Lilith's cave (Amarante) -18

 Elle n’avait pas hésité, à minuit, griffonnant des pages sur des feuilles vierges, la lettre avait laissé un charme onirique, elle prenait conscience de l’attachement qu’elle éprouvait pour cet homme, elle ne l’avait pas relu mais elle sut qu’elle garderait son égoïsme pour le garder près d’elle, elle qui jadis s’amusait à piquer, elle avait grandi dans les ronces, elle s’était épanouie dans les roses, l’enfant autoritaire s’apaisa pour dévoiler la femme généreuse et fidèle. Il lui avait répondu ; dans ses mots une sincérité qu’elle n’imaginait pas si belle. Dix huit heures… Mais elle oublia, concentrée sur ses croquis et différentes études, celle de Lilith entourant Eve, dilemme des toutes femmes n’acceptant pas la teneur de leur sensualité, elle pensait à Bryonne, jeune sœur trop fougueuse, trop ardente, terrible mélange ; la vierge, l’indépendante, la sorcière, la sainte. Amarante se déshabilla, déchira cette robe qu’elle n’aimait pas, s’appropria ses mouvements et son corps qu’elle avait maigre mais tentateur.
D’un accio apparaît la toile qu’elle commence à enduire de peinture, un fond rouge, puissant et profond, dans un silence serein, la réflexion. Quand les pas s’approchent, quand il traverse les couloirs, elle sourit, l’odeur qu’il a, si charmante à ses narines, et le costume élégant, un trois pièces que les gentlemens exhibent pour parfaire leur posture. Quand il tient son menton de sa main si grande, elle se sent en sécurité et, quand il l’embrasse fermement, elle se surprend à fermer l’espace d’un instant ses paupières pour apprécier le moment, il a les lippes d’un amant heureux et passionné, ces lippes qu’elle dégustait. Elle fond ses pupilles dans celles moirées, des jumelles à la saveur de l’infini. Et il dit, parle sa langue.  « Herr Gaunt » Elle rit, lâche les oiseaux de sa joie qui éclatent sur les murs.  « Et moi de même. Ton daemon est magnifique, n’est-ce pas Eileen, j’espère qu’il te le dit tous les jours. » Elle sent sur la nudité de sa peau les écailles rêches du mamba, frissonne de sensations oubliées, le désir se lève au coeur  abstinent, éveillé à présent. Il s’assoit dans le fauteuil au brocard carmin qu’elle a placé pour lui, la créative prêtresse, et cette vision l’étourdie. Elle s’avance vers lui, l’effleure, coquine mais inaccessible encore, elle se penche pour attraper près de lui l’appareil photographique.  « Pour garder un souvenir de toi dans ma boite à secret. » L’image naît, mouvante mais si peu, il y a dans cette carrure un homme en efflorescence.  « Il est vrai que tes vêtements te sied à merveille. Il rehausse ce charisme que tu as, je ne sais si tu t’en rends compte. » Elle se fait languissante, s’allongeant sur le tapis d’Orient aux arabesques immobiles, elle a tu chaque mouvement pour créer cette atmosphère hors du temps, enlacée par Eileen, elle écarte légèrement les jambes, sa droite repliée, elle songe à la pose de la peinture, elle souhaite une Eve endolorie de désir pour son Adam ignorant, elle joue la mesure car l’extase s’avance dans la patience, elle s’aiguise dans la lenteur.

    Elle voit le corps de l’aimé traverser la porte puis occuper le lieu, véritable tribut d’un amour profond ; l’heure et le jour de la conscience pour ces sentiments presque effroyables dans leur volupté et leur passion resteraient à jamais gravé dans un carnet qu’elle maintiendrait caché, mais elle se souvient des élans de tristesse, tristesse insondable dans les gémissements de son coeur, il cognait follement, le sang battait, attaquait la respiration, jamais encore n’avait-elle ressenti ce manque si affolant, si affreux dans sa lourdeur alors qu’Aloysius lui avait appris les bénéfices que provoquait l’absence. Or, elle était partie, persuadée qu’elle n’était rien de plus qu’un grain minuscule dans la chaussure, à cet Amos qu’elle aima dès la première fois où elle posa son regard impertinent sur le visage taillé dans la serpe de l’Olympe. Elle avait jouit avec lui, avait découvert le corps de l’homme dans le plaisir immense, intense, dans l’extase de ce qu’elle ne contrôlait pas. Et elle était partie. Envolée comme une étoile s’écrasant sur le macadam poussiéreux d’un champ de ruine. Elle avait envisagé le bureau, inconsciente de ce que cela signifiait encore, ses désirs bien refoulés pour ne risquer une déception qu’elle devinait persistante et glaçante. A cet instant, quand elle l’observe et le ressent, elle sourit religieusement ; la vision d’une présence massacrant sa solitude, dame double dans les pensées de la Eve, à la fois indépendante mais quémandant le sujet qui pourrait la ramener sur terre quand ses millions de réflexions la guidaient dans les mondes au-delà du pragmatisme. Elle souhaitait vivre avec lui depuis les premiers enchantements de leur relation naissante et cela la contrariait et l’excitait, il avait déjà la main sur ses transports, la main sur son coeur.
   « Oui » Et c’est tout ce qu’elle dit, l’affirmation surprise de sa propre conscience, Amos dans cet espace lui appartenant, le visage rayonnant, l’expression si joyeuse, si pure et sincère dans l’admiration de son trouble. Elle avait construit le bureau comme dans un second état, un peu enivrée et en colère aussi par ce destin de chien. Quand il avait retrouvé une vie conjugale, elle se noyait dans le vide mortuaire, plusieurs fois, acoquinée au bord du précipice s’était-elle imaginé son corps  démembré, fracassé par la chute qu’elle imaginait impie, féroce mais curieuse de subir aussi. L’aurait-elle fait ? Pas sans avoir eu la chance de donner la vie et de transmettre à son tour son héritage. Quand elle l’admire, elle ferme ses paupières, la révélation de son offrande l’embrase, oui, évidemment, elle souhaitait vivre avec lui, comme un couple… Non. Comme deux âmes s’égarant dans la nuit et se guidant, s’harmonisant, s’épanouissant, ensemble. Amarante n’entre pas, l’invitation n’a pas ébréché les lippes du jeune homme.  « Je souhaitais te trouver quand je me réveillais le matin. Je souhaitais que tu te sentes bien. Etant moi même casanière et ne me rendant que rarement aux festivités des autres, ma maison est mon temple dans lequel je me vautre et ne m’égare jamais, je voulais simplement te donner ce qui, pour moi, me fait me sentir en sécurité. Je sais à quel point tu tiens à ton espace, l’on dit que chaque être humain doit posséder une chambre à soi, ta pièce préférée étant la pièce dans laquelle tu te penchais pour créer, j’ose dire que je ne me suis pas trompée en choisissant ce lieu. » Amarante, la sûre, la droite, énonce cette analyse dans la saveur de sa naïveté, ce qu’elle dit semble si peu à ses yeux, mais si grand aux yeux des autres ; lorsqu’elle parle, elle donne de la profondeur à tout ce qui transperce son regard observateur mais c’est dans un chuchotement et un sourire timide, proche de la discrétion que l’on demandait à une femme, qu’elle murmure. Ce qu’elle ressent, elle le partage.  « Tu n’es, bien sûr, pas obligé d’accepter. Me côtoyer tous les jours… » Elle se tait, encore emportée dans ses mémoires. Les doutes construisent des remparts ; lui, l’aimait-il comme elle l’aimait ? Mais cette question ne fut pas tant une mélancolie, une exigence, l’adage ne provoque-t-il pas lorsqu’il chante cette  sentence « l’un aimera plus que l’autre ». Ainsi s’est-elle toujours construit la vision d’un amour inégal sans la perturber et déflorer sa joie. Etre avec lui, apprécier et dévorer sa présence, sans ordre ni discipline, dans la liberté de se mouvoir et de s’appartenir.

    Sourire taquin à son visage quand il l’emporte dans ses bras si musclés et protecteurs, il serre fortement comme pour la protéger d’un monde qu’elle ne sait pas dangereux, elle aimerait qu’il la protège de ses émotions qu’elle a trop fortes, trop ardentes, elles brûlent et dévorent. Soulagée, elle ferme ses paupières – l’aveuglement possède les vertus d’augmenter l’apaisement –  respire discrètement. Sous le rire chaleureux qui fait trembler son corps, elle entend l’amour dans ses poumons, rassurée malgré les sourcils froncés – on ne sait jamais, sous l’empire de la taquinerie le vrai pourrait se révéler. Elle a ce tremblement, léger le tremblement dans ses veines, il lui a permis le passage dans son bureau, bureau dans lequel personne n’avait droit de passer le siège, Todd lui avait parlé de l’interdiction apeuré par la colère future de son maître.  « Tu m’as fais entrer dans l’intimité de ta pièce... » Chuchote-t-elle, ravie. Car, dans les actions de cette reine solitaire se trouve des questionnements et des desseins privés, pour répondre aux doutes, Amarante outrepasse sans jamais dire, elle montre, elle contrôle, stratège bienveillante, le doute l’obsède et s’empare de son bien être. Néanmoins, dans ses bras, elle se sent bouleversée, il a accepté ce qu’elle pensait une proposition maladroite, pire, une proposition d’enfermement. A tous ces hommes aimant leur liberté, elle plaçait son amant dans la case de l’épris d’indépendance. L’aurait-elle fait ? Accepter la vie commune ? Avec Amos elle aurait sauté sans réfléchir dans le gouffre de la vie conjugale.
  Les baisers dans le cou, papillon aux cils plumes, et le rire s’échappe, cristallin dans sa beauté d’automne, elle a le rire léger et fragile d’un bruit de colombe déployant ses ailes dans l’envol d’un aurore. Elle aussi l’enserre dans ses bras fluets, travaillés dans l’exercice de la danse qu’elle a délaissé. Elle enracine ses pupilles dans celles de son présent, un homme au sourire imposant, si grand dans sa joie et sa confiance. Elle le regarde, et comme elle aimerait le garder dans son sein, ne jamais l’en libérer. Murmurant afin de ne perdre l’ambiance indéfectible.  « Peut-être aimerais-tu rester chez toi ce soir. Moi, j’aimerai te garder, mais je comprends que laisser un endroit qu’on chérie ça ne se fait pas rapidement. » La créature casanière se résigne à se déposséder de l’âme. Pourtant, elle l’entraîne, ses doigts enlacés, elle l’emmène dans sa chambre. Vaste l’endroit, lieu sacré au rangement douteux. Partout jonchent les feuilles, les tableaux, les carnets, les dossiers. Partout les crayons, partout les vêtements posés sur les dossiers des chaises de velours et le lit trônant fièrement, champ de bataille, les draps défaits, les oreillers mouvants, les plis de la couverture touchant le sol soigné, lustré.  « Tu as ton bureau. Ma chambre est mon paradis. » Elle souhaite le partage réciproque.  « Quant aux compensations que tu exigeras, j’espère qu’elles ne sont pas difficiles car j’ai la ferme intention de les réaliser ! » s’exclame-t-elle dans un sourire éclatant dans ses orbes épanouies. Assise sur les draps, elle s’épanche encore et admire Amos, cet être de ténèbre qui comble sa lumière. Soucieuse, enfin, de lui plaire, elle avait le coeur abondant de désirs pour lui, le coeur maintenant rasséréné, elle lui tend sa main, l’oblige lui aussi à s’asseoir et, le chevauchant, hume l’odeur de pin et papier, la main dans sa chevelure.  « J’espère que tu ne me trouve pas trop entreprenante. J’ai besoin de sentir ta chaleur car je sais que tu ne seras pas là ce soir et que l’on ne dormira pas ensemble. » Enonce-t-elle, le ton compréhensif. Il aura certainement d’autres choses à régler avant de venir s’installer.