i'm gonna catch ya (w/ abelforth)

Nuit claire de fin d’été ; la Lune éclaira les pas d’Abel d’une lueur faiblarde. Son sommeil était capricieux et ses yeux fatigués : il avait laissé Minerva dans les bras réconfortants de Morphée derrière lui, et avait décidé de se confronter à ses tourments au creux de l’obscurité. Une marche nocturne ne lui faisait pas de mal : il fallait dire que ses pensées avaient besoin d’un bon coup de balais, là-haut. Pas tranquille. L’esprit n’était pas tranquille. Une certaine culpabilité lui tordait l’estomac, à cet endroit-même où il avait vu le petit ventre de Minerva scintiller la veille.
Papa, Maman. Ils allaient être parents, et il ne se faisait pas à l’idée.
Le poison coulant dans les veines de Minerva semblait s’être dissipé, et les nausées s’amoindrissaient : désormais, il n’y avait plus aucun doute qu’elles étaient dues à la grossesse, qui avait certainement mal réagi à la substance ingérée au mariage. Abel s’en voulait. Un peu. Au fond, le danger était nul, mais Abelforth ne pouvait s’empêcher de cogiter aux conséquences que cela aurait sur le bébé. Il n’avait pas anticipé une telle nouvelle. Et s’il arrivait quelque chose à ce petit bout d’eux, il ne pourrait se le pardonner.
Mais il était persuadé de faire le bon choix. Pour le poison, pas pour le bébé. En réalité, cette deuxième question était plus délicate. Avaient-ils raison de la garder dans un tel contexte ? L’interrogation était cruelle, mais nécessaire. La réponse, quant à elle, était bien moins évidente.

Abelforth s’était toujours imaginé père, un jour. Dans ses représentations, il s’était imaginé un peu moins convainquant, un peu plus ennuyé, beaucoup moins amoureux. L’idée de partager cette étape de sa vie avec Minerva le comblait de joie. Et pourtant, le poids des responsabilités, de la misère et de la peur ternissait ce bonheur qu’ils pourraient partager. Cette guerre lui aurait décidément tout pris.

Presque inconsciemment, ses pas le dirigèrent vers la falaise, alors qu’il avait quitté la demeure des McGonagall quelques minutes plus tôt, s’éloignant par la même occasion des derniers réverbères postés dans le sol de l’île de Skye. Passant le portillon sans se poser de question, il se remémora sa dernière venue ici, avec Minerva. L’émotion l’emplit alors que les paroles de la belle lui revenaient en mémoire. Je t’aime. La dispute qui avait précédé également. Il chassa cette idée, tentant de se concentrer sur l’avenir qu’ils avaient à bâtir. Observant les pierres tombales, il sortit sa baguette sans prendre la peine de vérifier s’il était seul, à alluma le bout de bout d’un Lumos murmuré.
Ce fut sa seule erreur.
« Bonsoir, Abelforth. » Il sursauta, se retourna. « Qui est là ? » Il plissa les yeux, reconnut une tignasse blonde, et dans la pénombre, laissa échapper un long soupire. Il ne manquait plus que ça. « Andraste Lestrange. Si je m’attendais à te croiser ici, en pleine nuit. » Déclara-t-il alors que déjà, son ancienne camarade commentait sa perte de magie. « J’ai eu de la chance. » Dit-il simplement en regardant sa baguette. Puis, elle demanda des nouvelles de Minerva, promit de faire payer ceux qui avaient fait ça. Le discours qu’on pouvait parfaitement attendre d’une membre de la Coalition. Une lueur d’inquiétude traversa le regard d’Abel. Et si elle l’avait vu, au mariage, malade, lui aussi ? Se mordillant nerveusement la lèvre, il préféra éviter le sujet pour éveiller des soupçons. Elle s’adossait à la tombe d’Ehphraïm – et il trouva cela particulièrement déplacé, sans relever. « Le message sera passé. Que fais-tu ici ? » Demanda-t-il sans retenue, la voix sifflante. Andraste ne lui inspirait aucunement confiance, cela n’avait pas changé avec les années. Le souvenir de ses victoires écrasantes au club de duel, bien des années plus tôt, lui arracha un sourire moqueur. Celui des révélations de Minerva quant à sa relation avec la blonde le fit évanouir bien vite. Une rivale ? Si c’était le cas, ce qu’on lui envoyait n’était pas particulièrement menaçant. « Si tu es venue voir Minerva, sache que comme la plupart des gens, elle dort à cette heure-ci. » Une pointe de provocation dans la voix. Le loup sortait les crocs. Elle n’avait pas intérêt à s’approcher trop près.

La nuit claire éclairait le visage porcelaine d'Andraste ; les fantômes pouvaient donc être blonds, clairvoyants, détestables, eux aussi. Dans un mouvement de recul, Abel observait la vipère avec méfiance, attendant une réponse à ses babillements nocturnes. « Je suis venue voir mon vieil ami Ephraïm, qu'est-ce que tu crois ? » Timbrée. Réaction avortée par l'irréalisme des propos, Abel était consterné face à ce manque d'attention pour les morts. Regardant autour de lui, presque anxieux que le courroux funeste se retourne contre lui, témoin de cet affront, il ne réagit pas, se disant qu'il valait mieux garder le mutisme face aux fous. « Mais je suis contente que tu sois debout. j’avais besoin de te parler, c’est important. » Froncement de sourcils. Elle n'était qu'un souvenir ressurgissant, et avait déjà des choses importantes à lui confier. Abel n'aimait pas ça. Il n'aimait pas ça du tout. Alors que les mains marmoréennes de Lestrange se posaient sur les siennes, Abel restait de marbre, impassible face à ce qui lui semblait de la démence. Il se demanda un instant si Andraste avait toujours été comme ça. Vipère manipulatrice aux sursauts de folie. Si elle avait été comme ça avec Minerva. Juste un instant, alors que ses paroles n'étaient plus que murmures et menaces, éclatantes de vérité dans une fierté peu glorieuse. L'accusation, bien que vraie, était osée, et si le premier réflexe d'Abel fut de rire, de ce rire angoissé et embarrassé, de ce rire de solitude et de pitié, le regard qui lui porta lava bien vite tout signe d'amusement, alors qu'il dérobait rapidement ses phalanges de l'emprise vénéneuse. Quelle erreur avait-il commis ? L'esprit orienté vers sa baguette sur son flan, il hésita un instant : il pouvait lui faire oublier cette conversation, la laisser ici, seule, amnésique. Il pouvait partir et faire en sorte qu'elle ne revienne jamais, qu'elle oublie Minerva, qu'elle l'oublie lui, qu'elle oublie tout de ça. Il pensa, si fort, qu'il resta paralysé devant l'air dominateur de son juge du soir.

« Ne commets pas l'erreur de me mentir. » Pour qui se prenait-elle, au juste ? Un voile de colère traversa ses pupilles. Bonhomme grisonnant devenait fauve aux crocs acérés ; et cette rage qui grondait en lui, depuis si longtemps, réveillée à la moindre injustice, au moindre mot de trop. Sentiments alambiqués qu'il ne contrôlait plus, depuis quelques mois, qui prenaient le dessus. Dans une respiration saccadée, il serra poings et dents, la rétine assassine, regard dardé sur cette ancienne camarade un peu trop curieuse.  « T'es vraiment tarée, Lestrange. » Un soupire, la baguette était toujours rangée. Elle n'avait que ses jambes pour courir, de toute façon ; la gazelle était bien moins menaçante, sans son bout de bois enchanté. Il ne comptait pas avouer ; pas désavouer pour autant. Il se fichait bien de ce que pouvait penser l'intruse, elle oublierait tout d'ici quelques instants. Tout sauf quelques mots qu'il ne voulait pas manquer de lui dire.  « A quoi pensais-tu réellement, en venant ici ? Qu'espères-tu, au juste ? Et ne commet pas l'erreur de me mentir. » Pas un sourire n'accompagna la moquerie.  « Tu avais visiblement l'air surprise de mon arrivée ; j'en déduis que tu n'es pas venu pour m'observer. Peut-être espérais-tu attraper du coin de l’œil une parcelle de peau de Minerva, le son de sa voix, une lettre qui ne viendra jamais ? » Même si l'idée d'enfoncer le poignard plus fort, plus loin, était tentante, Abelforth se contenta de la regarder sans émotion. Au fond, il avait un peu de compassion pour elle. Pour cet amour qu'elle semblait porter à Minerva. Une point commun dans lequel ils se rejoignaient, un peu. « Dédier toute son énergie à une personne a quelque chose d'admirable... Et crois-moi, je serais le premier à te comprendre concernant Minerva. Mais c'est de l'obsession. Laisse-nous tranquille. » La conclusion était sévère, implacable ; il ne voulait plus la voir trainer dans les parages. S'approchant de quelques pas, il avait la main posée sur sa baguette. « Quant à tes accusations, qui es-tu pour parler de trahison, alors que tu laisses mourir des innocents sous tes yeux ? Comment arrives-tu à te regarder dans un miroir ? » Les mots étaient sifflants, tranchants, coup après coup. Lui n'avait tué personne. Elle non plus, certainement. Pas directement, du moins. Mais une allégeance à ce régime tyrannique était un crime bien plus terrible encore aux yeux du Dumbledore. Elle oublierait, mais comme l'espoir de lui donner une dernière chance. Même s'il n'y croyait pas. Ne voulait pas y croire. Contrairement à elle, il ne pouvait se résoudre à juger les gens sans tenter de comprendre.

Le rire satisfait d'Andraste lui procurait un agacement certain : il perdait son temps ce soir, il le savait, et pourtant, il ne pouvait s'empêcher d'être désespéramment intrigué par celle qui fut un jour l'objet des convoitises de Minerva. Intérêt malsain pour un passé révolu, jalousie insoupçonnée pour une femme dont il avait pourtant pris la place ; bien qu'inavoué, fierté oblige, Abel ne pouvait nier ce pincement au cœur, cette mèche de rivalité qui s'allumait au fond de son esprit.

Les tirades de la blonde ne lui arrachèrent aucune émotion. Pas même une once de pitié. Ni de compassion. Ce n'était pourtant pas faute d'essayer de comprendre, de s'intéresser, de croire qu'il y avait une lueur d'espoir dans cette âme. Et il voulait y croire, Abel. Vraiment, il voulait savoir, ce qui la rendait si spéciale. Ce qui lui avait valu les faveurs de la métisse. Montre-moi, Andraste. Qui es-tu réellement ? Mais visiblement, seule Minerva avait su déceler la lumière derrière le tapis de lâchetés qu'Abelforth constatait. Elle n'était pas différente des autres. Un maillon de plus à la chaîne. Un mouton de plus au troupeau. Une bête de trop dans l'abattoir.

« Je ne doute pas que s'assumer dans le monde que nous connaissons n'est pas simple... » Pensée pour Albus, dont l'homosexualité n'avait jamais été un secret entre eux. Il l'avait vu se cacher, mentir pour se protéger, jouer les héros d'une société aux idéaux si étriqués. Et ça lui avait fait mal, souvent, de voir son aîné, malgré les querelles, malgré les déceptions, malgré les mauvais choix, vivre sous une contrainte constante de devoir être quelqu'un d'autre. « Mais on a tous le choix. » Un sourire condescendant tira les lippes d'Abelforth ; et dans cette attitude débridée, une noirceur insoupçonnée résonnait, se retrouvait, s'emparait de ses pupilles brillantes d'une colère sourde, enfouie, renaissante. Le regard se dardant d'une méchanceté qui aurait tout le temps de l’interroger plus tard, il s'approcha lentement de la Lestrange, menaçant. « Tu parles de privilège, mais tu ne fais que te cacher derrière un nom. Ce que tu décides de montrer en société, de cacher ou d'exposer, c'est ton choix. Évidement, il est tellement plus simple de la maquiller d'une pseudo-contrainte familiale ou que sais-je. Je n'y vois là que de la lâcheté. » Il la regardait dans le blanc des yeux, et son ton débordait d'une sincérité qui l'étonna lui-même. « Ou une profonde sottise, mais je refuse d'y croire... » Aveu entremêlé dans le sous-entendu ; parce qu'il avait toujours espoir, au fond. Qu'elle ne soit pas qu'une pourrie, qu'une sbire de plus. Parce qu'importe la rivalité qui pouvait exister entre eux, elle faisait en quelques sortes partie du passé de Minerva, l'avait aidée à se forger, et Abel refusait d'admettre qu'une personne aussi toxique avait entré le cercle de la femme qu'il aimait. Il fit un geste de main comme pour laver ce qu'il venait de dire. De toute façon, elle oublierait tout d'ici quelques instants. « Les femmes n'ont malheureusement aujourd'hui pas la place qu'elles méritent, c'est un fait. Certaines décident d'assumer, font le choix de se battre, quitte à en payer le prix fort. Mais je te l'accorde, ce n'est pas un choix facile. Et il en est de même pour tous les combats. » Souvenir de ce qui était arrivé à Minerva, quelques mois auparavant, la cuisse rongée par le courroux du patriarche Potter pour les accusations mordantes qu'elle avait osé prodiguer à son encontre. Comme une part de l'âme de l'amazone qui planait, toujours, partout, là où il allait.

Un élan de lucidité le rappela à la raison : pourquoi continuait-il à perdre son temps avec ces bavardages qui de toute façon, n'auraient certainement aucun impact sur l'esprit d'Andraste ? « Quant à ce qu'il va se passer maintenant, je crois que tu n'as pas beaucoup à t'en faire désormais. » Souffla-t-il en sortant sa baguette, rompant la distance restante avec la trentenaire pour pointer le bout de bois en sa direction. « Je te donnerais bien une dernière chance de dire quelque chose d'intelligent ce soir, Lestrange, mais je doute que ce soit guère satisfaisant. » Un soupire. « Mais soit. As-tu une dernière plaidoirie à me faire part avant que tu oublies ta venue ? La raison de ta présence ici reste d'ailleurs un mystère. Et pas de plaisanterie, les morts ont aussi une fierté. » Ironiquement, le regard qu'il porta à la tombe d'Ephraïm à quelques mètres d'eux était presque compatissant.