Une journée comme les autres. Elle ressemble à tous les autres et en est pourtant différente. Les Quirrell sont au travail. Aujourd'hui, rien de particulier à faire. Il s'arrange pour ne pas trop aller traîner à la boutique. Il devine que sa présence ne plaît pas à Atilius… et qu'elle déconcentre Demetria. Et puis, s'il peut éviter de côtoyer le couple ensemble… Roman aime autant. La situation n'était pas simple à gérer pour lui, devoir partager la femme de sa vie avec un autre. Il l'acceptait… mais ce n'est pas pour autant que ça lui plaît.
Alors il erre. Parcourt les pièces de l'appartement sans grand but. Il voudrait aller explorer leur aile à eux, mais ne s'en sent pas le courage. C'est sans doute mieux si leurs histoires restent séparées. Pourtant… il rêverait de lui dire, de lui crier qu'il peut lui donner mieux qu'Atilius. Ne pas la forcer. La rendre heureuse. Ce serait un mensonge, mais quelque part… il y croit. Elle commence à l'y faire croire. Parfois, le pianiste se demande si c'était tant une bonne idée d'essayer de lui donner confiance en sa capacité à pouvoir à son bonheur. Avant, au moins… il n'avait aucune illusions, ni espoirs. La chute n'était pas bien dangereuse : tomber alors qu'on se croit déjà plus bas que terre, ça ne fait pas bien mal.
Il s'est allongé sur le lit de "leur" chambre. A regardé le plafond, comme elle le regardait parfois quand elle était seule dans ces draps. Il voudrait couvrir la soie des draps de pétales de rose, les murs de poèmes. Trouver un moyen de lui dire qu'il lui appartient, envers et contre tout. Une manière de le prouver. Mais il se sent si maladroit. Si insignifiant dans ses déclarations d'amour. Un morceau de musique insipide, des mots grandiloquents, sans réelle poésie. Un poète raté qui cherche à déclarer sa flamme à une reine de nuit. Il ricane. C'est ridicule. Et puis… s'il se lançait dans un de ces projets insensés, l'elfe viendrait sûrement tout nettoyer, avec sa chance. Et irait tout raconter à Atilius, et là…
Il se relève. Voudrait frapper un mur de frustration, même s'il a promis de ne plus le faire. De ne plus se blesser volontairement. La raison? Au-delà de la situation, c'est la perte d'une de ses carnets. Ou ? Il l'ignore. Quand? De même. Il s'en est rendu compte le matin même, en voulant écrire. Il a prié pour que le troisième angle de leur triste triangle ne soit pas tombé dessus. Pas certain qu'il apprécie les odes écrites à sa femme… Oh, aucun nom n'était cité, des surnoms simplement : il n'était pas assez orgueilleux pour croire qu'il méritait d'écrire des poèmes en citant son nom. Qu'il était assez doué pour sublimer ce prénom si parfait de ses vers indignes. Alors il écrivait pour elle, sans la nommer, sans la décrire, sans même jamais le lui avoir dit. Mais pour le Quirrell… ça ne ferait pas illusion. Et Roman essayait de ne pas le mettre délibérément en colère, de manière a ne pas faire de mal à sa belle, ni mettre en péril leur fragile équilibre.
Il a cherché dans toute la maison. Rien. Le carnet s'est volatilisé. Et ça l'angoisse plus qu'il ne veut l'avouer. Ses poèmes n'ont rien à faire ailleurs que dans ses mains. Rien. Il manque de ne pas entendre la sonnette retentir. Il hésite. Est-ce son rôle d'ouvrir? Ne devrait-il pas rester caché comme l'amant qu'il est, dans son clapier à défaut de placard? Mais… après tout, il est esclave. Au service de la famille. Ce n'est sans doute rien d'autre qu'un livreur avec un colis. La sonnette insiste, coupant court à ses tergiversations. Il attrape une chemise qu'il boutonne rapidement en remontant le couloir. Tant pis pour les chaussures, un livreur ne s'en formalisera pas.
Et, avant que la cloche ne tinte une troisième fois, il ouvre la porte. "Bonjour. En l'absence de Mr et Mrs Quirrell, puis-je prendre un message?"
Les mots lui arrachent le cœur, mais il parvient presque à sourire.