Un coeur, c'est peut être malpropre

Octobre 1884. Naissance de deux premiers enfants de la seconde branche des Malfoy, ceux-ci sont nés doubles, un garçon une fille, quand l’un se montrait déjà posséder le monde, l’autre semblait hésitant et méfiant, elle a ouvert ses yeux sur les couleurs ocres et marbrées du manoir familial, souhaitée et désirée. Septembre 1895 Sa onzième année ouvre les portes de la scolarité, Cedrella entre à Poudlard avec son frère dont elle ne lâche pas la main, ainsi le choipeaux hésite-t-il longtemps entre Griffondor et Serdaigle, elle finira habillée des couleurs bleus et argents, l’outil ayant détecté la douance et les grandes capacités de Cedrella. Novembre 1896 Souffre de phobie scolaire, sans le dire néanmoins et ne le montrant pas non plus, Cedrella a passé sa première année effacée, déjà les notes démontraient des difficultés. La honte et la culpabilité l’oppressent, on ne cesse de lui répétéer qu’elle est de sang pur, royale et qu’elle doit faire la fierté de sa famille. Elle s’essaie à épouser les principes et les désirs familiaux, mais le système éducatif ne lui convient pas. Elle souhaite être libre d’exercer sa magie comme elle le souhaite. Août 1897.  Refus de se rendre à Poudlard, l’enfant fugue une nuit sans que personne ne soit au courant, elle s’enfonce dans la forêt Sherwood et revient le matin. Cedrella continuera à taire le harcèlement scolaire et sa solitude de plus en plus grandissante. 1905-1908 Débarrasser de l’école Cedrella refuse, récalcitrante et têtue, à prendre une place au ministère ni dans aucun emploi, elle se vautre dans son rôle de jeune fille bien élevée et oisive. Elle accepte le voyage proposé et accompagne son frère dans les pays d’Europe et d’autres continents. C’est ainsi qu’elle se découvre une passion dévorante pour les langues complexes. Apprend en quelques mois le français puis le latin et le grec. Son grand tour d’Europe lui permet de découvrir des cultures et des richesses dont elle gardera, possessive, ses souvenirs. Elle revient alors, enrichie et un visage plus apaisé quand son père lui annonce qu’il lui a trouvé un fiancé. Janvier 1909. Le mariage approchant et l’entente terrible entre les deux partis, Cedrella propose une balade sur les bords de falaises, sur les côtes écossaises. Elle a la méfiance croissante depuis que son fiancé lui raconte des choses abominables et ses projets de vie de couple. Il a la crauté dans les iris et les mots implacables et crus. Cedrella ne s’étant jamais intéressé à ce domaine physique que l’on nomme relations sexuelles, Noirceuil a à coeur de lui apprendre et de lui conter toutes les pratiques les plus morbides, s’amusant de la fragilité de sa promise. C’est lors d’une réplique salace que la jeune femme tend les bras afin de le faire taire à jamais.  Mars 1910.L’entente familiale est cordiale mais mêlée de trouble et de désaccords puisque Cedrella objecte à chaque fois qu’on lui propose un parti. Les disputes deviennent de plus en plus nocives et froides. Cependant la mère tente de se rapprocher de cette enfant qu’elle a délaissé par préférence pour Caesar.  Décembre 1912. Bouffeuse de livres, Cedrella ne manque jamais les festivités littéraires, c’est ainsi qu’elle rencontre Césaire Delacour dont elle a dévoré chaque œuvre et a annoté toutes les idées qu’elle trouvait intéressantes. Ils viennent à discuter de plus en plus fréquemment ; Cedrella aime l’espace que lui offre cet homme, elle parvient à lui faire confiance et s’épanche dans ses lettres. Elle ne met pas de mots sur ce sentiment qui, petit à petit lui pénètre l’âme et le coeur mais quand elle pense à lui c’est avec tendresse et amitié. Fevrier 1912 Lors de leur rituel, Cedrella demande à Césaire s'il ne pourrait pas lui apprendre les particularités et la pratique de légilimencie, attirée par cette science elle ne tarde pas à en comprendre les enjeux et la complexité ne l'intimide pas. De niveau zéro elle passe au niveau un sans difficultés. Avril 1913 Elle a passé les bases de la légilimenci après un travail acharné, elle y a passé des heures, profondément concentrée. Juillet 1913 Elle accepte naturellement la proposition de mariage de Césaire sans questionnement ni doute ; une évidence et l’affirmation toute en timidité. Elle accepte avec cette proposition les responsabilités qu’il lui quèmande, être une mère pour ses enfants. Décembre 1913 Atteint le niveau 1 dans la discipline de la légilimenci. Septembre 1914. Le mariage est repoussé, les préparations mises en pause, Cedrella et Césaire perdent leur pouvoir, empoisonnés tous deux. L’impression immense de perdre une grande partie de son essence l’emporte encore une fois dans une souffrance dont elle cache les symptomes.

Mange. Mange Cedrella. Mange. L’assiette repose devant le regard de la demoiselle, quinze ans, la beauté intransigeante de son visage évanescent fronce les sourcils, l’air est répugné, les lèvres se closent, mange, mange Cedrella, mange. Mais elle repousse les aliments, repousse la vitalité. L’adolescente préfère le rose des pommes et le brun des poires, jamais ne touchera-t-elle de la viande ou les matières animales, trop respectueuses de ces bêtes à poils, d’ailleurs autour d’elle le chat ronronne, gratte sa tête sur sa main et apaise la souffrance, la colère, l’incompréhension. Pourquoi a-t-on besoin de manger ? Cedrella n’ose pas questionner, les moqueries, les railleries au bout des joues de ce père lassé. Le lien cassé entre le père et sa fille, mais le père semble noyé dans ses problèmes tandis que la fille se laisse emporter par cette force implacable de la pensée ; on lui reproche des questions nébuleuses, de ne pas avoir de poids dans la réalité. Tu es une Malfoy gueulent-ils, Cedrella le sait, sa blondeur blanche sur son front virginal, mais je suis une fille aussi. La mère aime ses quatre chérubins qui courent et ravagent les couloirs du grand manoir, cependant, elle énonce fièrement que sa fille si elle ne souhaite pas manger, c’est un grand bien, ainsi restera-t-elle maigre et élancée pour plaire à un futur époux. Et Cedrella comprend qu’elle sera condamnée, que sa vie, déjà à la naissance, se terrait dans les exigences d’une société où le sang n’a d’égal que l’hubris des sorciers. La main dérape, l’assiette s’écrase et laisse s’évanouir le repas tandis qu’une elfe se précipite pour la faire disparaître.

L’interdit au bord des lèvres, au bord du coeur, Cedrella voit, Cedrella observe, dans les régions boisées de Poudlard lorsque les élèves sortent des cours, Cedrella galope vers le coin ombragé de solitude, elle n’y arrive pas avec les autres, mal à l’aise, elle se comporte pourtant comme l’effacée discrète, on ne lui adresse pas la parole. Son frère, son jumeau, son âme sœur. Lui prend soin d’elle comme elle prend de lui, mais lui a la virilité sertie d’orgueil, lui sait, lui parle, lui comprend et atteint ses objectifs sans difficultés. Elle ne se sent pas exister alors boit au calice de son double, lui il l’a toujours soutenu, il n’a jamais lâché sa main. Est-ce qu’on s’aime ? Mais c’est quoi aimer ? Et pourquoi aimer ? La multitude de questions fusées ne trouvent jamais de réponses car les réponses s’embrasent dans la longueur du monde, Cedrella est perdue dans l’immensité d’un univers qui ne lui appartient pas. En classe, elle rêve, Serdaigle cachée entre la fenêtre et le chaudron. Plusieurs de ses professeurs s’inquiètent de ses résultats, parfois vous avez les meilleurs notes mais d’autre fois votre travail vaut un zéro, une nullité sans nom. Elle oscille entre la mort et la vie, la joie et le désespoir ; pile j’écris comme je le pense on verra bien, face je m’évertue à réaliser ce que les gens attendent de moi. Pile, elle voit son talent s’épanouir, face la pression l’écartèle et l’étrangle. Néanmoins, pour se forcer à s’intégrer, pour combler la fierté de son frère, choisit-elle les méthodes enseignées. Elle réussit ses années toujours à la limite des notes les plus mauvaises. Cedrella est un cancre qui rêvasse, l’on ne pourra jamais en faire une sorcière douée. Le haut potentiel de son intellect ne jaillit pas, elle se sent bête et cette bêtise l’entraîne encore un pas dans son mutisme.

La chambre est illuminée, des aurores artificielles éclairent le plafond et les murs de lueurs roses et carmines, il y a le feu d’ambre qui circule sur le lit et les oreillers confortables et moelleux sagement alignés ; dans cette chambre aux senteurs de miel et de lilas, subtil parfum de la féminité, la blondeur éclatante recouvre la fourrure ronronnante du chat qui s’assoupit paisiblement dans les bras de sa maîtresse. On entend les murmures stellaires, des mots évanescents.  « Je l’ai poussé et il est tombé. Je ne savais pas... » Le langage s’estompe, elle prend conscience du souvenir, lui au haut de la falaise et elle derrière lui  « J’ai juste tendu les bras et il est tombé. » Le corps avait chu, désarticulé et désordonné, un ruisseau de sang formant une auréole de pourpre baignant les herbes et les ronces, elle avait esquissé le cadavre, fascinée par la mort qui porte sur ses épaules le silence d’une vie trépassée. Dans son coeur glacé, elle ne s’était pas amusée ni n’avait ri, il était mort parce que le mouvement de ses bras avait éjecté de l’humanité sorcière cet obstacle à sa liberté, liberté dont elle ne souhaitait guère faire quelque chose. Cedrella Malfoy ne possédait pas la langue pour exprimer son univers inconscient, sa planète envahie par les baobabs et son palais de la mémoire strié de défauts et de trous, mais là où gisait la culpabilité grinçante jaillissait la lumière d’un repentir. Le fantôme avait à coeur de combler son mal par ses actions bienveillantes, n’est-ce pas ?

Puisque ses émotions la châtient, puisque ses pleurs ne trouvent d’écho que dans la lassitude et le mépris, Cedrella a jeté un sort sur son coeur, dans ses veines et ses poumons. Spontanée, la rage la brûlait, elle a jeté à l’oubli ces souffrances, enfin, ce qu’elle pouvait ressentir. Elle pensait que cela l’atténuerait, elle pensait qu’il ferait office d’antidépresseur. A son frère, angoissée, elle lui a demandé d’inverser le sortilège, Caesar, Caesar, j’ai fais quelque chose, quelque de… quelque chose en tout cas. Trois semaines sans émotions, sans sentiments, rien ne la touchait, mais rien ne l’engageait, non plus, dans l’amour des passions et des disciplines qu’elle touchait de ses doigts affamés et curieux. Elle a appris de cette erreur, à garder près d’elle toujours, les flots de ses émotions germant dans des boites à musique. Collectionneuse de boites vides d’où elle mettra à l’intérieur ses colères et ses peines gémissantes, en fleurs enchantées croissent-elles et jamais encore n’a-t-elle montré les arbres bleus et jaunes de son hyperémotivité.

A l’heure du thé, Cedrella s’apprête d’une robe toujours nouvelle et confectionnée de ses soins, la fée se vêt de crépuscule ou d’aurore, couleurs chaudes ou froides, selon son humeur, et sa chevelure serpente jusque sur ses reins, dénouée et sauvage. Il voltige le tissu, laisse traîner dans son sillage les effluves de parfum de violette et de fruits exotiques, elle-même construit l’univers de sensualité qui lui permettra de créer une atmosphère onirique, car la femme maintenant exploite ses mains et souhait vivre dans la poésie. C’est assise délicatement qu’elle attend l’homme admiré, un soupçon d’amour dans les veines qui disparaît. Elle se souvient l’avoir questionné sur ses œuvres mais ne se souvient pas qu’elle a longuement discuté de ce sujet qui la passionnait, ses intérêts spécifiques la motivent dans la profondeur et Cedrella apprécie tous les jours ce rituel qui lui permet de désapprendre sa méfiance envers les gens. Monsieur Delacour sera bientôt son époux puisqu’il lui a proposé un mariage dans le respect des deux partis.  « Près de vous je me sens en sécurité. » Arrive-t-elle à lui dire, nuageuse dans son attitude lorsqu’elle regarde les objets et évite le visage de son compagnon. Elle a la pudeur immense de la vierge savante, Cedrella paraît jeune encore, presque adolescente, elle possède pourtant l’âge de la maturité. Mais la honte grignote les vertiges de bonheur qui pourrait s’alourdir dans son myocarde, elle a l’exigence des hauts juges sur elle-même, s’accuse de ne pas atteindre l’idéal d’une parfaite femme. Elle ne se considère ni féminine, ni viril, ni vivante d’ailleurs. La pression si grande, si dévoreuse, la maquille d’étrangeté, elle a honte d’être, honte d’avoir gardé sa pureté. Parce qu’à vingt neuf ans, Cedrella semble encore une enfant étourdie et inadaptée à l’existence.  « Vous m’offrez une place pour que je puisse respirer normalement, merci. » L’affirmation égratigne ses lèvres, elle éprouve la chance d’être protégée par un homme qui ne la condamnera pas à la rapidité car tout ce que demande l’intelligente semble un espace à elle.

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