interrogatoire — groupe 20. genesis shafiq + gabrielle petit

Le battant claque violemment derrière elles. Un soupir las, mais le masque ne tombe pas. Qui sait qui se trouve dans la pièce attenante ? Aigle tyrannique ou phénix insoupçonné. Il est préférable qu’elle se charge de cet interrogatoire elle-même, Genesis. Pour son bien, pour leur bien. C’est ce dont elle tente de se persuader. La sorcière indique d'un signe de tête, la chaise miteuse sur laquelle Gabrielle doit prendre place. Doit. Car, il est important que la blonde ne la contrarie pas davantage. D’humeur exécrable ces derniers temps, elle lui en avait fait voir de toutes les couleurs. Jamais de cette manière, néanmoins.

« - Plus vite vous vous exécuterez, plus vite nous en aurons fini, lâche-t-elle en la repoussant contre le dossier en bois d’un sortilège informulé. Brutalité dans les gestes, impatience dans les paroles et délicatesse dans les yeux. Ce petit ménage finira par lui faire perdre la tête. À quoi vous attendiez-vous, Miss Petit ? Nous ne sommes pas au salon de thé. »

Elle rôde autour de la table qui les sépare, saisit le dossier qui lui fait face et se met à le feuilleter du bout des doigts. Ses talons martèlent le sol qu’elle arpente d’un bout à l’autre. La pièce est sombre, vaste et ses pas félins résonnent lourdement entre ces quatre murs. Lumière désagréable qui fait pâlir la bouille de l’interrogée. Par Merlin… Elle n’aimerait pas être à sa place. À l’extérieur, les marionnettes de Grindelwald aboient, intimident et maltraitent. Un frisson le long de l’échine, avant qu’elle ne reprenne là où elle s’était arrêtée.

« - Gabrielle Petit, à peine la vingtaine, de sang-mêlé. Le sourcil qui s’arque en direction de la jeune femme. Moment de flottement avant qu’elle ne reprenne calmement sa lecture. Baguette en bois de poirier, d’une longueur de vingt-sept centimètres et dont le coeur est en ventricule de dragon. Un rire narquois qui s’échappe de ses lèvres. Une chance qu’elle vous ait été confisquée si vous voulez mon avis. Ce n’est pas comme si elle vous avait rendu service jusqu’à présent. »

Allusion à tous ses enchantements ratés et non pas à la situation inconfortable dans laquelle son apprentie se trouve. Elle n’oserait pas. Genesis relâche lourdement la farde de parchemins sur la surface plane, les mains en appui sur la table, le buste légèrement penché en avant.

« - Miss Petit, débute-t-elle d’un accent insipide, votre dossier indique qu’avant de vous voir offrir votre emploi actuel, vous avez tenu la caisse d’un petit magasin de faces et attrapes. Peut-être souhaitez-vous élaborer les raisons qui vous ont poussé à poser votre démission ? »

Des regards suspicieux, partout. Comme si leurs yeux las, noircis par la rancune sauraient déceler l'impureté des menteurs avérés. Sa situation, elle l'avait pourtant presque oublié. Habituée à être l'officielle assistante juridique au Ministère, dont on ne peut renier la fidélité au Ministère. Mensonge qu'on avale comme un médicament, panse l'envie vicieuse de s'intégrer véritablement. La pièce est sombre, ses pieds eux se baladent nerveusement, démarche qui s'articule lentement sous la pression. Refuse de s'écraser face contre terre à ce moment qui l'humilie déjà tellement. Prétendre être une autre, encore. C'était comme cracher sur le front de sa propre mère, avec ingratitude, déchirer ce qui reste de souvenirs, et d'attaches, coeur qu'elle devrait s'arracher de la poitrine. L'obscurité est inquiétante, et c'est avec méfiance que ses doigts s'aventurent sur la chaise. Elle s'assied, et c'est avec violence que son dos est rejeté contre le dossier. Douleur nulle mais honte qui grandit, celle d'être une horrible menteuse. Elle le sait bien que rien, personne ne mérite ce temps de terreur mais il y a cette voix, comme le serpent d'Eve qui susurre que c'est tout de même de sa faute tout ça. C'est sa chair qui ne vaut rien. Pas même cette interrogatoire.

« Je vous prie de m'excuser. C'est intimidant. »

répond-t-elle, tête basse, chien puni pour ses aboiements insensés. Elle s'en mord déjà la lèvre inférieure de regret, se taire à cet instant, c'est la meilleure solution, alors. Les pas de Genesis résonnent avec force, menace qui rôde, se trace un chemin dangereux jusqu'à sa proie. Et tout cela sonne si vrai. Un péril que Gabrielle n'avait jamais soupçonné chez Gen. Confiance aveugle qui va peut-être dégringoler ? Non. Il faut s'en tenir à ces piètres rôles, essuyer ce moment difficile comme un songe effrayant mais qui prendra fin, alors à ce moment là, tout reprendra son cours naturellement et on ne doutera plus jamais de son allégeance au gouvernement. Oui, oui, se rassurer, toujours. Qualité qui lui est bien utile en cet instant.

On la décrit le plus objectivement possible. Prénom, nom, âge, sang, baguette. Le tout s'ensuit si naturellement, identité qui se résume naturellement. Mais ce n'est pas elle, ça. Elle espère être bien plus, narcissisme nouveau, reconnaissance qu'on lui interdit. C'est d'un rire moqueur que Genesis se réfère à la maladresse bien connue de Gabrielle. Et son visage qui se serait usuellement porté d'un rictus se crispe.  Parce que tout cela n'a rien de familier, et elle se retrouve là mortifiée, mâchoire serrée pour tenter de cacher l'amertume qui la traverse. Entre le pouce et l'index, le tissu de sa jupe qu'elle triture comme un enfant qui se raccrocherait à son doudou dans la nuit noire. Là, tigresse qui s'avance, s'impose, supériorité en tout, les bras tendus sur la table, et le visage qui surplombe la mine grise de Gabrielle. Elle, toujours regard fuyant vers ses souliers, ou vers ce plafond interminable, couvert par l'obscurité.

« Oui, c'est exact. Ce travail là ne m'intéressait guère. C'était surtout pour acquérir un peu d'expérience. »

Tu ne réponds pas à la question, Gabrielle. La vérité, c'est qu'on savait quel lourd mensonge tu portais et on t'a menacé. Ses paupières papillonnent un instant: elle reprend ses esprits. Alors, pour la première fois, elle affronte le regard de son interlocutrice et confie:

« Le patron avait tenté quelque chose, je n'ai pas accepté. J'ai pensé que cela me donnerait aussi l'opportunité de trouver une profession plus digne. Et j'en ai eu la chance. »

Toujours brosser dans le sens du poil, elle satisfait la bête monstrueuse qui grogne pour sauver sa propre peau. S'abaisser à ce qui semble être un jeu pour certains. Pour d'autres, comme elle, c'est l'effet d'être funambule, instabilité permanente. Le fil, si les Parques ne le coupent pas, il se tend, se détend, et il faut toujours être alerte. Menace partout, et ça, elle l'avait peut-être oublié. Innocence qu'on rattrape.

Des excuses qu’elle bredouille du bout des lippes. C’est intimidant. Pesant, l’immensité de ce plafond qui pèse sur les épaules de l’avocate. Le Ministère aurait pu prendre en considération le confort de ses interrogateurs. Une chaise de plus, par exemple, n’aurait pas été de refus. Et, l’impression désagréable qu’une créature des ténèbres demeure tapis dans le noir, prête à lui voler un baiser, un éclat de joie, au moindre faux pas. Alors, elle aurait presque de la peine pour elle, Genesis. Sa bouille d’ange qui laisse deviner le cauchemar dans lequel elle sombre petit à petit, ses lèvres frémissantes qui semblent, désormais, bien incapables de rire tendrement et ses doigts crispés qui s’agrippent aux coutures de sa jupe, unique point d’ancrage dans ce tableau sinistre. Tant de détails qui ne lui échappent pas. Mais, cette oeuvre n’a aucun sens, aucun bien-fondé à ses yeux. Seule la nécessité de mettre les ordres à exécution pour que, plus jamais, son assistante ne soit soupçonnée.

« - Oui, c'est exact. Ce travail là ne m'intéressait guère. C'était surtout pour acquérir un peu d'expérience. »

Son regard émeraude accroche celui de Gabrielle, mécontente. Le sourcil arqué et les bras qui se replient impatiemment sur sa poitrine. Signes de son agacement. Son apprentie ne répond pas à la question et cela l’irrite aussitôt. La sorcière reste silencieuse, cependant, l’invite à poursuivre d’un signe de main.

« - Le patron avait tenté quelque chose, je n'ai pas accepté. L’intérêt suscité. Nile avait lésiné les ornements qui donnaient de la profondeur à son conte. Ceux qui attisent la curiosité, poussent à tourner les pages, pour se délecter d’une fin inattendue. Confiance aveugle. Cela ne l’avait pas alarmé à l’époque, mais désormais… J'ai pensé que cela me donnerait aussi l'opportunité de trouver une profession plus digne. Et j'en ai eu la chance. 
- Vos réponses manquent terriblement de précision, Miss Petit, rétorque-t-elle en abattant furieusement sa paume sur la table. N’avez-vous donc rien appris ces derniers mois ? Le ton monte d’un cran, malgré elle. Une once d’amertume dans la voix. La sorcière s’éloigne, ses ongles qui s’attardent un peu trop longtemps contre la surface métallique. Crissement désagréable. De quel type d’infraction parlons-nous ?, l’interroge-t-elle, sans se départir de l’orage dans ses inflexions. Diffamation, harcèlement, agression ? Piochez-donc dans la boîte de Pandore et proposez-moi une explication satisfaisante, cette fois-ci. Un sourire narquois à la commissure de ses lèvres et ses doigts fins qui s’enroulent autour de sa baguette. Oh… Et, épargnez-moi les flatteries, je vous prie. »

Celles qui ne la satisferont certainement pas. Et, Gellert Grindelwald non plus.