morphine et main tendue (hestia)

Lorsque l’alchimiste rouvre les yeux, il ne reconnaît rien. Rien de ce plafond couleur coquille d’œuf, ces murs insupportablement clairs qui l’aveuglent, les draps rêches du matelas trop fin, l’odeur de désinfectant dont elle désinfectait … Quoi ?

Il lui semble que ce n’est pas la première fois. Aucun souvenir de cet endroit. Mais qu’est-ce qu’il fout là ? A mesure que ses yeux s’ajustent à la lumière, il fait un bilan de ce qui l’entoure. Margot n’est pas là. Il est dans un bâtiment européen. Sorcier ou moldu, pas moyen de le savoir. Sa bouche et son esprit sont cotonneux. Bien, il ne va pas faire de vieux os. Avisant un cordon pour appeler un soignant, il en déduit qu’il n’est ni capturé ni placé aux fers. Les deux auraient pu se produire. Il écarte le bras, se penche pour
se remettre sur ses pieds et …

Rien.

Ou plutôt, tout.

Il voit des étoiles, une douleur fulgurante lui emporte tout le côté gauche du corps, ses tympans vont exploser tant son cœur bat fort. Réflexe de survie trop tardif, inutile. Sa main a lâché la baguette qu’il ne parviendra pas à ramasser ? Qu’est-ce qui lui arrive ? Il tremble comme une feuille, et de longues minutes s’écoulent avant qu’il se calme.

Au moins a-t-il retrouvé le fil de ses pensées. Ces connards parlaient de me sevrer des antidouleurs. Retour de la colère. Il se souvient, maintenant. Son épouse n’est plus là, il a été blessé. Portant précautionneusement une main sur sa hanche, il sent des bandages humides de sang, odeur d’hémoglobine répugnante. Une chair bien trop molle. C’est encore de la charpie, mon Dieu. Il ne parvient pas à trouver une quelconque once d’envie de regarder ce qu’il y a là-dessous. La blessure était profonde, l’attaque magique lui a fait penser à une sorte d’arme à feu moldue. Déflagration brutale sur une zone donnée, rien des sortilèges prétentieux auxquels se livrent les duellistes qui font du spectacle. On l’a visé pour lui faire mal. Réussi. S’il attrape celui -ou celle- qui lui a fait vivre ça, l’autre passera un bien mauvais moment.

Partir, maintenant. Retrouver Margot. Pourquoi n’est-elle pas près de lui ? Il imagine qu’elle est allée chercher un peu de nourriture. Son épouse n’aurait pas manqué l’opportunité de le vieller, il en est certain. Douce, attentionnée, prévenante compagne que la moldue dont il est sous le charme. Il ne parviendra pas à lui faire la surprise de venir jusqu’à elle. Au moins peut-il se redonner une contenance. Il n’est pas couvert de sang et déduit qu’on a pris soin de lui. Combien de temps s’est-il écoulé depuis l’attaque ? Suffisamment longtemps pour qu’on veuille le sevrer des antidouleurs, mais ensuite ?

C’est avec des gestes lents qu’il parvient cette fois à tirer le cordon. Quelque part, une cloche doit retentir. Enfin, une femme s’avance. Il la reconnaît sans la remettre. Ce visage lui est familier. Elle porte un nom qui l’amuse – quoi, déjà ? Pas moyen de retrouver d’où il la connaît – infirmière du camp ? Sorcière de ses années d’étude ? Oui, mais ? Française, anglaise ? Il la connaît, c’est certain.

Toujours ce vide sur son prénom. Peut-être délire-t-il encore.

« Bonjour. Vous m’aidez à sortir de là ? » Pas de réponse. Zut. Il est instinctivement revenu à la langue maternelle. Son air surpris lui apprend qu’elle est anglophone, ou en tout cas en pays anglophone. « Ha. Pardon ? Vous pouvez m’aider je vous prie ? A me lever ? Mon épouse doit m’attendre. Margaret Flamel, Margot pour les intimes. »