(Hades Lockhart) Qui ne croit pas à l'enfer ne va pas en enfer

L'enfance isolée, malmenée. Recommence. Résiste. Ne te transforme pas. Ou le monde t'avalera pour te recracher clébard obéissant.


Un petit coup résonne contre la porte, tandis qu'il reste allongé sur son lit, à fixer les constellations qui tapissent le plafond de sa chambre. Il n'y a pas ombre d'un mouvement. Pas l'infime sensation qu'il ait pu percevoir le petit coup qui se répète. Et pourtant, il l'a entendu. Il a juste le souffle court. L'envie d'être seul dans la mansuétude des ténèbres dévorantes qui tombent peu à peu sur le monde. Formation tenace dont il a conscience de l'utilité. Lui, l'enfant des ombres qui doit pouvoir conserver son indépendance. Plus il grandit, plus il sait que tout ceci est nécessaire. Pour son propre bien. Pour assurer sa liberté. Son précepteur est peut-être le plus grand enfoiré que ce monde ait porté, mais Hades doit bien avouer que sa méthode fonctionne. Quand d'autres n'en sont qu'aux balbutiements de leur maîtrise, lui se rapproche de celle trop parfaite pour les dix ans qu'il affiche depuis la veille.

Encore une année, et Poudlard lui ouvrira ses portes. Encore une année, et le gamin devra se mêler à d'autres, sans qu'aucun être le côtoyant ne puisse deviner ce qu'il est. Lui, qui n'est que le petit garçon a la santé soit disant fragile et vacillante que son père a gardé à l'abri du monde depuis déjà trop longtemps. S'il lui refuse Poudlard, les soupçons seront trop puissants. S'il rejette l'invitation des études, alors on viendra fouiner. Alors qu'Hades rôde déjà dans l'univers malsain qui est celui de son père, s'attarde dans l'arrière-salle du Fol'Opium, lorgne sur les êtres qui s'y égarent en toute discrétion. Mais à cet instant, les petits pas foulent le sol, s'avancent sans que la porte n'ait grincé sur ses gongs. Il sait, Hades, que ce n'est que Proserpine, sa petite sœur. Celle qui finit par arriver jusqu'à lui, tend une main vers la peau tuméfiée qui frissonne, réagit funestement au contact que le métamorphomage fuit la seconde suivante, sa main venant emprisonner la sienne avec l'acidité d'une violence douceâtre.

« Rosine. » gronde-t-il. Il n'y a jamais eu que lui pour l'appeler ainsi. Contracture de ce prénom qu'il était incapable de prononcer lorsqu'il était plus jeune. Et puis c'est resté. Rosine. C'est doux. Mille fois plus que le prénom qu'elle porte à ce jour. Et il a l'impression que cela lui correspond à la perfection. Petite rose dont l'obscurité noircit les pétales jour après jour, dans ce monde trop machiste pour réellement donner une place, une chance, aux femmes. Elle l'observe, il le voit depuis que ses yeux ont vrillé sur ses traits, quand les siens se sont faits mouvants sous la douleur. Don dont la maîtrise possède encore des limites brûlantes. « Il t'a fait mal. » qu'elle souffle en pinçant les lèvres. « Il me prépare. » réplique-t-il sans hésiter, alors qu'il voit dans le regard de sa petite sœur ce qu'elle pense de celui qui a blessé son frère. Sauf que c'est un mal nécessaire. Si cela s'était produit à Poudlard, ou ailleurs, il n'aurait jamais été prêt s'il n'était pas passé par là avant.

« Si je veux pouvoir rester libre, tout ceci est nécessaire. » précise-t-il finalement. Comme un mantra qu'il n'a jamais cessé de se répéter sous la dureté de l'apprentissage qui a été le sien, et qui n'est pas encore fini. Phrase qui n'a jamais cessé de tourner dans son esprit, pour se convaincre de sa vérité, et accepter cette enfance difficile. « On dirait que c'est lui qui parle. » réplique-t-elle immédiatement en croisant les bras de contrariété. Il se redresse sur son lit, une grimace venant narguer ses traits, mais aucune fluctuation ne s'y attardant sous la concentration qu'il s'impose. Preuve, s'il en fallait-une, que tout ceci fonctionne. « Il n'a pas tord, et tu le sais. Le gouvernement me mettrait un collier si je me recensais. » Et pire encore lorsque 1914 viendrait. Mais de cela, il n'avait pas encore conscience. Ce qu'il savait, par contre, c'était à quel point son don se révélerait utile dans le milieu qui serait un jour le sien, plus encore s'il était méconnu des êtres l'entourant, qui ne lui seraient pas proches.


                                     Nocturne exaspération. Détourne le regard pour le ramener à ce qu'il doit.

Un soupir au creux des lèvres, ses iris s'attardent sur la silhouette endormie quelques lits plus loin. Celui de son meilleur ami. Avant de laisser son regard revenir scruter le plafond au-dessus de son lit, sans un mot ou un souffle de plus. C'est idiot. Même plus que cela. Jamais il ne l'avouerait si on lui posait directement la question. Mais il est cette hantise cachottière, cette répréhensible obsession qu'il tente d'étouffer de toutes ses forces. Lui n'a rien remarqué. A être trop préparé à maîtriser chaque émotion pour éviter qu'elle se répercute sur son apparence, Hades a fini par être un remarquable menteur, un être bien trop secret par moment, y compris pour celui qui n'est autre que son meilleur ami. Mais comment lui avouer ce que lui-même refuse d'assumer. Un autre soupir, et le voilà qui repousse la couverture qui termine sa course aux pieds du lit, tandis que ses pieds froids s'attardent sur le sol. Le temps de se saisir d'un courrier, d'un parchemin, d'une plume, ainsi que d'un petit sac en tissu, avant de prendre la direction de la salle commune bien trop silencieuse à cette heure tardive. Obsession maladive qui l'empêche de trouver le sommeil, il termine sur l'un des fauteuils, et commence par relire la missive de son parrain. Une main s'égare dans ses cheveux, ses iris se relèvent en direction des escaliers menant au dortoir. Mais il ne souffle pas un mot, pas une respiration de trop. A la place, il prend la plume et commence à laisser son écriture prendre vie sur le parchemin...

Cher Albus,

Recevoir ta lettre m'a fait grand plaisir, bien que j'aurais aimé voir ce que tu vois, découvrir ce que tu découvres. En sommes, être à tes côtés plutôt qu'entre ces murs. On dirait que tu redessines le monde en t'y attardant, et ton dernier cadeau n'a fait que renforcer cette sensation. J'ai commencé à l'étudier. Il est... fantastique. Est-il lié aux moldus ou simplement aux sorciers ? Il me semble un peu des deux, non ? Je suis persuadé que si l'on arrivait à reproduire les effets de certains vieux artefacts...

Un bruit dans les escaliers lui fait suspendre son écriture. Un trait plus long marque la feuille, comme une traînée de petits points mystérieux. La lumière tamisée de la pièce n'est même pas troublée par l'éclairage infime d'une lune inexistante ce soir. Hades est ambitieux dans cette connaissance à portée de doigts. Il désire percer les mystères du monde, et craint l'ombre narquoise d'une mort insidieuse. Pourtant, il ne souffle pas sa crainte à son parrain parti trop loin. Tromper la mort... comme une obsession naturelle. Mais il souhaite percer les secrets de ce que son meilleur ami souhaite ardemment posséder. Les percer pour mieux en reproduire les effets. Ou en créer bien d'autres. Il s'interroge, Hades. Se tourmente même sous l'activité nocturne qui est sienne. Parce qu'Helios est la présence qu'il recherche presque désespérément, même quand l'autre lui dit qu'une fille l'a remarqué. Maigre intérêt pour la gente féminine qui le trouble plus qu'il ne voudrait l'avouer. Pas même à lui-même. Mais ce n'est pas lui qu'il voudrait tromper. Ce n'est pas la cohérence de ses pensées qu'il souhaiterait coucher sur le papier. Dans les méandres de ses réflexions particulièrement malsaines si l'on prend le temps d'y réfléchir.

T'es-tu déjà demandé si la sorcellerie pouvait influer sur l'âme ou les pensées d'un être ? Je ne parle pas d’artefact. Ni de ce que tu m'offres. Mais crois-tu qu'il soit si répréhensible de jouer avec la crédulité des autres ? De leur offrir une ombre de vérité n'étant en réalité qu'un mensonge ? Mon père dirait que tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins.

Hésitation morbide... il plie le parchemin, incapable de poursuivre, tant l'idée qui lui est venue est mesquine et manipulatrice. Prendre les traits d'une fille, pour savoir. Pour essayer. Pour goûter. Pour... Il déglutit. Non. Pas ce soir, ni cette nuit en tout cas. Il n'y aura pas de tentative grotesque, ni de confession. Il n'est même pas certain de garder la lettre quand il remonte enfin dans son dortoir, sans savoir de quoi demain serait fait. Mais ce présent l'oppresse et le tourmente.


                                     Nocturne calamité. Égare-toi à nouveau dans les méandres de l'obscurité.

Il a laissé le temps s'envoler. Il a laissé les rouages s'égrener sans un regard en arrière. Lui qui n'est rien d'autre que la progéniture d'un mafieux. Façon de voir le monde quelque peu biaisée. Non par une question de sang, mais bel et bien de supériorité. L'argent est une facette non négligeable de cet univers ruisselant de noirceur. Et l'on est bien loin des considérations de certains sur l'ascendance qui aurait une quelconque importance. Hades s'en moque. N'ayant jamais eu honte d'avoir un jour vu son sang se mêler d'une quelconque manière. L'obsession de la pureté lui semble idiote. A la place, son désir créatif, et la place qu'il occupe à présent dans l'organisation mafieuse dont sa famille porte la couronne, lui convient bien plus. Le fait qu'ils aient dû coopérer avec la vision de Grindelwald lui déplaît malgré tout quelque peu... la présence de sangs de bourbe au sein de leur établissement lui laisse un léger goût amer au creux de la langue. C'est bel et bien une opportunité à saisir, il est sûr, et un moyen de ne pas se mettre à dos celui à la tête du gouvernement actuel. Mais si autrefois il était parfois question de prostitution, les ères étaient consentantes. Aujourd'hui, il n'en est même plus question, puisque le choix qui leur est laissé est plutôt misérable quand on y songe.

Esclavagistes. Ce qu'ils sont en quelque sorte. Et il ne pensait pas qu'ils sombreraient si bas. Qu'ils devraient veiller sur ces poupées au sexe indifférent. Sa position l'en disculpe tout en l'y contraignant en étant le fils du père. Incapable de contredire Neptune. Incapable de ne pas comprendre l'utilité tant financière que de survie qui se joue à travers ces décisions qu'il ne prend pas lui-même. Lui dont les visages finissent par le hanter sans qu'il ne sache plus vraiment qui il est à force de contempler d'autres traits, d'entendre d'autres voix... Il pénètre à l'intérieur du Fol'Opium après avoir repris sa véritable apparence dans une entrée secrète du bâtiment. Les couloirs laissent la musique hanter jusqu'aux âmes égarées. Il y a ceux qui ne sont là que pour se déhancher. Ceux qui ont conscience des alcôves où il est possible de disparaître. La prostitution choisie transformée en abominable asservissement pour ceux qui se trouvent entre ces murs.

Certaines de ces âmes lui sont connues. Esclaves de ces murs, soumises au bon vouloir des clients. Et puis il y a celles qui trébuchent, voudraient hurler jusqu'à ce que tout se dissipe une bonne fois pour toute. Hades travaille actuellement sur une nouvelle drogue qui adoucirait leur sort. Peut-être que d'un certain côté, il est question d'une forme de compassion, mais il n'est pas certain de savoir si cela est la vérité, ou non. S'il ne s'agit pas là de simplifier finalement leur prise en charge par la famille. Certains effets d'anciennes drogues plus moldues poussent à désirer les contacts, effet qu'il cherche à reproduire à sa manière. Les effets, il les teste sur ceux qui veulent bien jouer aux cobayes avec lui sous l'aval de son père. Après tout, cela les absous d'une nuit de travail, peut-être même de deux selon les effets indésirables. Parfois, lorsqu'ils sont vaporeux, ce sont ses propres lèvres qui sont ébauchées, son propre corps qu'il sacrifie de bonne grâce. Mais ce soir, il n'est là que pour retrouver son père... pour lequel il avait emprunté l'apparence d'un client tandis qu'il se trouvait entre ces murs. Il se faufile, s'avance, et frappe à un rythme particulier reprenant une mélodie choisie un peu plus tôt.

Il pénètre dans le bureau de son paternel, et vient tout simplement s'asseoir avec nonchalance sur le siège face au bureau, tout en s'emparant du verre d'alcool sans doute versé pour lui. Et si ce n'est pas le cas, et bien tant pis. Neptune, imposant dans le costume qu'il porte, et qui scrutait les fenêtres permettant de voir l'intérieur du club sans être vu, se retourne et pose un regard appuyé sur son fils. Hades, lui, fixe pensivement son reflet dans la liqueur que contient son verre, sans prêter attention aux lèvres pincées de son père. « Tiens-toi mieux que ça. » Le timbre n'est même pas haussé, il siffle pourtant comme un grondement aux oreilles d'Hades qui se redresse presque inconsciemment sur son siège en relevant son regard sur le maître des lieux. « Raconte. » « Il cherche en effet à nous doubler. » souffle-t-il en réponse en haussant vaguement les épaules. Le monde est en train d'imploser, mais les Lockhart ne perdent pas le nord, ni leurs trônes dans l'ombre mafieuse qui leur permet de régner sur les bas-fonds. « Bien. » Ca sonne comme le glas pour l'idiot qui cherche à les doubler, et pourtant, pour des oreilles innocentes, on aurait l'impression d'assister à un échange des plus simples entre deux hommes. Pas même un père et son fils. Ils n'ont jamais appris à exprimer une quelconque tendresse l'un envers l'autre, tandis qu'Hades vide son verre avant de poser un papier contentant toutes les informations sur le bureau de son père. « Tu as encore besoin de moi, ce soir ? » Leurs regards se croisent, tandis que le fils se tient déjà prêt à se redresser, et à se perdre dans les bas-fonds du club, sans doute entre une paire de cuisses... ou juste sur un lit à bavarder, selon l'humeur du Lockhart. Un signe de main plus tard, il quitte enfin le bureau pour les ténèbres du Fol'Opium.