wasting my young years

août 1892. Naissance de Vesper, petite dernière des Rosier, au sein de la maison familiale. Seule fille de sa fratrie, fierté parentale, précieuse favorisée. Elle est celle que tout le monde couve. Celle que tout le monde couvera toujours, d'ailleurs, même quand elle n'aura plus envie d'être couvée. Elle est celle que l'on attendait et qu'on a enfin reçue.  mai 1896. La famille déménage dans une maison plus grande, plus imposante, dans le même village. Chez les Rosier, on donne des fêtes, on célèbre les femmes, on reçoit les amis. On laisse un instant de côté la politique qui gronde silencieusement dans un coin. mois 1897. Vesper commence son éducation dédiée avec un précepteur. Il ne lui apprend pas la magie - non, on ne triche pas chez les Rosier - même s'il ne fait rapidement nul doute qu'elle recevra bien sa lettre pour la célèbre Ecole des Sorciers. Il lui apprend le français qu'elle maîtrise déjà pas mal grâce à ses parents qui pratiquent la langue.  Septembre 1903. Vesper fait son entrée à Poudlard où elle est bien évidemment répartie chez les Serpents, ce qui ne faisait pas tellement de doute. Ses frères veillent d'un œil protecteur sur leur sœur unique ; elle se fait rapidement des amis, et des ennemis aussi. Il ne faudra pas longtemps avant que l'on s'aperçoive qu'à l'instar des membres de sa famille, la jeune femme est douée pour les potions ; ce qui lui vaudra d'être la préférée de son professeur, sans aucun doute. Elle adore cette matière qu'elle pratique sans compter, et c'est d'ailleurs là qu'elle obtient tous les succès, maniant les mélanges avec ingéniosité et intuition.  juin 1910. Elle quitte Poudlard, ses diplômes en poche, et pour célébrer, ses parents l'emmènent passer un été entier sur les traces de leur famille, en France. A la rentrée, elle se décide à étudier encore un peu plus les potions. Janvier 1914. Mort de ses cousins éloignés, bon nombre des Zabini. Elle n'en laissera rien paraître, mais elle est affectée tant par l'idée de leur mort que par la perspective que la cruauté de certaines personnes puisse la conduire à mourir elle aussi. Février - juillet 1914 Elle intègre Sainte-Mangouste et travaille à la confection de potions pour les malades de l'hôpital. En parallèle, elle est réputée pour pouvoir fournir des potions diverses et variées aux gens de sa connaissance. Une soirée festive ? Elle a ce qu'il vous faut. Un petit problème masculin ? Idem. Besoin d'un peu d'aide pour un examen ? N'hésitez pas. Ses potions, et les herbes qu'elle cultive secrètement, se vendent aux plus offrants et vous promettent des moments... intéressants.

Les grands esprits s'enfument

La grande méridienne verte du salon lui offre une assise confortable. Son velours crisse légèrement sous les doigts fins de Vesper, qui caresse machinalement la matière, les yeux rivés sur le portrait familial suspendu au-dessus de la cheminée. Le feu crépite, réchauffant son corps gelé par la pluie torrentielle qu’elle s’est pris dans la figure quelques minutes plus tôt. Son frère l’a réprimandée sévèrement, comme s’il pouvait user sur elle d’une quelconque autorité. Elle aurait dû utiliser sa baguette pour se protéger, quel intérêt de revenir aussi trempée d’une balade habituelle ? Sa seule réponse fut un ricanement léger, traduisant toute l’indifférence portée à cette prétendue solution magique. Elle aime la sensation de la pluie sur sa peau, elle aime la chaleur qui réchauffe son corps et qui sèche ses vêtements lentement. L'odeur de bois brûlé qui s'imprègne, lentement mais surement - tant de sensations qu'elle apprécie. Installé sur un fauteuil un peu plus loin, son aîné tortille ses doigts autour d'un objet long et fin. Un tube transparent qui conduit à un petit récipient au fond duquel crépitent des herbes qui se colorent en brûlant. L'épaisse fumée blanchâtre qui s'échappe par le tube finit directement dans la bouche de son frère ; et il rigole, l'idiot. Enivré par les plantes qu'elle a rapportées un peu plus tôt dans l'après-midi. Il lui semblerait presque que le tableau de famille les juge, tous les deux. Les deux cancres de la famille Rosier -- et le mort est fort, encore. Edgar est bien plus sage, bien plus discipliné, il est vrai. Mais ni Vesper, ni Hugo ne pourraient être qualifiés de troublemakers. Pas dans l'intimité chaleureuse de la maison familiale, en tout cas. Et ce n'est pas pour les plantes aromatiques qu'elle ramène parfois qu'ils risquent de la juger.

Un précipice

- Les Zabini sont morts. *

Le visage pâle de sa mère pourrait laisser croire qu'elle est morte, elle aussi. Une partie d'elle l'est, sans doute. Vesper sombre dans les yeux clairs de la matriarche le temps de quelques instants, en se demandant si c'est la mort de proches qui l'affectent ou si c'est la peur de subir le même sort qui la ronge. Un peu des deux, sans doute. On les taxe d'être inexpressifs, froids, intolérants, fermés aux autres, du haut de leur tour d'ivoire, du sang qui leur coule dans les veines ; mais quiconque porte de telles accusations n'a jamais rencontré les yeux tristes de la mère Rosier. Vesper est bien plus douée au jeu des émois dissimulés. Debout, enfermée dans un corset qu'elle vient d'enfiler, une robe en soie à ses pieds, elle dévisage sa mère comme si elle venait de lui dire n'importe quelle banalité sur la météo au dehors. Il est bien trop tôt dans la soirée pour annoncer les morts ; voilà ce qu'elle en pense.

- C'est une affreuse journée pour mourir. *

La mère se crispe ; elle laisse échapper un bruit léger, une complainte torturée. Un gémissement. Bientôt, dans le couloir, des chaussures claquent sur le carrelage. Elle déteste ce carrelage. Il est dur, froid. Sombre. Il détonne avec la chaleur du parquet et des tapis qui parsèment la maison. Face à Vesper, le tableau de famille laisse entrevoir les liens qui existaient entre son nom et ceux des morts. Les Zabini sont morts. La phrase résonne à l'intérieur de sa tête comme dans une coquille vide. Elle voudrait pouvoir détourner les yeux un instant, une seule petite seconde, pour chasser l'humidité qui se forme au bord de son œil droit. Mais sa mère la dévisage comme si elle attendait une réaction en particulier. Un signe. De la compassion.

Voilà que la porte s'ouvre, à la volée. Brutalement. C'est le père qui entre, cette fois. Il est moins sensible, moins fragile. Plus affirmé dans ses idées ; scandalisé par l'horreur, l'injustice. Il pourrait vomir sa haine sur le carrelage froid du couloir, ça ne la surprendrait même pas. Elle, elle se penche pour ramasser la robe et dissimuler son corps aux yeux des hommes ; car bientôt, le père est suivi des deux frères. Un défilé. Ca n'a pas la moindre importance, mais elle y tient.  Elle a envie de demander de l'intimité, d'ailleurs, mais elle sait combien sa requête sonnera surréaliste. Alors elle s'habille. Ils étaient attendu ; ils vont se cloitrer ici, plutôt, entre les murs du salon, les yeux rivés sur le tableau de famille. Elle se souvient, soudain, de ces cousins éloignés qu'elle croisait parfois. Elle songe que finalement, on ne se dit jamais que c'est la dernière fois qu'on croise les gens quand on les croise pour la dernière fois.

Et elle songe aussi que si elle est triste malgré le masque de glace qu'elle sert aux membres de sa famille, elle a peur, elle aussi. Peur d'être la prochaine sur la liste, peur qu'un des siens soit le prochain sur la liste. Elle a peur. Comme les lâches.

Un dernier orage avant la pluie

- Un truc pour alléger les souffrances. Je te le demanderai pas si c'était pas important pour moi, tu vois ?

Les temps sont durs. Ils laissent sur les gens l'idiotie qui vient quand on passe son temps à attendre le pire. Droit comme un i, il y a cet homme. Ce sorcier, qui se tient face à elle, avec un air à demi-effrayé. Il lui a fait peur, au détour d'une ruelle sombre par un soir de pluie. Encore la pluie. Ce n'est pas qu'elle ne sache pas se défendre - mais tous les sorciers qui tombent savent se défendre. Et pourtant, ils tombent. Elle a eu peur ; elle ne sait pas qui l'envoie, mais elle est tentée de lui régler son compte en lui préparant quelque chose qui lui fera regretter de surprendre les femmes seules au détour de leur chemin. Seulement, les yeux apeurés et clairs d'un jeune sorcier la rendent clémente. Pas qu'elle se risquera à le lui avouer, ça... Pas question. Elle croise les bras et le dévisage de toute sa hauteur.

- Et pourquoi je ferais ça ?
- Parce que j'ai peur. J'ai peur qu'il m'arrive quelque chose. J'ai peur de souffrir. Mourir, ça ne me dérange pas, mais souffrir, ça me fait peur. Si tu me donnes quelque chose d'efficace, j'aurais plus peur de souffrir.

Elle détourne les yeux, quelques secondes, pour regarder l'horizon obscurci. Le ciel est rayé d'éclairs et le tonnerre gronde d'une manière sourde.

- Si tu n'as plus peur de souffrir, tu feras n'importe quoi, et tu finiras par mourir. L'instinct de protection, ça te dit quelque chose ?

Les demandes étranges se multiplient, ces derniers temps. Elle a des contacts, des amis d'amis qui donnent son nom à d'autres amis. Et ces gens viennent la voir sans crainte. Elle qui se pensait parfois menaçante... Ils viennent et ils déposent devant elle leurs problèmes et leurs états d'âme ; attendent d'elle qu'elle trouve une solution. Mais elle ne veut pas trouver de solution, elle. Elle veut vivre en paix.

- S'il te plait.

C'est illégal ; mais si ce n'était que ça. Refiler du poison pour aider les gens à mourir si jamais il devait leur arriver quelque chose, ce n'est pas vraiment ce qu'elle avait prévu de faire de sa vie. Ni de son art. Amuser les gens, les embêter parfois. Manier les potions, les plantes. Elle adore ça. Mais donner la mort ? Ne devrait-elle pas jubiler ?

Elle dévisage le jeune homme qui a maintenant l'air d'être un enfant. A peine assez âgé pour choisir vraiment son destin, et pourtant déjà tellement conscient du monde qui les entoure tous les deux. Elle finit par acquiescer, lentement, sans dire un mot car sa voix tremblerait et on sait à quel point il serait désagréable qu'elle tremble en cet instant.



les phrases suivies d'un * sont prononcées en français

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