(quincy) give me the night.

1901. « Sèche tes larmes, Quincy, s’il te plaît. » Sa bouche tremble doucement, brise le silence pensant. Elle passe un papier contre ses yeux, attrapent les larmes avant qu’elles ne ruissellent sur ses joues. Ses lèvres vibrent encore, alors qu’elle ravale un sanglot qui menace d’éclater dans sa gorge. Elle avale sa salive durement et sa tête vient cogner contre le mur, blanc, froid. Elle soupire longuement, non sans manquer de sangloter de nouveau. Alors, ses iris perdus cherchent ceux de son père. Ses opales sombres entrent en contact avec les siens, un fin sourire né sur les lèvres du patriarche. Son coeur se serre. Si jeune et déjà si meurtrie, la gamine de onze ans déchire le papier entre ses doigts et renifle silencieusement. « Tu vas te relever, ma fille, tout va bien se passer. » Elle hoche la tête trop vigoureusement pour que ça soit naturel, elle mord ses lèvres de peur de ne pas réussir à retenir son souffle bruyant qui réagit aux nouvelles larmes qui coulent, allant se nicher dans le creux de son cou.

« Sèche tes larmes, Quincy. » Cette fois c’est sa manche qui balaie l’eau de son visage. Elle se lève enfin. Ses vêtements ont encore l’odeur de la vanille, les effluves volent tout autour d’elle, la tentant, la torturant plus encore. Elle la sent, comme si elle était encore là, comme si elle ne lui avait pas laissé que le vide, comme si sa plus chère amie n’était pas partie aussi vite que de la fumée. Elle aurait presque envie de s’allonger, de s’endormir, et de ne pas se réveiller dans ce monde où elle n’est plus. Elle manque de chanceler en se dirigeant vers l’extérieur. Elle se rattrape contre l’encadrement de la porte, l’ouvre à la volée et sort dans la pénombre froide. Un frisson parcoure son échine et fait bouger ses doigts. La porte s’ouvre de nouveau. Son frère apparaît, le visage sombre, les yeux rougis. « Elle était trop malade, c’est peut-être mieux comme ça... » ça sonne faux, pour autant elle hoche machinalement les épaules. « Elle était ma seule amie. » Il attrape sa main dans la sienne et la caresse à l’aide de son pouce. « Tu t’en feras d’autres, à Poudlard, tu verras. » Elle serre sa main plus fort. « Mais elles ne seront jamais comme elle. » Alors, contre toute attente, il l’approche et la serre contre sa poitrine. « C’est vrai. Mais la vie continue, et je serais toujours là, si tu as envie de parler, ou de te taire. »

Plus de larmes, Quincy...



Elle regarde les nuages se mouver lentement à travers les carreaux de sa fenêtre. Elle ne peut s’empêcher de rester figée, stoïque, face à ce spectacle surprenant bien que quotidien. Au fond, elle les envie, les nuages. C’est étrange à prononcer mais c’est la réalité. Ils sont libres, libres de bouger où bon leur semble, libres de vivre. Elle ne s’est jamais réellement sentie oppressée par les obligations que lui ont imposés sa famille, elle n’y a jamais réellement pensé. Elle a toujours su, que le moment allait arriver, que la bague allait se glisser si rapidement à son doigt qu’elle allait en perdre l’équilibre par sa lourdeur. C'est arrivé une première fois, elle s'est presque entichée du premier noble venu, mais son comte de fée s'est transformé en damnation et il n'y a pas eu mariage, ni de pouvoir, ni d'amour. Un premier échec qui fait claquer ses dents aujourd'hui. Elle a vu ce mariage s'envoler en fumée, soufflé par Hero, la soit disant amie de toujours. Elle soupire.

Des pieds claquent trop forts dans les couloirs. La gamine qui n'en n'est plus vraiment une se redresse lentement, les mains presque tremblantes de voir son destin irrémédiablement enchaîné ce soir. Elle soupire un instant, lève les yeux vers le miroir et aperçoit son reflet. Elle est convenable, certes, mais pourtant ses yeux sombres n’expriment rien, elle a le dos trop voûté, les larmes quasi au bord des yeux. Elle se trouve laide à regarder, le visage d’une femme au bord d’un précipice, se demandant à chaque seconde si elle va oser sauter ou pas. Elle soupire. De toute manière, elle n’a pas le choix. Auparavant fière de lier son destin à un autre, elle en est aujourd'hui dépitée. Dépitée car il n'y a aucun sentiments, ni même la moindre réelle alliance. C'est une simple tentative de la part de sa, feu, amie, pour recoller les morceaux. Comme si cela allait tout arranger, comme si un époux était une chose fongible, remplaçable, échangeable. Sa famille a fait pression. Elle a vu un sourire se dessiner sur les lèvres de son père. « Les Malfoy sont une bonne famille, ils nous aideront, ma fille. » Alors une nouvelle fois elle a accepté, sentant le regard lourd de son frère contre son dos.

La porte s’ouvre à la volée, elle aperçoit le visage pâle de son frère, une expression presque aussi grave que la sienne. Leurs pupilles se croisent, s’entrechoquent, alors il dégaine un sourire. Ce n’est pas un sourire joyeux, c’est le genre de sourire de soutien, celui qui annonce : « ça va aller, ne t’inquiète pas ». Elle se lève sans le regarder, tout ça l’énerve, elle s’énerve toute seule. Tout ce drame, cette atmosphère anxieuse qui règne dans la pièce. Que des foutaises. « Ton invité va bientôt arriver, mère veut que tu ailles l’accueillir à la porte… Comme il se doit. » Elle hoche la tête. « Laisses-moi une minute, le temps d’arranger un peu la marchandise. » Il lâche un rire qui perce l’air, légèrement moqueur.

De nouveau seule face à son reflet, elle reste immobile un instant, expire longuement une dernière fois et apporte son raisin de rouge à lèvres contre ses lippes.



« Mademoiselle » C’est un de ces moments, suspendus dans le temps, où les yeux sont perdus dans le vide, où ils n’ont plus rien à chercher. Elle en tituberait presque, mais elle reste droite et solidement ancrée dans le sol malgré ses hauts talons. Elle pourrait flancher mais elle a toujours appris à garder le menton haut et le dos droit. Les lumières jaillissantes lui brûlent la rétine, lui font mal à la tête. Son verre est emprisonné par ses doigts longs et elle arrive encore à sentir le goût du breuvage qui coule dans sa gorge. Un petit rire s’extirpe de ses lèvres. « Puis-je vous demander votre prénom ? » Elle passe une main dans ses cheveux naturellement avant de la déposer au creux de son cou. Sa longue chevelure a fait place à un carré droit qu’elle n’a pas l’habitude de porter. Elle ose enfin regarder l’homme dans les yeux. « Victoria » Il dépose un baiser sur le dos de sa main. « Je vous ai vu dansé tout à l’heure… permettez-moi de vous dire que vous êtes époustouflante. » Elle aurait presque un frisson de plaisir à l’écoute de ces mots. Elle hoche la tête, doucement, en signe de remerciement. Tellement longtemps qu’elle n’avait pas sentie ce sentiment de satisfaction, voire même, de fierté. Tellement longtemps qu’elle n’avait pas été flattée par le regard admiratif d’un inconnu. Tellement longtemps qu’elle ne s’était pas sentie regardée, du tout. Son changement d'apparence ne la dérange en rien, tout ce qu'elle veut c'est ce regard. Ce regard qui la fait se sentir vivante.