spasiba /isobel

(1890) Le souffle est lent, le cœur est lourd. La pupille perdue dans le vent qui se perd dans les feuillages avoisinant, faisant courir un bruit agréable et apaisant, comme celui de l’eau qui s’écoule, à l’instar du temps qui rappelle à l’ordre. Le vent porte aussi la mélodie du piano qui est lentement caressé par les doigts d’une fée. Stasya Apraxina ferme alors lentement les yeux, pour s’oublier de longues secondes, se perdre dans l’infinité de ce moment. Elle tient toujours un morceau de parchemin entre le bout de ses doigts, assise sur un canapé à châssis russe. Elle a tenu cette position et cette expression plusieurs jours durant, depuis que sa famille est venue la retrouver à Sainte Mangouste, s’entretenant avec les médicomages pour la faire sortir rapidement et qu’elle poursuive ses traitements et sa convalescence, ici, chez elle, entourée des siens, loin des murs anglais et de l’enceinte de l’hôpital sorcier. Il aurait suffi que le Gouvernement s’en mêle, ou simplement de souffler langue de plomb pour que son passage ici soit de toute discrétion, mais cela n’est jamais assez, jamais assez face au poids de l’or ou de la paranoïa grandissante de la sorcière.

Le soupire effleure ses lippes, elle gonfle à nouveau sa cage thoracique, puis elle repose son regard sur la lettre, la calligraphie élégante qui détache des mots simples et précis. Stasya Apraxina n’a pas rejoint d’elle-même l’hôpital londonien, non, quelqu’un l’a trouvé dans un piteux état et l’a porté jusqu’à là-bas. Et ce quelqu’un est une femme qui se nomme Isobel McGonnagal. Une femme qui l’a aidé et qui est sans doute responsable du fait qu’elle soit encore de ce monde aujourd’hui. Vous avez perdu énormément de sang avait soufflé le médicomage. Ce n’était pas une première fois, mais cela n’arrête pas la peur, ni la fatigue et la dureté de la réalité. « skuchat’… ? (mademoiselle) « Elle relève la tête tardivement, n’ayant pas conscience que la domestique russe l’appelait depuis plusieurs secondes. « Hm ? »  Elle relève son menton, posant ses yeux clairs sur vieille dame potelée. « Nous avons ce que nous vous aviez demandé. Faut-il l’emballer ? » La mage russe reste longuement silencieuse, silence qui n’est guère perturbé ou interrompu par la femme plus vieille qui la scrute, patiente. Elle a l’habitude, Olga, que sa maîtresse ait de longues absences, mais elle finit toujours par lui répondre. « Non. Faites un élégant assemblage, mais pas d’emballage. C’est un remerciement, pas un présent. » Elle hoche la tête Olga, avant de s’incliner légèrement et prendre congés sur un : « ochen’ khorosho, spasiba. (très bien, merci) »

(…)

Stasya Apraxina est là, un panier en bois sombre dans la main. Il y a un whisky des îles skyes, une vodka russe, des cigarettes cubaines aux notes subtiles de caramel, et des pâtisseries russes. Elle est là, telle une nymphe, ses longs cheveux blonds coiffés dans une longue tresse qui effleure son dos, dans une robe blanche légère qui volette sous le mouvement du vent chaud de ce terrible été. Elle est là, la parfaite ménagère que tu as retrouvé gisante dans les profondeurs de la forêt autour de la réserve de dragon.
Stasya Apraxina se tient droite, son port est altier, son allure digne d’une danseuse, et elle observe la maison de pierre et le lion de bois qui monte la garde. Elle observe les extérieurs, et l’horizon, curieuse de s’aventurer sur les terrains de cette famille sorcière. Un rien attire et attise sa curiosité. Elle avance un peu, longue la propriété et demande, clairement : « Il y a quelqu’un ? » Elle cherche un instant comment annoncer sa visite : une sonnette, un lutin torturé, un elfe, un domestique, une clochette ou que savait-elle encore ? Elle l’annonce sa venue, sa visite improbable et imprévue. Elle attend quelques longues secondes avant d’enfin voir apparaître cette femme, qu’elle imaginait bien plus vieille face à elle, à la peau dorée, à la crinière sombre, et ses orbes ensorcelants. Captivée, Stasya a déjà du mal à mal à te relâcher du regard, son visage neutre s’illuminant dans un doux sourire, ses yeux pétillants d’une vie retrouvée. « Bonjour. » Elle s’avance doucement, avant de tendre le panier de victuailles, et souffler : « Je voulais vous remercier…. Sans trop savoir comment. » Son sourire s’agrandit, trahissant une gêne délicieusement feinte. Elle échappe un léger rire, presque nerveux avant d’ajouter : « Les médicomages m’ont dit que cela s’était joué à peu…. Alors… » Silence. Ses orbes clairs retrouvent les tiennes. « Merci, Isobel McGonnagal. » Son léger accent trahit ses origines.