hanging on (anastazyja)

Les premiers mots sont prononcés. La séance est plénière. Elles sont toutes rassemblées autour d’une table. Il y a Marie-Anne, petite et joufflue, dont les boucles rousses sont attachées de manière à ne pas tomber trop bas. Il y a Elizabeth, blonde aux grands yeux verts, très grande dont la robe verte émeraude cache mal les hématomes sur ses bras. Il y a Sidney, femme noire d’un certain âge qui a le regard fatigué. Il y a Jan, botaniste discrète et en apparence calme. Puis, enfin, il y a elle, Minerva McGonagall, qui aujourd’hui a décidé que cette réunion se passerait en si petit comité. Toutes différentes, toutes n’ayant rien en commun si ce n’est le traumatisme et la violence des hommes. Pourtant, en les écoutant toutes ou plutôt, celles qui veulent bien parler, Minerva se dit qu’elle n’a pas connu les mêmes malheurs et qu’elle était la moins à plaindre ici. Non pas qu’il s’agissait là d’un concours de celle qui était la plus à plaindre, mais Minerva n’avait pas la même expérience de violence des hommes. Chez elle, cela avait été soudain et en une seule et unique fois. Chez elles, c’était leur quotidien. Chez Minerva, c’était plus implicite, plus caché. Chez elles, c’était plus direct, moins caché mais pas moins malsain.

Pourtant, être ici avec elles avait une double fonction pour Minerva McGonagall. Elle éprouvait un sentiment de bien-être de se dire que toutes ces femmes pouvaient se sentir en sécurité ici. Elle éprouvait un sentiment de soulagement quand elle les voyait revenir, et de la crainte quand elle les voyait repartir, ne pouvant rien faire pour qu’elles retrouvent celui qui les brisait, ni les retenir, ni interdire quoique ce soit. Mais aussi, et surtout, depuis qu’Henry Potter l’avait agressée, elle éprouvait une certaine émotion à poser des mots sur sa propre histoire. Si dans les premiers temps, Minerva n’avait pas parlé mais plutôt écouté, il était arrivé rapidement l’envie de s’exprimer, elle aussi, pour sortir ces démons, pour tenter d’avancer. Parce qu’elle savait qu’elle ne pouvait plus regarder en arrière. Trop de gens comptaient sur elle et elle n’était pas comme cela. Parler, se livrer, montrer autre chose que la femme qui se battait pour ses idées, Minerva McGonagall l’animagus si douée en métamorphose, était libérateur. Elle savait évidemment qu’elle pouvait discuter avec Abelforth, Albus, Nicolas, Freyja, mais cela n’avait pas le même objectif. Ici, elle était une femme parmi tant d’autres qui avait vécu des choses horribles, des choses qui n’auraient jamais dû arriver.

Ici, elle ne se sentait pas seule.

Ici, elle appartenait à une sororité unique et unie. Ici, elle avait des sœurs à qui elle pouvait tout dire, ses peines, ses doutes, pleurer si ça la soulageait, rire, tenir la main, embrasser chaleureusement… Ici, c’était chez elle, chez W.I.T.C.H. et elle pouvait baisser la garder sans avoir peur d’être jugée ni d’être maladroite dans ses propos.

« Bien, je vous remercie à toutes d’être venues encore aujourd’hui. Nous pouvons nous arrêter là. » dit finalement Minerva avant de se lever de sa chaise.

La salle avait été aménagée pour que les filles puissent parler sans être interrompue. Il lui sembla qu’Astra était partie depuis un moment déjà. Les femmes avaient ramenés de quoi se sustenter et Minerva qui récupéra sa chaise et la rangea dans un coin. Les autres femmes habituées l’imitèrent. Marie discuta avec Sidney vivement de la dernière recette de cette dernière tandis qu’Elizabeth informa Minerva qu’elle devait y aller. Chaleureusement, l’amazone prit la femme dans ses bras et elles restèrent un long moment comme cela avant de se séparer. Minerva lui souffla, non sans en éprouver de la colère parce qu’elle considérait que ce n’était pas à elle de le faire, de faire attention et Elizabeth qui comprit à son froncement de nez sa pensée, lui répondit qu’elle le ferait et s’en alla. Puis, l’amazone se tourna alors dans la pièce. Maire-Anne et Sidney récupérèrent leur manteau mais le regard de Minerva s’arrêta alors sur Jan.

Cela devait faire deux fois que Jan venait. C’était une membre très récente et Minerva l’avait bien entendue accueillie comme il se devait. Jusqu’à présent, Jan n’avait pas tant parlé, si bien que Minerva ne savait pas grand-chose d’elle si ce n’est son prénom (Jan), sa profession (botaniste) et son sang (sang-mêlé). Jan et chacune des femmes ici savait qu’elle pouvait parler à leur rythme. Si Jan n’avait pas encore trop parlé, Minerva était malgré tout contente qu’elle réitère l’expérience ici. S’approchant alors doucement de cette dernière, la McGonagall adressa un sourire doux et chaleureux à la jeune femme qui devait plus ou moins avoir son âge.

« Jan, je suis contente que tu sois revenue. » dit-elle calmement. Elle arrive à sa hauteur et lui souffle : « Si tu as besoin de quoique ce soit, tu peux demander. Je serais ravie de t’aider et les autres femmes aussi. » Une évidence peut-être et une répétition sûrement, mais le redire n’était jamais assez. Minerva l’avait bien compris : ce genre de chose prenait du temps.

il y avait cette angoisse perpétuelle qui te bouffait azyja (qui vous bouffe). celle que ton secret tombe à l'eau, que le ministère découvre que t'es une métamorphomage et qu'on te bride. parce que c'est ce que tu crains le plus - que ta précieuse liberté te sois de nouveau enlevée à nouveau après tout ce que tu as dû faire. tout ce que tu as dû enduré. un frisson traverse ta colonne vertébrale alors que la douleur des coups d'igor se font ressentir, tu tressailles fantôme du passé qui t'effraies toujours autant. mais il ne peut plus rien te faire (plus rien vous faire), parce qu'il n'est plus là. plus là pour nuire à qui que ce soit. mais les cicatrices, elles restent là. abandonnés sur un corps d'étrangère, mara ne sa parade pas de tes cicatrices d'antan. laissée pour morte au danemark, tu ne peux plus reprendre ta vie. maintenant c'est celle-là ta vie (celle de mara). pourtant t'arrives pas à te résoudre à abandonner, te laisser guérir. parce que les traumatismes sont trop présents, les images et les souvenirs qui brûlent ta rétine. et t'as besoin d'en parler azyja (mara). t'as besoin d'en parler parce que sinon tu risques d'perdre la boule, comme il y a déjà deux ans quand t'as tout cramé. une douce exhalaison s'échappe de tes lèvres alors que tu entres dans la salle. pas d'anastazyja ni de mara cette fois mais jan. les demi-mensonges continuent, tu t'enfonces et tu creuses ta propre tombe azyja (mara). parce que ça finira pas se savoir un jour, que t'es rien d'autre qu'une fraude. et qui sait ce que tu subiras à ce moment là. mais en attendant, t'essayes d'aller mieux. autant que cela puisse être humainement possible. parce que les cicatrices sont trop profondes pour disparaître un jour complètement - t'as pas vraiment d'espoir là dessus. mais tu veux essayer. te donner une chance de rédemption, effacer tes péchés de ton âme meurtrie et meurtrière. alors jan elle est née. une botaniste au sang-mêlé, elle à ton calme (anastazyja) et ton ardeur (mara). ce n'est que la deuxième fois que tu viens ici, w.i.t.c.h pour lieu de réunion, de rédemption. tu n'as encore rien trop dit. le feu qui brûlait jadis en toi (anastazyja) est devenu glace (mara) et tu n'es que trop incertaine. tu écoutes, avec patience. avec attention. ces témoignages qui ressemblent tant au tien, qui y ressemblent à la fois trop et pas assez. parce que le seul monstre de la salle c'est toi ici. qu'importe le prénom ou l'identité que tu voles (anastazyja) (mara) (jan). alors tu te dis qu'au final, venir ici c'est une mauvaise idée. que ça ne fera qu'empirer les choses et que les morceaux vont coller pour les gens. et ils vont voir que mara n'est qu'une pâle copie, qu'anastazyja se cache là dessous. et tu crains cette fin plus que tout. alors tu t'attardes dans les lieux alors que toutes les autres partent plus rapidement que toi, tes yeux mémorisent chaque détail qui peut avoir son importance. ton visage se tourne précipitamment vers la voix qui retentit derrière toi. minerva. celle qui a fondé cette association. un sourire se dessine sur tes lèvres - timide. t'es fatiguée azyja (mara) et t'abandonnes un peu la bataille. mais il y a ce signal d'alarme qui résonne dans ta tête depuis deux ans - peu importe à qui tu t'adresses et t'arrives pas à le faire taire. un léger sourire s'arrache à tes lèvres face à sa sollicitude, — merci que tu souffles, presque soulagée. parce que tu sens que ses paroles et son inquiétude est sincère. — ça fait du bien d'être ici même si cela reste encore étrange pour moi tes sourcils se froncent quelque peu face à ta propre remarque. — merci d'avoir fondé ça. un endroit pour les femmes comme nous les mots sont à double tranchant, à double sens pour toi. mais tu sais qu'elle ne l'entendra pas comme toi tu l'entends, cet appel au secours que tu hurles depuis six ans.

Répéter des évidences.
Tu n’es pas seule.
On peut t’aider.
Tu es en sécurité ici.
Tu peux parler.
Répéter, encore et encore.
C’est autant nécessaire que superflu. Elles le savent toutes ici qu’elles peuvent dire ce qu’elles veulent sans jamais être jugées. Elles le savent toutes et pourtant. Pourtant, il y a toujours ces barrières, cette honte, cette peur qui ne s’en va pas même en passant la porte des locaux de W.I.T.C.H.. Pourtant, il y a toujours ce silence qui est encore et toujours là quoiqu’on en dise. Se défaire du silence, c’est compliqué parce qu’on leur a toujours appris à se taire. Minerva la première. Non pas que les McGonagall furent particulièrement silencieuses, au contraire, mais les codes de la société s’imbriquent quand même. Alors, elle le répète à chacune des femmes qui viennent ici et le répéter c’est aussi le prononcer, se le rappeler à soi-même.
Se rappeler
qu’on n’est pas seule,
qu’on peut se faire aider,
qu’on est en sécurité ici,
qu’on peut parler.
Aussi simple que cela. Et quand Minerva le prononce de nouveau à Jan comme une évidence avec douceur et patience, elle se le rappelle à elle aussi. Son regard s’accroche au faciès de la jeune Jan si semblable et pourtant complètement différente d’elle. Elles n’ont qu’une chose en commun : leur sexe et la dure réalité qui va avec.
Le merci prononcé dans un souffle laisse entendre le soulagement. Minerva sourit toujours d’un petit sourire chaleureux et gentil.
« Ca fait du bien d'être ici même si cela reste encore étrange pour moi »
Cela fait toujours du bien et cela est toujours étrange, pour chacune d’entre elles, à commencer par Minerva qui n’aurait kamais pensé qu’elle avait besoin, elle aussi, de parler. Ce qu’elle a vécu, elle le sait, n’est en rien anodin et ne doit pas être négligé. C’est pourtant ce qu’elle a fait ces derniers mois parce qu’il y avait toujours plus à s’occuper, plus pressent. Parce qu’il y avait toujours mieux à faire que de s’occuper de ce démon qu’elle ignorait mais qui pourtant, de bien des manières, régissait maintenant sa vie. Délier sa langue, poser des mots là-dessus, n’avait pas été seulement soulageant : cela avait été nécessaire et si elle savait qu’elle avait encore du chemin à parcourir, elle se félicitait des premières étapes passées. Elle se félicitait aussi de voir Jan de nouveau parmi elles quand bien même n’aurait-elle jamais voulu que quoique ce soit lui arrive à elle ou à aucune femme.
« merci d'avoir fondé ça. un endroit pour les femmes comme nous. »
Les femmes comme elles.
La réplique est à la fois si belle et si triste.
« Nous en avons toutes besoins malheureusement. Je suis contente que cet endroit serve à nous autres, les femmes. C’est important d’avoir un endroit où l’on peut se sentir en sécurité. »
Et elle y avait veillée à la sécurité de cet endroit comme le lui avait soufflé une connaissance au regard glacé d’Islande. Sortant sa baguette, elle vient faire voler deux gobelets remplis de jus de citrouille ainsi que deux pâtisseries et invite Jan à s’asseoir.
« J’ai remarqué que tu ne parlais pas beaucoup et je me demandais… est-ce parce que nous sommes toutes ensembles ? Aimerais-tu avoir un comité plus réduit, juste une autre femme en face de toi ? Est-ce que cela serait plus simple pour toi … ? » Les questions sont habituelles. Minerva les pose toujours. « Ou as-tu seulement besoin d’un peu de temps ? Tu peux revenir ici autant de fois que tu le souhaites. Même si je ne suis pas là, il y aura toujours quelqu’un ici. »
Elle attend patiemment la réponse de Jan en buvant un peu. Parler lui a asséché la gorge autant que cela l’a épuisée.