«
Et s’il naissait maintenant ? » Petite voix timide qui s’élève dans le silence pesant de la maisonnée. La pièce est plongée dans l’obscurité, seule Alev le brise, enchainant les allées et venues d’une pièce à l’autre, rongée dans l’appréhension que lui apportait la pleine lune imminente. Comme sorti d’un rêve, le sorcier redresse la tête de son journal, regard un pe absent qui croise celui de son épouse, il secoue doucement la tête partagé entre l’envie de la rassurer et la certitude que la fièvre la faisait encore délirer. Et elle le remarque, ce rictus qu’il tente de cacher mais qui s’éternise un instant de trop sur son visage sérieux. «
Côme… Ecoute moi… » Elle soupire, elle sait l’impression qu’elle donne, elle doit être folle de toute façon. Mais elle ne parvient à se résigner. «
Et s’il naissait maintenant ? » Reprend-elle, mains tremblantes qui viennent accrocher la trousse de scalpels qui se trouvait posée sur la table du petit salon, lames affutées qui abiment ses paumes dans la précipitation. «
C’est insensé Alev, tu sais que je pourrais vous perdre tous les deux. » Côme s’est relevé, approché de sa femme comme on s’approche d’un animal effrayé, avec précaution et calme. Il tend la main vers elle : «
Donne moi ça tu vas te blesser. » Mais elle ne l’entend pas, de sa main libre, elle caresse son ventre arrondi, elle sent encore l’enfant à naitre s’agiter sous ses doigts, elle est persuadée qu’il pourrait… «
Je suis sûre qu’il pourrait survivre, il est fort… » Regard implorant levé vers le sorcier, elle sent les larmes lui monter aux yeux, pleurs qui s’étouffent dans sa gorge elle finit par tendre lui tendre l’arme, mais ce n’est pas pour préserver ses chairs. «
Côme je t’en prie… » La lame tombe au sol dans un bruit métallique et, à sa suite, Alev se laisse tomber à genou face à son mari, mère avortée qui n’est pas prête à laisser partir cet enfant qu’elle a porté durant des mois et qu’elle ne verra jamais naitre. Tremblements qui parcourent son corps meurtri, sanglots bruyants elle sent les larmes couler sur ses joues, venant mouiller sa robe et sa chevelure brune déjà humide à cause de la fièvre. Doigts qui accrochent le tissu du pantalon de sa moitié elle le sent se laisser glisser à son niveau, bras qui viennent l’entourer toute entière alors qu’elle se noie dans le désespoir de ne rien pouvoir faire pour sauver son enfant. Il la berce et elle pleure, elle qui avait tant rêvé de le voir bercer ainsi le fruit de leur union.
Nuit de la pleine lune
Ce qui s’est passé cette nuit là, elle ne s’en souvient pas Alev. La bête a pris le contrôle de son être, a déchiré ses chairs, a sonné la condamnation à mort de ce petit être pour qui elle aurait tout donné. Mais elle ne se souvient de rien si ce n’était le derniers sortilèges lancés pour sceller la porte du cachot dans lequel elle s’était enfermé au sous sol de la demeure de banlieue. Elle ne se souvient de rien si ce n’est des chaines froides qu’elle avait attaché à ses propres membres, prisonnière de son propre corps. Elle avait attendu avec appréhension que la lune se lève, mains posées sur l’arrondi de son ventre et voix douce qui entonnait sa dernière berceuse. Qu’il s’endorme pour que la fin soit douce, pouvait-elle seulement lui promettre que cela ce ferait sans douleur ?
«
Lullaby and good night,
With pink roses bedight,
With lilies o'er spread
Is my baby's sweet head.
Lay thee down now and rest,
May thy slumber be blessed.
Lay thee down now and rest,
May thy slumber be blessed. »
Le lendemain en début de soirée
La lune avait finalement disparu, à l’aube les sortilèges qui l’enfermaient au sous sol avaient été rompus, un à un par Côme, descendu au plus vite pour libérer son épouse. Mais le calvaire n’était pas terminé, ni pour l’un ni pour l’autre malheureusement. La pièce puait le sang, la peur et la colère, sous le corps sans connaissance d’Alev, une flaque de sang collante et sur ses poignets, la marque ancrée des chaines. Elle n’avait repris connaissance qu’une fois alitée, lavée et soignée autant qu’il le pouvait par Côme qui avait fait disparaitre le sang de ses cuisses, la poussière de son visage et les entailles de ses articulations avant de la glisser sous les draps du lit marital. Elle avait ouvert les yeux, croisant son regard sans pour autant comprendre ce qu’il venait de se passer et elle s’était rendormie. Lui, avait fait disparaitre le petit corps sans vie, avait nettoyé la cave et scellé la bouche des domestiques de menaces bien choisies. Le soleil avait déjà traversé la voute céleste lorsqu’une présence dans la chambre réveilla la sorcière : «
Eleonora… » Elle tente de se redresser mais la douleur vrille ses entrailles, pliée sur le lit elle laisse échapper un gémissement avant de reprendre d’une voix faible : «
J’avais dit à Côme de ne pas te déranger. » Elle veut garder la face la sorcière, mais même son sourire meurt dans sa gorge, larmes qui se glissent sans égard dans son regard embrumé par la fièvre. Elle se détourne, fait face au plafond pour ne pas croiser le regard de sa belle-soeur où elle ne voulait lire ni la pitié ni cette lueur de défi immuable au fond des prunelles sombres la cadette Rosier. Elle n’avait rien demandé, elle parvenait à peine à enchainer des mots censés, elle voulait juste faire semblant que tout allait bien. Mais elle avait mal, terriblement mal.
