A guy like you... | ft Kieran

Un refrain entêtant au bord des lèvres. Eliah domine la ville, s'empare de la ville qu'elle lui offre. La lune monte et il lui sourit, offrant son torse nu sous son manteau de fourrure. Il le gêne. Malgré la fraîcheur d'octobre et la pluie qui tombe en fine bruine, il l'empêche de ressentir la lueur de son amant la plus fougueuse. Bientôt… bientôt il pourra la rejoindre. Bientôt elle pourra modeler son corps à son envie, le posséder, le faire sien. Et il sera loup. Il rejette le manteau sur les tuiles, ouvre les bras au ciel, se laisse baigner par l'astre de la nuit. A son bras, un foulard noué pour masquer la cicatrice au quotidien, en plus des tatouages. Il le défait. Laisse sa marque se gorger de lumière elle aussi. Il déteste devoir la cacher. Devoir se cacher. Mais le hongrois est pragmatique. La vision de cette marque lui mettrait les autorités au cul… Et s'il n'a rien contre les hommes et femmes en uniforme, loin de là… Il préfère le confort de draps à celui d'une cage, la chaleur d'un corps à corps torride, musclé, à la morsure d'un sortilège dans son dos. Il porte le foulard à ses lèvres. Bientôt… ce n'est jamais assez proche. Sous sa peau, le sang brûle d'envie, d'impatience. Comment dormir dans ce cas, alors qu'il voit tout, entends tout, que la ville lui appartient? Il ferme les yeux.  "Prends-moi plus tôt… je ne suis jamais rassasié de toi." Il sent la force de ses muscles, qui le démangent, prêts à la douleur de la transformation. Dans sa poche, il s'empare de l'anneau d'alliage d'argent. Le porte devant son œil, admire les reflets lunaires sur le métal. L'irritation ne tarde pas à picoter ses doigts, lui arrachant un sourire satisfait. Le portera-t-il, cette nuit? Pour ne jamais oublier la satisfaction d'être loup, et le bonheur de n'être pas comme cette marée insipide qui grouille en contrebas, qui s'empresse de se barricader chez eux, d'éviter la pluie. Fantômes sans avenir, sans présent, reclus dans le passé et la gloire de leur famille… Cafards sans pouvoir, dans leurs vies étriquées. Il les plaindrait, s'il avait le cœur et l'envie de s'en soucier. Il s'accroupit, remet l'anneau dans sa poche, le sourire aux lèvres. Il n'a pas besoin de ça ce soir. Ce soir, le loup est là, sous-jacent, près à surgir. Une semaine. Son sourire s'agrandit. Ce soir… Londres est à lui. Ce soir il ne dormira pas, ce soir, il va boire, il va fumer. Il va peut-être trouver quelqu'un à mettre dans le lit qu'il n'a pas.

Il remet son foulard, bien serré, récupère le manteau sur les tuiles et le repasse. Il avait une chemise, il fut un temps. Ou a-t-elle disparu? Difficile à dire. Il n'a pas passé beaucoup de nuits conscientes. Selina la lui aurait déchirée, à défaut de pouvoir lui ouvrir la gorge? Il l'aurait oublié chez une amante d'une nuit, l'aurait tâchée, perdue? Mystère. Il s'en fout. Se fout de tout. Il attrape la gouttière et redescends sur le balcon ou trônent quelques plantes insipides. Un clin d'œil au petit garçon qui le regarde bouche bée, depuis l'autre côté de la fenêtre. Un éclair. Il n'est déjà plus là. Ses bottes hautes battent le pavé mouillé. Il allume une cigarette. Dans l'allée sombre qu'il parcourt d'un pas vif, c'est la seule lueur, grésillant sous la pluie. Un détour par sa chambre miteuse, ou il ne reste pas plus que nécessaire. Le temps d'attraper une chemise qu'il ne boutonne que jusqu'au milieu. Pas de boutons en haut. Qu'importe. Le luxe n'est pas le contraire de la pauvreté, après tout. La porte claque. Il est loin.

Et c'est celle du Fol'Opium qu'il pousse quelques minutes plus tard, passant sa main dans ses cheveux lâchés, perlés de pluie. Un sourire. Il est chez lui… Et s'il ne l'est pas, ça ne tardera pas s'il fait semblant suffisamment longtemps. Il se pose au bar, fait signe au barman de s'approcher, lui glisse quelques mots. Une demande pour rencontrer le gérant. Un emploi. Il aurait pu lui dire "bientôt, je prendrais ta place." Mais il se retient, pour une fois. Ses yeux ont capté quelqu'un d'autre. Un homme s'enfilant un verre de whisky. Les mèches folles. Le regard sombre, mouvant. L'air de posséder l'endroit, et tout ce qu'il y a autour de lui. De se foutre de tout et de tout le monde aussi… Le hongrois sourit. Il commande au barman la même chose. Deux verres. Payes rubis sur l'ongle, malgré sa dégaine bohème, le torse apparent, les yeux maquillés. Un sourire presque carnassier. Toi… je te veux. Je t'aurais.

Il s'approche de l'homme, pose le verre sur la table, le fait glisser vers lui, et s'assieds. "Tu me laisserais t'offrir un verre? On rencontre assez peu de gens intéressants à Londres." Dis oui. Ce verre ne t'engage à rien. Et je pourrais m'abreuver de toi comme je m'abreuve de la lune. Eliah sourit. Un sourire en coin, l'œil brillant. Un sourire de vaurien, de petit con. D'homme qui se fout de tout et de tout le monde. On est pas si différents, toi et moi, tu sais. Je le sens. Laisse-toi le découvrir.

CODAGE PAR AMATIS
IMAGES PAR ECRIRE KV-TUMBLR