The desert tells a different story every time one ventures on it. - Noor

Juin 1879. Naissance de Noor et Laila. Lumière et Nuit. Septembre 1890. Les jumelles partent faire leurs études à Uagadou. Mars 1895. Décès de Laila. Assassiné par des fanatiques de la pureté du sang. Juillet 1898. Noor termine ses études avec une année de retard. Décembre 1899 . Noor commence à travailler pour le gouvernement magique iranien. Avril 1904 : Elle se fiance avec Ehsan Rahbar après deux ans de relation.  Mai 1906 : Mariage. Septembre 1909 : Disparition d'Ehsan  Décembre 1909 : Elle quitte le pays pour l'Angleterre. Janvier 1910 : Elle rejoint le département de contrôles et régulation des créatures magiques. Juin 1910 : Elle rejoint les Enfants de Morgane. Juillet 1912 : Elle quitte le Ministère. Novembre 1912: Elle achète la Ménagerie.  UC

Le souffle du vent qui soulève le sable autour de ses mollets nus, la paume brûlante dans la sienne, les yeux exorbités devant l’étendue libre de tout qui s’étale devant elle. Partout, à perte de vue, le sable lumineux du Dacht-E Lout, les crevasses dans un sol si aride que rien n’y survit. Le dénuement le plus complet, le plus total et tout au bout, à l’extrême limite de la civilisation, deux enfants. Noor cligne des yeux et broie dans sa petite main celle de Laila. Première rencontre avec le désert, devant elle l’immensité, derrière la sécurité, le corps massif de son père et la main gracile de sa mère qui repose sur son épaule. À côté, l’autre moitié de son âme, les membres vibrants d’excitation, le souffle court. Dans une poussée de magie non maîtrisée, elle décolle littéralement, ses petits pieds flottant à quelques centimètres du sol avant que sa mère ne la ramène sur la terre ferme d’une petite poussée en riant doucement. « Ne va pas t’envoler, trésor. »

Le temps fait son œuvre, les visites aux déserts sont annuelles, et à chaque fois, le même sentiment profond de paix face à ses immensités vidées de tout. La visite du Dacht-E Kavir, et de sa réserve nationale, fait naître des envies d’aventure et de découverte, découvrir le monde et les créatures qui le peuplent. Elle demande à son père de lui apprendre l’anglais, lui qui le parle parfaitement grâce à son emploi au ministère magique dans le département de la coopération magique. Alors, avec Laila, elles apprennent, de longues heures à formuler des mots étranger, et à les apprendre par cœur. L’âge vient de quitter le nid familial et c’est un crève-cœur pour les jumelles d’abandonner ce pays, cette terre qu’elles aiment plus que tout. Elles s’accrochent désespérément l’une à l’autre, renforçant encore, si possible, le lien déjà fusionnel qui les lie.

Noor et Laila. Lumière et Nuit. Inséparable. Toujours main dans la main, toujours nichée l’une contre l’autre, parlant sans mot. C’est ainsi qu’elles sont arrivées, ensembles, à Uagadou.


CLAC. Le livre s’abat sur le sol de la bibliothèque, suivit des genoux et enfin des paumes qui s’aplatissent contre la pierre claire. Elle cherche, Noor, elle cherche son souffle qui s’est perdu quelques part au fond de ses entrailles, qu’elle sent glacées. Ses yeux écarquillés, regard fou d’animal blessé, cherchent désespérément autour d’elle, le visage qu’elle connaît par cœur. Qui n’est pas là, elle le sait. Elle est partie ce soir Laila, elle est partie avec ce garçon pour aller boire un verre dans le village sorcier. Elle s’accroche désespérément, se redresse et se glisse contre l’étagère derrière elle. Il n'y a personne ici, il n’y a qu’elle pour venir si tard. Elle reste prostrée, les genoux contre la poitrine, cherchant à comprendre ce qui lui arrive, refusant d’envisager les possibilités. Ce vide glacé dans sa poitrine. Pourtant, quand le professeur rentre dans la pièce et qu’elle lève les yeux vers lui, elle sait.

Oh, elle ne dit rien Noor. Enfin, elle croit qu’elle ne dit rien, parce qu’elle n’entend rien. Et pourtant, la voilà, ses ongles s’enfonçant dans la pierre, ses cheveux volant autour de son visage en un halo furieux, les larmes dévalant ses joues. La bouche grande ouverte, banshee brisée, qui hurle en une complainte terrible, la perte de tout ce qu’elle avait de plus cher. Le cri est éteint par le sort de silence qui l’entoure pour protéger les élèves de l’horreur de ce qu’elle vit et elle hurle, elle hurle, elle hurle. À s’en briser les cordes vocales, à s’en arracher le larynx, puisqu’il n’y a rien d’autre à faire, parce que la peine est trop lourde, trop puissante pour que son petit corps d’adolescente puisse la contenir. Elle se réveillera trois jours plus tard, vidée de toute magie, de toute énergie, vidée de toute envie de vivre. Elle perdra ses yeux dans ceux de l’infirmière qui lui expliquera que les dégâts magiques subies par son larynx n’ont pas pu être intégralement réparé et que sa voix restera éternellement voilée. Elle s’en fiche, Noor, parce que si Laila n’est plus là pour l’entendre parler, à quoi bon le faire ? Si Laila n’est plus là pour respirer avec elle, à quoi bon ? Si Laila n’est plus là pour la regarder, existe-t-elle réellement ?

Ils l’emportent, la ramènent chez ses parents, et avec elle, la dépouille de sa sœur, magicalement préservée, afin qu’elle puisse bénéficier des rites mortuaires iraniens. Le mutisme durera près d’un an. Un an où elle se contenta de laisser les gens la déplacer quand c’était nécessaire, où elle mangea parce que supporter le regard suppliant de sa mère était plus dur encore qu’avaler la nourriture. Un an où la sensation du soleil sur sa peau est similaire à celle d’une brûlure, ou la brise la plus légère devient lame acérée, ou l’eau la plus fraîche devient soudainement glaciale. Jusqu’au jour où son père, épuisé de voir sa fille périr à petit feu, l’avait attrapé par le bras et sans lui demander son avis, avait transplané.

Le vent. La tempête. Le hurlement du sable qui tourbillonne à une vitesse dépassant l’entendement. La vie, entière, complète, brute. Ses cheveux qui s’écrasent contre ses joues, le sable qui brûle, qui écorche, qui arrache sa peau, la met à nue pour la recracher neuve. La tempête s’arrête et elle emporte avec elle la souffrance. Comme si le Sahara avait compris sa peine, l’avait acceptée, sublimée, recrachée et avait rendu au père sa fille. Elle lève vers son paternel un regard plein de révérence, l’âme lavée de ce deuil qu’elle portait comme un voile sombre et dans le regard de son père elle lit le soulagement d’avoir sauvé une de ses filles. Quand elle repose son regard sur le désert, devant elle s’étend à perte de vue l’océan des dunes orangées, brûlées par le soleil, et elle inspire profondément, enfin réunie avec elle-même.  
Le retour à l’école est douloureux, une année de retard à rattraper, sous les regards inquiets ou effrayés de ses anciens camarades de classe, désormais dans le groupe supérieur. Une année solitaire et tranquille malgré tout, qu’elle vivra comme une parenthèse hors du temps, comme l’année suivante. Et enfin, la délivrance, elle quitte l’école, fuit l’Afrique et retrouve avec plaisir sa terre natale, un emploi, un appartement. Elle découvre le monde sorcier adulte, se lie d’amitié avec quelques collègues et rencontre Ehsan. Ehsan et ses yeux d’or brun, sa peau dorée et ses boucles brunes. Ehsan au sourire ravageur qui fait apparaître dans le creux de sa paume des fleurs de papiers colorés et qui fait naître dans ses entrailles des papillons lumineux qu’elle ne sait pas gérer. Ehsan qui l’emmène manger dans des restaurants tous plus luxueux les uns que les autres, avec qui elle partage sa passion du désert, avec qui elle découvre le monde, un peu, juste un peu. Un voyage en Inde, et un en Russie, où elle l’accompagne comme secrétaire. Deux années idylliques, couronnées d’une demande en mariage.

La lune brille haut dans le ciel et aucune lumière ne vient entacher celle des étoiles qui semble presque se refléter sur le sel qui couvre le sol du désert. Les cristaux brillent comme autant de diamant et elle tourne, tourne, tourne, Noor, sous cette nuit qui lui rappelle sa sœur. Elle offre au ciel ses éclats de rires et le goût sucré des fraises qu’a apporté Ehsan. Elle s’arrête enfin, le souffle court, la tête qui tourne et son regard se pose sur l’homme qu’elle aime, à genoux devant elle. Dans ses yeux des promesses d’avenir, dans ses mains un appel, et dans le cœur de Noor un cri. Elle se laisse tomber face à lui, ses mains englobant les joues, couverte d’une barbe douce et pose sur ses lèvres les mots qui lieront leurs vies quand sera venue l’heure. Et sous les étoiles, sous le regard de sa sœur, avec le goût des fraises sur sa langue et l’odeur du sel enivrante dans ses narines, elle offre tout ce qu’elle possède encore. Parce qu’elle ne sait pas faire autrement, elle s’abandonne, comme les dunes sous le vent, elle s’offre comme un présent, pleinement et sans retenue.

Le mariage avait été célébré deux ans plus tard, cérémonie discrète, liant sa famille à celle du sorcier dans une ambiance détendue et pleine d’amour. Sous les étoiles, elle y avait tenu, pour que Laila soit avec elle, encore une fois. Les années qui avaient suivi avaient été d’une douceur rare et la vie avait été douce. Elle avait quitté son emploi, encouragée par Ehsan, pour tenter ce qu’elle avait toujours rêver de faire. Elle avait essayé une première fois et avait échoué lamentablement, avalant la feuille de mandragore au bout de deux semaines. La deuxième fois avait échoué parce qu’elle avait dû mal protéger sa fiole. La troisième avait été la bonne et quand elle avait vu le flacon plein de son liquide carmin, après avoir religieusement effectué les enchantements matin et soir, elle avait cru pleurer. La douleur avait été horrible, mais rien n’était comparable à la perte de Laila et quand elle s’était vue sous forme animale, un sourire triste avait étiré ses lèvres avant qu’elle ne termine sa transformation. Un Lycaon. L’animal préféré de sa jumelle.

Elle avait proposé de l’accompagner durant ce voyage, de l’aider dans son projet de créer des liens avec la population garou qui s’était installé dans les montagnes. Elle avait un mauvais pressentiment. Elle avait eu raison. Oiseau de mauvais augure. Comme son patronus. Augurey. Quand son premier hibou était revenu sans réponse, elle avait commencé à s’inquiéter sérieusement. À la seconde, elle avait su. Deux mois plus tard, Ehsan était déclaré porter disparu. Elle avait pris deux mois, pour accompagner sa famille, persuadée qu’il était décédé. Quand, elle, elle savait dans sa chair, dans sa magie, au fond de ses tripes, qu’il était toujours en vie. Elle avait quitté le pays dès qu’elle avait pu. S’était installée en Angleterre. Londres, capitale du monde sorcier.


Elle avait rapidement trouvé un poste au service de régulation des créatures magiques, se renseignant autant que possible sur les populations de garous, cherchant désespérément une trace d’Ehsan. Elle avait mis deux ans avant de quitter son poste, comprenant qu’elle n’arriverait à rien de là. Elle avait alors décidé d’utiliser la fin de son héritage pour acheter la Ménagerie, s’y installer et mener ses recherches de son côté. Elle avait, à force de correspondance de part le monde, réussi à se créer un vaste réseau de contact. Chaque continent, chaque ville magique majeur, contenait l’un de ses informateurs. Inutiles aux yeux du monde, ils ne partageaient avec elle que des informations dont elle seule semblait avoir besoin. Nouvelles des groupes de garous, informations sur les personnes disparues, herbologie, nouvelles espèces aperçues dans leurs contrées. Certains étaient même devenu des amis, comme Skadi, avec laquelle elle conversait régulièrement, leurs lettres contenant bien plus que de simples échanges d’informations.

Elle avait pris le temps de retaper la Ménagerie, d’en faire un endroit plus agréable, plus lumineux, les cages qui contenaient ses pensionnaires s’étaient vu magiquement agrandies après une demande de permis pour appliquer des sorts d’Extensions. Elle avait ensuite entrepris de décorer son antre à l’étage. Grands tapis colorés, tentures aux fenêtres, coussins et encens, le lieu avait pris des airs d’oasis orientale en plein cœur du Londres sorciers.

Après quelques mois à fréquenter Addolorata, l’adorable et flamboyante propriétaire de la librairie qui l’avait attiré comme une mouche, elles avaient fini par se lier d’une amitié sincère. Addolorata lui avait alors parlé des Enfants de Morgane, qu’elle s’était empressée de rejoindre trop heureuse d’enfin pouvoir participer un peu à l’action qui se déroulait en ville. Heureuse de rejoindre un groupe qui partageait ses idées, elle se tient encore pour l’instant en retrait face aux actions du groupe ayant observé avec intérêt les effets du poison répandu par ses camarades. Mise dans la confidence par l’Italienne, elle a réussi elle aussi a échappé aux effets néfastes de la potion en fuyant pour quelques semaine le pays, pour rendre une visite bienfaitrice à sa famille en Iran, et se contente donc d’observer de loin les autres se débattre sans leurs dons, eux qui semblent si bien haïr ceux qui en sont dépourvu. Doux coup du sort, punition méritée. Elle ne le dira jamais à haute voix, mais voir tout ce monde privé de ce qui les laisse penser qu’ils sont supérieurs au reste du monde à quelque chose de délectable.

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