais je n'aime guère la tournure que prend cette entrevue, sachez-le. » l'air sombre, elle s'empare de son verre, mais attend avant d'y goûter, pendue aux lèvres de son visiteur.
« Ce n'est pas contre vous, mon cher. Comprenez seulement que si vous prenez vos précautions, j'ai tendance à croire fortement que cela ne concerne pas le casino, ni vos dettes, mais un sujet bien plus sérieux et que j'ignore. » et elle déteste cela, car la tenancière craint une chose, la perte du contrôle. Et quelque chose, une petite voix lui siffle que le rouquin va lui révéler quelque chose dont elle ne s'attend pas, car déjà, Edelgard cherche dans son cerveau, les prémices d'un sujet en commun avec le rouquin et la fatalité s'empare rapidement d'elle. Hormis les dettes, désormais payées, elle ignore de quel sujet important Alphard peut vouloir aborder avec elle.

« Vous avez toute mon attention, je vous écoute. »
Et choisissez vos mots avec soin, mon cher.
Car la lionne peut rugir très vite.