A question of time (Shibahn)

A question of time

Need Help. Deux mots griffonnés sur un parchemin, affublés d’une note suggérant un rendez-vous : mercredi 16 juillet, 15h30, Old Bond Street - Londres. Amos ne s’était guère épanché dans sa narration lorsqu’il envoya ce hibou express à sa très chère soeur, ne lui épargnant par ailleurs aucun tourment. Car la missive succincte ne lui ressemblait que peu ; Amos avait pour habitude, même lorsque l’échange épistolaire se voyait écourté, d’étoffer ses écrits par quelques phrases élégantes voire quelques interrogations taquines. Une telle diligence dans la plume ne lui ressemblait guère, suggérait même quelques ennuis troublants planant au-dessus de son crâne telle une épée de Damoclès.


Il l’avait attendue impatiemment, happé par la foule londonienne hantant les rues de ce quartier chic. La houle de badauds battant le pavé ne l’incommodait pas tant, lui qui pourtant honnissait l’encombrement d’une populace transpirante, suintant le prolétaire comme le sang impur. Amos s’était même empressé d’arriver avant l’heure, lui qui pourtant manquait parfois de ponctualité. Aimant se faire désirer, l’égotisme trop cristallisé pour daigner honorer ses rendez-vous à la seconde près. D’aucuns le toisaient du coin de l’oeil faire les cent pas sur le perron de cette boutique de luxe ; c’est que l’homme avait belle allure en dépit de sa nervosité inhabituelle. Amos s’impatientait, soupirait entre deux désespoirs, cherchait de temps à autres une silhouette familière qui n’apparaissait pas. Un rapide coup d’oeil à sa montre lui indiqua que sa jeune soeur n’accusait pourtant pas de retard ; quinze heures vingt-deux s’affichaient sur le cadran sans pour autant que Amos ne daigne tempérer son impatience. Quels maux pouvaient donc l’accabler de la sorte pour que son regard autant que son souffle ne soient aussi lapidaires ? Enfin, à trop fureter autour de lui que Shibahn ne consente enfin à se révéler, Amos finit par la remarquer noyée au loin dans la foule. Il la rejoignit d’un pas leste, trop empressé pour paraître serein. L’enserrant dans ses bras avec la ferveur fraternelle, il ne tarda guère cependant à bougonner : « Enfin. Tu es en retard. » Quinze heures trente-deux pointaient dès lors sur le cadran. Amos ne prêta pas même attention au regard appuyé et soucieux de sa jeune soeur, trop absorbé par son étrange agitation.

A question of time

Need help. Mots griffonnés hâtivement, dénués de tout éclaircissement sur la source du problème. Ont seulement été joints à cette énigmatique missive, un lieu et une date de rendez vous. Alors elle tourne en rond, trépigne dans son bureau sans réussir à coucher un traitre mot sur les rapports qu’elle se doit de rédiger. Langue acerbe accueille quiconque tente un contact. Appréhension comme maitre mot, l’œil sur la pendule. Le temps ne s’écoule pas, les minutes semblent s’éterniser imperméables à son agitation. Qu’as-tu donc encore fait Amos ? Les frasques passées de l’ainé alimentent encore ses angoisses, appréhension de la perte. Peut-il encore se noyer dans ses démons, happé par la folie qui imbibe leur sang ?

Sans se soucier de la pile de travail, qui attend patiemment qu’elle daigne y jeter un coup d’œil, elle se saisit de ses affaires et s’éclipse du ministère. Elle parcourt hâtivement les rues de Londres qui la séparent encore de son frère, sans prêter attention à ce qui l’entoure. Pourtant Londres frétille en ce milieu d’après midi, moldus comme sorciers vaquent à diverses occupations. Pauvreté comme richesse s’entremêlent dans le brouhaha de la ville, incapables de se côtoyer franchement mais dépendant l’un de l’autre. Un souffle de soulagement s’abat sur elle quand elle s’aperçoit son ainé faisant les cents pas. Qu’importe la raison qui l’avait fait venir ici, amos semblait encore disposer de ses deux bras et de ses deux jambes. Toujours frappée par cette gueule d’ange qui habille ses traits, dissimulant sans peine les tourments qui agitent le gaunt. Elle aurait admis sans réserve que l’expression donner le bon dieu sans confession lui sied à merveille, si elle en connaissait l’existence. Elle se laisse entrainer dans l’étreinte, n’opposant aucune résistance aux bras que trop bien connus du frère, ayant été souvent synonymes de réconfort. « Tu as toujours le mot plaisant », jouxtes fraternelles, qui n’éloignent en rien l’inquiétude arborée sur son visage. « J’espère que tu ne m’as pas faite venir pour choisir une nouvelle sépulture ? », tonalité inquisitrice, à deux doigts de la réprobation. Les cercueils ont tendance à suivre de près les femmes rejoignant la famille gaunt et elle n’est pas sans ignorer l’union prochaine d’amos. A cette annonce, la crainte de le voir de nouveau céder à ses pulsions n'avait pas été dissimulée

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Il eut pour elle un sourire radieux, assez rare pour être convoité. Sa nervosité inusitée s’était gommée au profit d’un apaisement qu’elle-seule pouvait lui procurer en l’instant. Ainsi Amos ne se délogea pas de suite de son étreinte, posa ses mains possessives sur les épaules de sa jeune soeur comme il tendit les bras et, puisque ses paumes furent assez larges pour sa frêle carrure, l’agrippa tendrement. « Mais que de vilains reproches à tes lèvres, ma chère soeur. » Il avait ce timbre guilleret perlant à sa lippe, prompt à s’atteler à cet excès de confiance qu’il lui avoua derechef. « Tu sais très bien que je n’ai rien à me reprocher. Blanc comme neige. » Innocent, au regard de la loi. Quelques failles et lucarnes détournées eurent tôt fait de le disculper de ces crimes immondes dont on l’accusait. Amos avait cette faculté de s’en détacher avec l’aisance attitrée aux odieux connards ; de sa gueule d’ange, on lui confierait le monde. Mais de sa piètre moralité l’on pouvait aisément en récolter l’amertume du dégoût. Quiconque côtoyait le jeune Amos pouvait soit se targuer de supporter son exécrable caractère, soit déplorer de ne pas avoir l’opportunité de lui déboiter la maxillaire. Il tourna ainsi les talons, porté par la fraîche excitation du moment et d’une déconcertante agitation, enjoignant Shibahn à le suivre et d’ainsi remonter les ruelles noires de badauds. « Tu n’es pas sans savoir que dans quelques mois, j’épouse une Flamel. » Le patronyme en étendard sur ses lèvres ; la fierté de se mêler au prestige de leur blason sang-pur. Amos bifurqua au premier embranchement d’une démarche assurée. De toute évidence le jeune homme la menait au front avec la force de son aplomb, battant l’asphalte de ses pas lestes. « Moon, de son prénom. Charmante jeune fille, vraiment. » Un peu de cynisme, c’est un excellent tonique sanguin. Lui qui l’eût accueillie de ses mains encerclant son cou de cygne en étau, se gargarisait de compliments en sa personne. Pour autant les louanges s’égratinèrent soudain sous sa langue. « Même si trop frigide, entre nous. » Qu’importe, il se trouvera maîtresse. Indifférent à l’abattement que ces intimités de couple ainsi soufflées purent provoquer en Shibahn, Amos parlait de ce timbre suave, brûlant dans sa froideur. Il avait tout contre son crâne quelques projets imminents et, sentant que l’issue était proche, se réjouissait visiblement d’y mettre prochainement un terme. C’est ainsi soupirant de soulagement qu’il s’arrêta soudain sur le perron d’un bijoutier à la faste devanture. « Mais soit. J’ai déjà l’alliance de famille, évidemment. » Le regard interdit que Shibahn lui lança le mit à l’épreuve ; Amos roula son regard de suie au ciel comme il se sentit dans l’obligation de répondre à ses tacites inquisitions. L’alliance dont il était question avait autrefois gracieusement épousé l'annulaire de Victoire, aussi se devait-elle d’en accompagner la dépouille. Amos cependant, argua sa défense : « Tu ne crois tout de même pas que j’allais laisser le peu de biens qu’il nous reste dans ce maudit cercueil ? Bref. » Ce bref un peu sec, injonction à se taire et ne pas réfuter, claqua sous sa langue. « J’aimerais lui offrir au moins une bague de fiançailles, on dit qu’un bijou peut atténuer bien des peines. » Lui assurant ainsi, du moins le pensait-il, que sa jeune fiancée ne daigne pas se défenestrer afin de lui réchapper. Ou pire, tenter de prendre fuite. « Et tu es la personne la plus à même de pouvoir m’aider. » Ses yeux s’illuminèrent d’une fierté souhaitant ainsi lui insuffler, prompt à lui confier cette mission comme providentielle.

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Œillade circonspecte en guise de réponse, elle ne rebondit pas sur les affirmations de son frère ainé. Blanc comme neige, n’est certainement la première description qui lui serait venue en tête pour peindre le portrait d’amos. Elle admet volontiers à son frère plus de qualités que quiconque autre ne lui aurait concédé, mais l’innocence s’est envolée de sa personne des années auparavant. Et jusqu’à maintenant personne n’avait remis la main dessus. Une Flamel. Convention parfaitement négociée, nonobstant les rumeurs peu élogieuses sur sa personne il avait réussi à obtenir la main d’une demoiselle de bonne famille. Etonnant sens des affaires dont était affabulé amos, puisqu’il ne s’agissait que de ça, une bonne affaire. « A ce propos, je ne pense pas t’avoir adressé mes félicitations. Mais je suis heureuse pour toi. » lui glisse t-elle sourire aux lèvres, s’agrippant dans le même à son bras pour suivre son rythme soutenu à travers les rues bondées.  « Quand comptes-tu me la présenter ? », la curiosité fend ses paroles. Il lui tarde de rencontrer « l’heureuse » élue –s’il est possible d’admettre que prendre le nom des gaunt soit un heureux choix-, de mettre un visage sur celle qui partagera la vie de son frère. Bien au delà d’une quelconque envie de copinage, elle s’en passe allègrement, elle désire jauger la nouvelle venue. La protection du frère lui est chère, et s’entiche nécessairement de la rencontre de la douce qu’il accueillera sous son toit. S’y ajoute la curiosité pernicieuse de regarder la Flamel, devoir se conjuguer à la partition des gaunt. Si les familles de sang pur n’inspiraient rarement à des concepts de bienveillance, ou d’ouverture sur le monde, les gaunt arrivaient tout de même à détonner par leur sinistre notoriété. Par ailleurs, peut être le seul domaine ou ils brillaient. « Même si trop frigide, entre nous. », l’aveu ne l’offusque, habituée aux étalages peu courtois de ses aînés. « Quelqu’un te résisterait donc ? Voilà qui me donne plus envie encore de mettre un visage sur ta promise », s’amuse-t-elle des revers d’amos. Certainement, que la jeune Flamel devait moins s’amuser à devoir contenir ses ardeurs, mais cela n’entrait pas dans le champ de ses préoccupations. Le concept de solidarité féminine, lui était parfaitement étranger, échappant à son domaine de compréhension. Résidu du joug familial qui avait tendance à assimiler femmes à la descendance, leur occultant une dimension humaine. Noircissement des prunelles à la vue de la bijouterie, vraiment Amos ? C’est moi que tu traines ici ? Selene aurait certainement plus apte à lui prodiguer des conseils en joaillerie, mais certainement avait il craint qu’elle ne fasse graver le bijou à son propre nom. « Mais soit. J’ai déjà l’alliance de famille, évidemment. »  Agacement momentanément chassé par l’étonnement. Ce bijou ne devrait il pas se trouver au doigt, certainement décomposé aujourd’hui, de feu Victoire ?

« Certes elle n’était guère utile ou elle se trouvait. », finit-elle par lui concéder. Implacable logique, effectivement il aurait été regrettable d’ensevelir ce bijou. Fort heureusement il n’avait pas poussé le vice jusqu’à repasser la bague au doigt d’une autre. « Je ne suis pas certaine de pouvoir t’apporter mon aide à ce sujet. » Rappel douloureux de sa propre situation. Mais incapable de refuser les requêtes de l’ainé, elle se plie à sa volonté mue par l’envie de le voir satisfait. « Je suppose qu’il est inutile de te demander si tu connais ses gouts ? A défaut j’espère au moins que tu t’es enquis de sa taille ? », car oui Amos les bagues ont des tailles.

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Lorsque sa jeune soeur entre deux mots policés quant à son prochain mariage lui demanda à rencontrer la promise, Amos eut pour seule réponse un haussement d’épaule indolent. Se refusant d’introduire dores et déjà la jeune Moon au monde froid et insensible des Gaunt et ainsi, bien que la pauvre enfant en eut déjà un aperçu de par l’accueil glacial qu’Amos lui avait réservé, de lui épargner pour l’heure tout effroi. Le jeune homme préféra en effet attendre l’hyménée avant de pouvoir la confronter à sa famille, de crainte qu’elle ne fuit et ne trouve parade afin de rompre leur union. C’est ainsi tacite qu’il éluda la question, se contentant de battre le pavé jusqu’à la devanture fastueuse. Ici sur le perron, le frère et la soeur portaient comme drapé à la boutonnière cette impassibilité féroce, faciès implacables et froids ; là où Amos affirma que son larcin demeurait licite, Shibahn approuvait par l’affirmative, tous deux portés par une irrévérence placide envers la défunte. Victoire avait hélas, et contrairement à Yulia, ni place ni survivance dans le coeur sec d’Amos Gaunt. Elle n’était plus que le stigmate d’un passé succinct, monceaux de mémoires sans saveur (à hauteur de leur mariage trop fade) et de promesses infructueuses. C’est ainsi qu’ils balayèrent la mémoire de la trépassée, comme l’on chasse une mouche envahissante du revers de la main. Bien vite, l’indélicatesse d’Amos perla à sa lippe ; demander à sa jeune soeur célibataire de l’aider dans l’entreprise délicate de l’achat d’un bijou. Mais alors qu’il s'apprêtait à passer la porte de la boutique, la superbe du jeune homme s’estompa sitôt la critique avancée : « Je suppose qu’il est inutile de te demander si tu connais ses goûts ? A défaut j’espère au moins que tu t’es enquis de sa taille ? » Embarrassé devant le constat, Amos resta coi. Tentant vainement de se draper de sa vanité habituelle sans jamais ciller, son stratagème aurait hélas pu la duper si toutefois sa jeune soeur ne le connaissait pas autant. Cette lueur dans le regard, plus faiblarde à la pupille, témoignait de son ignorance. « Bien sûr, que je sais. » Mentit-il avec la force de l’audace. Exaspérant, comme toujours. « Elle a les doigts aussi fins que les tiens. » Sur ces charmants entrefaites, Amos poussa la porte affublée d’un carillon sonnant leur arrivée.

« Madame, Monsieur, bienvenue ! » Un homme bien trop guindé pour son jeune âge, dos tendu par une nuque rigide et tyrannique, les accueillit aimablement. Ne recueillant pourtant ni oeillade ni palabre de la part d’Amos, dont l’attention détournée ne témoignait que de son mépris, il s’étrangla sans se faire offense ; l’impolitesse parmi les quidams fortunés demeurait presqu’une tare inhérente à leur rang. Ainsi imperturbable, les yeux errant sur les vitrines emplies de bijoux somptueux - et de fait, il ne pouvait qu’apprécier l’argent aisément gagné par le truchement de son trafic honteux - Amos se fendait sitôt d’une expression approbative, sitôt d’une moue témoignant de son déplaisir. « Pourquoi pas celle-ci ? » Questionna-t-il non sans désigner une bague ornée d’une plantureuse émeraude, elle-même ceinturée d’une dizaine de petits diamants. Bague excentrique, tapageuse et inélégante, aux antipodes de sa promise. « Ou bien celle-ci ? » Rubis monté sur de l’or jaune, promesse de sénilité tant ce bijou semblait fait pour une septuagénaire amatrice de fourrures et de permanentes colorées. Face à la multitude de choix, Amos soupira, déconfit. « Les femmes affirment que la taille ne compte pas, mais avouons que ce n’est pas tout à fait vr -  » Il se tut soudain, avisant le regard amusé de sa jeune soeur. « Et bien vas-y, toi. Choisis donc une bague à ma tendre fiancée que tu ne connais même pas, puisque tu as des goûts tellement plus chics. » Croisant les bras sous un air bougon - de ceux qu’il n’épousait qu’en compagnie de Shibahn - Amos arguait sa mauvaise foi sans en démordre. Car le fiancé ne connaissait pas d'avantage la jeune femme habitant sous son toit, semblant s’en rendre compte sous la coupe de l’offense.

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L’absence de réponse de son ainé quant à sa sollicitation de rencontrer la flamel ne provoque en elle aucun sentiment d’étonnement. Pas plus qu’une quelconque vexation. Elle-même n’aurait guère gout à introduire un prétendant au sein des gaunt, lui faisant affronter leurs attitudes malaisantes. Malgré sa compréhension des états d’âme d’amos de faire entrer la jeune femme dans leur monde, elle sait qu’elle ne lui laissera pas le choix. Sa curiosité l’emportant sur les volontés de son ainé. Mais n’est-il pas usuel de ne point s’enquérir des souhaits des uns et des autres ?  N’ont-ils toujours pas mis une attention particulière à agir selon leurs propres velléités ignorant, avec superbe qui leur est propre, les éventuelles contestations ? Alors si elle ne persévère pas dans sa demande, ne souhaitant pas acculer dès l’instant son ainé, elle ne doute pas une seule seconde qu’elle aurait bien assez vite le dernier mot. Quitte à imposer sa présence au chez amos, ses accointances avec Todd lui étant parfois fort précieuses.

Si l’un et l’autre restent imperturbables au souvenir de la défunte épouse d’amos ce n’est pas le cas face à l’évocation de son manque de connaissance flagrant de sa future compagne.  « D’une précision à toute épreuve » , persiffle la brune incapable d’empêcher le sourire moqueur qui se dessine sur ses lippes.

Guère étouffés par la politesse, ni l’autre ni l’autre ne daigne lever un œil vers le commerçant, l’attention de la gaunt accaparée par les rangées de bijoux prenant place sur le rayonnage, arborant des styles tantôt trop ostentatoires tantôt trop discrets. La moue est réprobatrice face aux bagues désignées par amos, œillade pleine de jugement envers le frère. L’éventualité du mariage lui aurait fait-il perdre tout sens du bon gout ?  « Et bien vas-y, toi. Choisis donc une bague à ma tendre fiancée que tu ne connais même pas, puisque tu as des goûts tellement plus chics. »  Un rire s’échappe de sa gorge devant la mine boudeuse d’amos, cette même mine qui avait souvent accompagné ses victoires dans leurs jeux d’enfants. « Tu m’excuseras d’enfoncer le clou, mais en l’occurrence il n’est pas difficile d’avoir des gouts tellement plus chics. »  assène t-elle, sans pitié, désignant du menton ses vilains choix. Boudeur ou non, elle ne ménage pas la fierté de frère, toujours moqueuse de sa manifeste incapacité dans ce domaine. « Mademoiselle, Monsieur peut-être puis-je vous renseigner ? » le regard du vendeur, s’attardant quelques secondes sur l’annuaire exempt d’apparat de la gaunt, s’interrogeant certainement sur la nature de leur relation. « Monsieur est à recherche d’une bague de fiançailles pour sa douce. Il hésite encore entre divers modèles, mais vous conviendrez aisément qu’il serait inconvenant que sa jeune sœur s’impose dans cette décision ? », coupant toute méprise sur son lien avec amos, se jouant toujours de son ainé. Dernier outrage à amos, avant qu’elle ne décide de couper court à son supplice, joueuse mais pas insensée, elle n’ignore pas que la patience ne fait pas partie des vertus familiales. « Tu avais bien évoqué vouloir une  bague de confection française ? »  Clin d’œil aux origines de « l’heureuse élue », après tout ne parle t-on pas du « bon gout à la française » ?  « Quelque chose de ne pas trop imposant, l’heureuse élue ayant des doigts aussi fins que les miens » , finalement elle est incapable de résister à la tentation de taquiner le gaunt à la mine boudeuse.

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Le vendeur était là, s’approchant tel un vautour auprès de ses clients parcourant de leurs regards avares les vitrines bien achalandées. Sans doute avait-il perçu la déroute du jeune homme ou l’exaspération de la demoiselle l’accompagnant, probablement avait-il spéculé sur leurs portefeuilles d’une seule oeillade scrutatrice. A en juger par le sourire torve plaqué sur le visage, l’apparence des deux potentiels acheteurs demeurait suffisamment ampoulée pour qu’il ne daigne leur accorder quelque égard maniéré. « Mademoiselle, Monsieur peut-être puis-je vous renseigner ? » Cet accueil pompeux, Amos n’y prêta guère attention. Bras toujours croisés sur le torse, soufflant son déplaisir d’une moue gamine. Même cette pupille usuellement glaçante roula sur le plafond pour s’y perdre, réminiscences juvéniles, bribes de souvenirs de leur enfance perdue lorsque Shibahn arguait de manière bien trop sensée pour que son frère ne trouve mot à redire.

A la question intéressée du vendeur, Shibahn s’emporta dans un laïus dont la chute mit son interlocuteur mal à l’aise. Ce dernier toisa Amos d’un air pincé, portant sur son faciès les relans de la solidarité masculine sans pour autant piper mot. « Et bien… » Le quidam se racla la gorge, nuque raidie par trop de préciosité, front moite de ne savoir que répondre. « Un deuxième avis est toujours le bienvenu. » Sourire contrit à la lippe, le pauvre hère s’autocongratula en silence de son tact sans saveur. Amos ne put qu’opiner du chef, se refusant toutefois de darder son bienfaiteur - c’est qu’après tout il ne s’avérait pas être de grande pureté. Shibahn ne s’arrêta guère à cette fade opinion puisqu’elle continua sa diatribe non sans cette fois apporter de l’aide à son frère. Détaillant ainsi la bague parfaite tout en demeurant quelque peu évasive. « Oh bien sûr je vois ! Monsieur a bon goût. Suivez-moi. » « Tu as entendu ? J’ai bon goût. » Sourire se nichant dans le creux de ses fossettes espiègles, Amos emboîta le pas du vendeur le menant à une vitrine emplie de bagues élégantes à la joliesse sobre. Il se saisit de l’une d’entre elles, à la finesse stupéfiante. Montée d’une opale et sertie de diamants ; association atypique quoique ravissante. Amos la porta à sa vue et, lorsqu’il ourla ses lèvres d’un sourire enjoué, comprit qu’il avait trouvé. « L’opale est symbole de pureté... » Un murmure, prompt à nourrir ses pensées. Intrusif, le vendeur congratula la remarque sans que Amos ne daigne y prêter attention. Glissant son regard sur le visage de sa soeur, il la piqua sur un sujet délicat : « Pas ton genre de pierre, j’imagine. D’ailleurs je me demande bien quel genre de bague Cahir pourrait bien t’offrir. Enfin… » D’un mouvement de tête, Amos valida son choix auprès du vendeur. « A sa prochaine et ultime demande. Quand allez-vous enfin vous décider ? » Volonté d’en savoir plus, palabres trop virulentes, délicatesse absente. Comme toujours.

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La déconvenue manifeste du vendeur glisse sur elle, ses pupilles ne lui prêtant guère d’attention. L’absence de sollicitude est ancrée dans les mœurs familiales, certainement en ignorerait-elle le concept si le mot ne s’était pas un jour glissé dans l’un de ses livres. Si la notion lui était désormais connue, le ressenti lui était toujours défaillant. Sans surprise aucune le vendeur joue à l’équilibriste tentant de s’éviter une froide œillade tout en préservant la bourse, qui il l’avait bien compris alourdissait la poche d’amos et non pas celle de sa sœur. Filiation jusque dans les expressions, l’iris de la demoiselle roule au plafond, s’abstenant néanmoins de tout commentaire sur l’agaçante mièvrerie du commerçant. « Je crois qu’il est animé d’une ardente envie de te satisfaire, je ne vois pas d’autre explication », lui glisse t-elle peu soucieuse d’être entendue par l’infortuné, sourire taquin étirant toujours ses lippes.

Vendeur toujours ignoré avec superbe, son travail fait il était redevenu un simple meuble entre ces murs, sans plus d’intérêt. Les pupilles étaient trop accaparées par le bijou que tenait Amos entre ses doigts. L'autosatisfaction qui se peint sur le visage du frère, révèle l'achévement sa quête de la bague parfaite, qui ornera fièrement l’annuaire de la flamel. L’évocation de sa pureté disparue n’eut d’autre conséquence que de faire se dandiner de gêne le vendeur, tandis qu’un sourcil de la gaunt s’arque. « Amos Gaunt qui s’enhardit à discuter pureté. Voilà qui est incongru », siffle-t-elle arborant à son tour une moue pincée. Si elle ne pouvait contredire ses propos à son égard, elle n’ignorait pas les nombreuses frasques de son ainé, ni les contours de son éducation charnelle dignement offerte par le paternel au travers des putains qui ont défilé, bon gré mal gré, entre leurs murs. Au point qu’il ne finisse par la laisser derrière lui, s’enfuyant avec l’une d’elle dans des circonstances vaporeuses. Sujet qu’elle avait enterré des années auparavant devant l’absence de raison de son aîné.

A l’évocation de Cahir, le faciès se ferme, l’œillade se fait froide, incapable d’admettre que la situation la tourmente plus qu’elle ne veut le laisser paraitre. « Je ne sais pas Amos. Je pense qu’aucun de nous deux n’est capable de faire les concessions nécessaires. Tout est tellement plus simple pour vous, vos choix deviennent nos règles sans que l’on puisse vous demander des comptes » termine t-elle le regard perdu entre les différents bijoux qui s’étalent sous ses pupilles. Société patriarcale, famille l’étant d’autant plus les choix utérins ne cessent de se heurter à l’impétuosité masculine scellant toute contestation à travers les liens sacrés du mariage. Union qu'elle a lâchement fui, néanmoins incapable de rompre irrémédiablement ses attaches avec lui.« Enfin qu’importe nous ne sommes pas ici pour discuter de Cahir ou de moi-même. Comptes-tu lui faire une demande en bonne et due forme ? », certaine qu’il ne s’était contenté que de l’échange de consentement parental, sans aller chercher celui de sa future compagne. Marchandage d’entrailles prêtes à accueillir une descendance, excluant toute forme de romantisme.  « A moins que tu aies peur qu’elle n’en profite pour faire demi tour ? » lâche t-elle sourire éclairant de nouveau ses traits dans une velléité à peine dissimulée de détourner Amos de ses questionnements.

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Lorsque Shibahn s’engonça à raison dans son laïus dénonçant la société patriarcale, Amos tendit à peine l’oreille. Mâle, blanc, sang-pur, il n’était concerné par aucune forme de racisme ni même de discrimination régissant hélas le monde, et à ce titre n’avait pas d’énergie à y consacrer. Ce qui l’intéressait néanmoins d’avantage était encore la considération que d’aucuns purent faire à l’égard de sa jeune soeur : si Shibahn était en effet pressurée par les opprobres familiales et notamment masculines, Amos nourrissait à son encontre une bienveillance certaine. Intolérant pourtant envers la gente féminine qu’il estimait comme tributaire des hommes (conformément aux moeurs de l’époque), le cadet Gaunt  éprouvait une véritable tolérance à l’égard de Shibahn en dépit des voix mâles l’empressant à enfanter sous le couvert de l’hyménée. Là demeurait l’immaturité mesurée qu’on lui connaissait ; Amos demeurait un jeune homme glaçant par la verve, parfois cruel dans ses actions, mais se comportait aussi comme un gamin tantôt sadique tantôt frondeur. Outrepasser les moeurs et traditions avait quelque chose de grisant, surtout lorsque la transgression ne l’impactait pas directement. Son aspiration pour la liberté et son goût prononcé de l’indépendance l’enjoignaient à oeuvrer comme il l’entendait, ne faisant guère grand état des sentiments de ses victimes ni même des conséquences plausibles. Son égotisme se cristallisait autour de cette téméraire impudence et, comme il demeurait un homme libre de ses mouvements, ne rechignait jamais à en user. Il lui semblait donc normal, en dépit des obligations et coutumes familiales, que sa jeune soeur put en bénéficier tout autant.

Néanmoins Shibahn s’empressa de changer de sujet, ce qui ne réchappa guère à l’oreille avisée de son frère. Amos la laissa s’exprimer sous le mutisme du vendeur affairé à son écrin et ses rubans dorés, feignant de se laisser berner par ses endormissements et en cela s’amusa à répondre en contre-pied de ses interrogations, remontant ainsi le fil de la discussion. « Bien sûr que je crains de voir Moon prendre ses jambes à son cou et fuir comme une biche effarouchée, pourquoi crois-tu que le mariage est prévu en décembre ? » Amos aurait volontiers avancé les noces au plus tôt mais, refroidis par la réputation du jeune Gaunt, les époux Flamel avaient opté pour une date plus souple. « Par ailleurs, pourquoi faire une demande alors qu’elle est actée ? Ce qui m’enjoint, sans transition aucune, à remonter le fil de la conversation concernant notre très cher cousin et toi-même : pourquoi se compliquer autant la vie. Si tu le veux, prends-le. C’est ainsi que les choses fonctionnent. » Assurance ourlant la lippe, Amos usait de palabres résignées reflétant son état d’esprit. Conscient cependant que son exhortation ne s’appliquait qu’au sexe fort, celui auquel on accorda tous les passe-droits, le frère eut pour Shibahn d’autres aveux teintés de bienveillance. « Tu sais combien j’aime Elvis et je n’ignore pas les projets qu’il a pour toi. Je sais aussi combien il peut être autoritaire à ton encontre mais ne l'en blâme pas. S’il le fait, c’est seulement parce qu’il tient à toi. Néanmoins, et si tu souhaites avoir mon opinion... » Le timbre prit des couleurs enfantines, comme un appel mutin au défi. « Tu es une femme forte et si tu veux t’affranchir de ce monde d'hommes alors fais-le. Tu seras toujours ma soeur, même sans mariage et sans enfant. Si ton accomplissement doit passer autrement que par la marmaille, alors soit. » L’ambivalence de ses propos pourtant sincères, avait pour couleurs les vicissitudes habituelles inhérentes au jeune homme.

A question of time

L’enfant qui tremblait devant les mains menaçantes du paternel, qui se réfugiait dans les bras de son ainé lorsque les humiliations étaient trop fortes n’était plus depuis années. Lorsque la peur se saisissait de ses entrailles, coupait son souffle sa main se tendait toujours vers l’ainé mue par l’envie (ou la nécessité ?) de se cacher dans ses bras qui lui semblaient être la barrière face à un monde qu’elle n’était pas encore prête à affronter. Mais l’enfant était devenue femme et les larmes s’étaient taries ne lui laissant qu’une farouche hostilité à laisser un homme avoir le même ascendant sur elle que son paternel avait pu avoir un jour. Le père avait pensé les asservir en devenant le bourreau, pensant rendre ses rejetons malléables il ne les avait rendus que plus indépendants, incapables d’appréhender les impacts de leurs actions, des sentiments d’autrui.  Première branche faisant défection, incapable de tenir des engagements si leurs conditions n’étaient pas remplies, au mépris de tout ce qui avait été établi, s’engonçant dans leur fierté. Sentiment de culpabilité qui ne l’avait jamais effleuré, considérant l’autre comme seul responsable, la bonne foi s’écartant de la réflexion de la gaunt. Si ses récentes incartades lui avaient valu les remarques acerbes de Cahir et d’Elvis, elles étaient pour autant bien loin d’égaler celles d’amos. La cadette flirtant avec les limites sans être capable de faire le choix de les franchir. Au contraire, des ainés qui laissaient dans leur sillage rumeurs et œillades méfiantes. « Après tout, tu lui achètes bien une bague alors que tu as encore celle de Victoire à disposition, peut être aurais-tu voulu l’accompagner d’une demande. Crois-en mon expérience à ce sujet, une chose actée n’est pas inscrite dans le marbre et peut demander quelques efforts de la part de l’autre, en l’occurrence toi, pour étouffer toute velléité de révolte »  la tonalité est cette fois-ci sérieuse. Inquiète de l’avenir de son ainé, elle ne souhaite que lui échappe encore par ses actions la possibilité de fonder une famille, d’engendrer l’hériter tant attendu. « Et puis dans ton cas cela ne représente que quelques mois à tenter de combler ses envies. Je suppose qu’une fois mariée elle n’aura guère plus d’échappatoire »  imperméable à la situation de la jeune Flamel, pourtant semblable à la sienne, seulement intéressée par la réussite de son ainé à combler ses volontés.

L’assurance purement masculine de son ainé étire ses lippes, consciente qu’un changement de sujet ne suffira pas à détourner l’attention d’Amos. Elle ne relève pas l’erreur d’Amos, le choix ne consistant malheureusement pas en celui de prendre mais celui d’être prise excusant l’ignorance de l’ainé sur la réalité féminine. « Je connais ton admiration pour Elvis et si je suis consciente qu’il pense peut-être bien faire en voulant me plier à ses volontés cela ne suffira pas à provoquer tout sentiment d’indulgence à son égard, bien au contraire », contrairement à toi. Indulgence qu’elle a toujours eue pour Amos, se contentant de l’informer de son désaccord sans jamais lui en tenir rigueur, éternellement prête à lui tendre la main. Traitement injuste, résultant d’une considération aveugle, imperméable à la raison. Les mots du frère réconfortent, encouragent la dissidence, le refus de se soumettre aux mains masculine qui s’essaient à pétrir de leurs velléités ses lendemains. Soutien jamais prononcé à son encontre, n’ayant jamais pris vie entre les lèvres d’un homme de son entourage. « Merci Amos »  guère usée aux déclarations ses propres lippes ne savent prononcer sur l’instant que ces deux mots, tandis que le vendeur remet enfin le paquet entre les mains du Gaunt, les laissant libres de sortir de la boutique. « Il faut que je retourne travailler, mais sache que je n’en pense pas moins. J’ignore si tu es réellement satisfait de cet arrangement avec la Flamel, mais dans tous les cas ne te laisse pas enfermer dans un carcan qui ne te conviens pas au prétexte d’un nom qui rend bien en société, ou cela ne te réussiras pas mieux que la dernière fois. A contrario si tu as réellement envie que cette union fonctionne mets y les formes »  souffle t-elle, plus désireuse de protéger le frère contre ses propres démons que de le voir se plier aux injonctions sociétales. Les lippes déposent contre la joue un baiser, dans une dernière étreinte fraternelle, avant qu’elle ne tourne les talons en direction du ministère.