La brute et le truand ~ Simon

Béret enfoncé sur la tête, Calum parcourait les rues de Londres en lançant des regards farouches aux quelques calèches et passants qui croisaient son chemin. Il n'aimait pas leurs yeux remplis de dédains, il n'aimait pas cette impression d'être jugé par une sous race incapable d'arracher la moindre étincelle à une baguette magique, handicapée au point d'être exclue d'un monde qui s'exhibait presque devant eux, ces derniers temps. À part quelques ouvriers moldus, la plupart de ceux qu'il croisait étaient bien mieux habillés que lui, mais aucun ne savait soutenir son regard plus de quelques secondes. Un regard brûlant, transportant une promesse emprunte de violence qu'il saurait tenir. Il détestait ce quartier. Trop d'exhibition pour rien. Trop de provocations silencieuses auxquelles il désirait répondre. Il marchait vite pour arriver à son but sans s'attarder.

Cependant, il y venait pour la bonne cause : un peu d'argent facile ou bien de quoi se défouler un peu après quelques jours à fouiller sous son matelas à la recherche de ses dernières noises de bronze, histoire d'avoir de quoi se refaire au Golden Dragon. Au moins jusqu'à son prochain contrat. Cet argent facile allait lui tomber dans les poches directement depuis celles de Templer, un type qui avait autrefois fait l'objet d'un de ses contrats, mais qui représentait surtout une corde sur laquelle il continuait de tirer depuis.

Il ouvrit la porte d'entrée du bâtiment dans lequel vivait Templer sans même ralentir, continuant son chemin à grandes enjambées alors qu'une clope trouvait le chemin de ses lèvres. Il s'engagea dans les escaliers sans une once d'hésitation, connaissant par cœur le trajet jusqu'à l'appartement de sa victime, puis fit une pause devant la porte pour allumer tranquillement sa cigarette. Il ne les allumait plus à la baguette depuis qu'il avait failli se cramer les sourcils en s'y essayant alors qu'il était énervé. La magie pouvait vraiment être traîtresse si on y faisait pas attention.

Pas vraiment philosophe, il n'avait pas approfondi cette pensée. En revanche, il sortit effectivement sa baguette pour marmonner un sort qui ouvrit la porte de l'appartement de Templer sans opposer de résistance. Il ne provoqua pas d'explosion cette fois-ci, les moldus avaient tendance à devenir nerveux lorsqu'ils entendaient des bruits inhabituels dans leur environnement direct. Cette bande de couilles molles. En revanche, il entra dans l'appartement d'un pas tranquille, comme s'il se trouvait en terrain conquis. Ce qui était le cas, selon lui.

-Templer, mon pote, salua-t-il d'une voix grondante, n'essayant même pas de mimer l'enthousiasme.

Cigarette dans une main, baguette dans l'autre, Calum se tenait devant la porte qu'il referma d'un coup de pied vers l'arrière. Il n'était jamais là pour des visites de courtoisie. Fronçant les sourcils, il essaya de mettre le doigts sur quelque chose qui le gênait, sans vraiment savoir quoi pour le moment. Il fit quelque pas dans l'appartement, recalant sa cigarette entre ses lèvres alors qu'il surveillait son vis-à-vis. Celui-ci savait très bien pourquoi Calum était ici, mais parfois les gens avaient des inspirations stupides, pleines d'idéalisme et d'envie de rébellion qu'il fallait calmer rapidement et méthodiquement. Simon avait déjà eu un avant goût de ce que Calum pouvait infliger comme recadrage, il n'allait probablement pas jouer au plus malin ce soir-là.

-'Pas vraiment l'temps d'parler chiffons aujourd'hui. T'as mes gallions ?

Ses gallions. Il les lui devait, en échange de quoi, Calum s'en irait sans rien casser, mobilier et os inclus. D'ailleurs, en parlant de mobilier, le mercenaire (et accessoirement vulgaire racketteur) venait de mettre le doigt sur ce qui le chiffonnait. Il n'y avait quasiment plus de mobilier à pulvériser. Pas de chance, il allait devoir commencer directement par Templer.

-J'vois qu't'as fait de la place, tu vas pas pouvoir t'cacher bien loin ce soir...

Fuir, se cacher, essayer de répliquer, puis l'acceptation résignée de son sort. Des étapes courantes dans le travail de Calum, lorsqu'il devait laisser ses cibles en vie.

Simon avait oublié quelque chose. Il en était certain.

C’était une boule au ventre, qui ne partait jamais vraiment mais qui n’était plus vraiment dérangeante, tant elle se joignait au jeu de pétanque qu’étaient devenus ses intestins depuis des mois. Tel un rappeltout qui s’obscurcissait de carmin sans rappeler ce que l’on avait bien pu oublier, mais plus qu’un petit gadget pour enfants tête-en-l’air, c’était un mal-être assez profond pour être identifié, mais trop bénin pour mériter l’attention complète de sa victime.

Qu’avait-il bien pu oublier ?

Simon remplissait son livre de compte, laissant trace de son pécule amassé le jour-même. Le livre était un épais ouvrage, de plusieurs centaines de pages dont la moitié restait à écrire. Le bureau n’était plus l’œuvre laquée, fournie de dorures et de motifs d’une rare élégance, mais un minable pupitre qui lui avait déjà infligé quelques échardes. Son fauteuil n’était plus l’imposante monstruosité de cuir si confortable qu’on s’y endormirait volontairement, mais une chaise empruntée à la cuisine de service.
Son bureau n’était plus l’exposition de sa fortune, où les cabinets et vitrines exposaient des richesses venues du monde entier, des curiosités des colonies et des œuvres d’outre-mer, le tout outrancièrement chargé comme le voulait la mode victorienne. C’était la relique d'une culture moldue dans laquelle plus l’on est riche, plus l’on possède d’objets, et le bureau de Simon était désespérément vide. C’était le cas de tout l’appartement à vrai dire. Et tout était parti en moins d’une journée.

Il avait oublié quelque chose. C’était probablement quelque chose de lié au travail. Templer Aviation battait de l’aile, sans mauvais jeu de mots. Mais cela pouvait probablement attendre demain.

En cette triste journée, Simon avait joué la comédie face aux foules moldues qui avaient défilé toute la journée. Il s’était inventé un aïeul décédé dont il fallait liquider les possessions, avait retirer les sortilèges de protection de sa porte d’entrée, lancé un sortilège attrape-moldu devant son immeuble, et tout s’était déroulé comme prévu. Il ne lui restait plus qu’à rentrer tous ses gains dans son livre de compte, et il serait libre de profiter de ce qu’il lui restait de sa journée pour vaquer à ses occupations.
Il trempait sa plume dans le pot d’encre, ajoutait une ligne à son livre de compte, et soudainement cela lui revînt.

Ce qu’il avait oublié, c’était de fermer sa porte. De la sécuriser, dans ce monde où les clés étaient toujours obsolètes. Et il s’en était rendu compte parce que quelqu’un venait d’entrer chez lui. Sa porte l’avait prévenu, parce qu’elle était enchantée pour. Simon avait un visiteur, quelqu’un qui n’était pas censé être là. Et il eut à peine le temps de digérer cette information qu’il reconnu la voix de l’intrus.

Il s’agissait de la pire personne possible. A une ou deux personnes près. La brute et le truand personnifiée en un klephte malpropre, que ni Apollon ni Ponos n'avaient épargné. La vermine opportuniste qui venait prendre la part du lion à un festin auquel il n’était jamais convié. Le parasite qui venait réclamer des galions à celui qui les avait durement mérités. Celui qui n’avait jamais au grand jamais été synonyme de bonne nouvelle pour Simon, et probablement pour le reste du monde civilisé. Fucking Calum Goyle.

Simon reposa sa plume sur le pupitre, laissant l’encre couler à même le bois (ce n’était pas une grosse perte, un meuble pareil). Il referma son gargantuesque livre de comptes qu’il glissa dans un tiroir beaucoup trop étroit. S’en était toujours presque comique à voir. Simon adorait les sortilèges d’extension. Il se leva, défroissant sa chemise et se préparant à accueillir son invité, aussi malvenu soit-il.

Sa baguette glissée dans la manche de sa chemise, il ouvra la porte de son bureau et se retrouva face à la raclure. On pouvait voir le dédain sur son visage, qu’il n’essayait même pas de cacher. Pas besoin de courtoisies avec Goyle, il y avait au moins ce côté de positif.

« Pas vraiment l'temps d'parler chiffons aujourd'hui. T'as mes gallions ?
- Devine. » répondit-il à la question idiote, montrant d’un geste vague l’appartement tristement vide. On pouvait encore voir sur le papier peint lourdement détaillé l’empreinte des meubles et tableaux qui l’avaient autrefois caché. « Est-ce que j’ai l’air d’avoir quoi que ce soit à te donner ? »

Simon laissa Goyle déblatérer sur le vide de l’appartement. La minable boule au ventre que Simon ressentait lorsqu’il ignorait ce qui l’attendait avait laissé place à la peur de se retrouver incapable de se défendre. Il maudissait chaque jour cette marque qui ornait son bras, qui réduisait la puissance de sa baguette. Sans elle, il aurait pu se défendre, il ne se serait jamais retrouvé dans une telle situation. Mais l’argent qu’il avait dans sa poche, il en avait besoin. Plus que des gallions qu’il avait pu lui donner auparavant. Ce pécule, c’était son dernier, alors il ne le céderait pas.

« Fout le camp, Goyle. La Confédération m’a déjà tout pris. Si tu veux me piquer un tableau, va le leur demander. »

Mensonge éhonté, espoir ridicule qu’il s’en aille les mains vides. Mais on n’était jamais à l’abri d’une réussite.

Les yeux de Calum lancèrent des éclairs alors que Temple le se permettait de lui répondre sur ce ton. Oh il ne faisait pas le fier, ce sale petit sang-de-bourbe, mais s'il s'imaginait un seul instant que son élan de courage allait être récompensé par la fuite du Goyle, il se fourrait la baguette dans l’œil jusqu'à la garde. Calum cessa immédiatement d'admirer le mobilier et sortit ses mains de ses poches, les joignant pour faire craquer ses doigts.

-Tu peux m'la r'faire sans trembler des g'noux celle-là ? Aboya-t-il en faisant un pas en avant.

Calum était aussi habile avec les mains qu'avec la baguette et l'expérience lui avait prouvé que l'imminence d'une bonne bastonnade faisait parfois plus grand effet aux nés moldus qu'une baguette  agitée sous leur nez. Chose stupide, puisque la baguette pouvait faire bien plus de dégât, mais il n'était pas là pour éduquer les sang-de-bourbe sur leur propre stupidité.

-J'pense que tu fais l'malin et j'pense qu'une fois que j't'aurais fait sauter quelques dents tu t'rappelleras miraculeusement qu't'avais un p'tit què'qu'chose de côté pour moi.

Sur ce, il parcouru la distance qui restait entre lui et Simon pour lui assener un violent coup de poing au visage. Une chance pour Simon, Calum se prit les pieds dans une latte de plancher légèrement décalée par rapport aux autres et son poing atteignit plutôt son ventre, avec bien moins de force que prévu, mais suffisamment pour qu'il le sente passer.

Un lourd juron gaélique lui échappa alors qu'il se remettait sur ses pied, en garde et prêt à en découdre.

-J'ai rien d'mieux à faire ce soir mon con, j'te dérouille où tu m'files mon frique ?

Il en avait besoin pour ses clopes et ses paris.