Meet me in the woods (w/Drusilla)

Avril 1914

 

@Drusilla Potter

Avec un regret palpable, la Louve salue les derniers rayons de la Reine Sélène, échine courbée aux derniers hurlements qui s’échappent de la gorge déployée. Les adieux sont toujours déchirants, séparation brutale de la courtisane et son amante au moeurs versatiles. Le temps n'a jamais rendu les lendemains plus aisés, ni plus paisibles et les ordres impérieux du tyran des cieux n'en sont toujours que trop brûlants, années impitoyables soumises aux caprices cycliques. Les paupières s'agitent à peine, paresseuse sur les iris mordorés, déjà épuisés à s'ouvrir sur une lande désertique battue par les embruns et la bruine. Les plaies de la veille se referment doucement, la proie s’est battue férocement. Ou peut-être était-ce la louve qui manquait de détermination. Souvenirs trop flous, brouillard de guerre trop épais. Où en est la nuit.. Sur le derme encore sensible, tout juste débarrassé de la crasse pelisse, le vent londonien brosse les vestiges de la veille et accompagne dans un sifflement moqueur les gestes mécaniques et exécutés à la hâte, dans une précision fébrile. Les muscles gémissent sous le supplice prématuré, à peine ont-ils repris leur forme habituelle que déjà, les membres noueux doivent se délier dans un concert de craquements, grondements étouffés aux creux de la gorge incapable de former plus qu'un chuintement inaudible. Hors des entrailles des bois, extirper la carne encore déformée, traîner la carcasse du cerf éventré jusque dans un fourré, remonter la piste du loup pas à pas pour en effacer les traces. Retrouver la cache, récupérer la baguette, les vêtements. Entre les phalanges avides, serrer l'humanité laissée à la lisière, un semblant de conscience.
Mais cette fois, le ronflant bout de bois enchanté n'est pas à la place qui lui est habituellement réservée. Elle ne tire de la tanière qu'un pull trop large ayant appartenu à son frère, un pantalon troué bancal sur ses hanches. Dans le silence épais enveloppant la forêt, un concert de feulements contrariés fait voler les oiseaux éveillés en sursaut. "Bravo." que semble brocarder le fauve rampant sous la peau meurtrie, l'oeil goguenard, le sourire aux canines effilées.
Le souffle court et la conscience aux abois, Enkhjin cherche, traque. Les ongles frottent, creusent, labourent. La terre, la peau, l’esprit. Sillons caverneux, de la fange au derme estropié, merde, merde, merde en longue litanie silencieuse au bord des lèvres asséchées, panique en tambour au fond de la poitrine. Qui dira le Patriarche, si elle ne peut remettre la main sur la baguette ? Comment vivra-t-elle l’absence ? Hasardeuse frénésie à l’orée des bois jusque dans les rues étroites de Londres. Sous le soleil encore balbutiant, la louve s’enlise dans la recherche déchaînée, suivant les pots renversés, les balafres bestiales défigurant le pavés.  
Le regard fou tombe enfin sur la baguette, traînant dans un caniveau comme une vulgaire brindille. Comme un prédateur après une longue traque, elle se jette sur l’objet, l’enveloppant de ses griffes d’une sauvagerie précieuse. Elle traîne finalement la patte jusqu’à une porte familière, à l’abri des regards. Celle d’une Antre d’un autre genre, la sienne barrée jusqu’à ce que la Louve dans les entrailles cesse de se tordre d’impulsions carnassières. Une qui sent le thé, l’aconit et les doux silences.
Assise à même le sol, la laine détrempée mouchetée de boue, Enkhjin reste là, les bras berçant l’humanité autour de ses genoux, la baguette contre la poitrine, comme s’il fallait qu’elle s’accorde à nouveau avec le coeur du porteur. Une heure. Peut-être deux.
Palpitante occupation que d’observer les ombres s’étirer sous les rayons du matin. Doucement, elle lève la tête vers celle qui ne ressemble à aucune autre. ” ‘jour." Dans un croassement étranglé, l’accent élimant les dernières consonnes, c’est tout ce qu’elle peut échapper, après quelques secondes de réflexion et d’effort conscient. Pas que le jour soit particulièrement bon, il est juste là, c’est un fait. Pointant la porte derrière elle, l’ancienne Serdaigle ouvre et referme la bouche, les cordes vocales au supplice vibrant d’un simple râle frustré à la longueur équivoque. ” J-…. Hm.” Du bout de la baguette, finalement, dépliant les pattes cagneuses, elle trace quelques mots dans la fange. Je ne vous dérange pas ? flotte quelques secondes en lettres lumineuses avant de s’effacer, ses yeux cherchant ceux de l’intéressée. C’est à dire que même si c’était le cas, ça ne changerait rien à la situation.