Cool Girls Don't Look at Explosions

août 1895.  Il y a de ces nuits maudites où la gorge sèche, l'estomac tordu, l'on se réveille dans des lacs de sueurs. Un pressentiment. Une ombre glacée qui vous tire du lit par les pieds. Une injonction. viensvite.  En un souffle qui de son fouet te mortifère. Des pieds blancs sur le sol inégal, peut-être un clou qui écorche. Ichor écarlate sur la peau opalescente - un prélude au carnage qui s'est joué derrière les portes closes. C'est d'abord l'effluve ferreux qui t'agrippe au collet. Guère de mains suffisamment solides pour arrêter l'obus qui éclate dans ton coeur. Partout du rouge. Sur les draps, sur sa peau, entre ses cuisses, sur ce ventre chéri qui t'a porté et qui s'étire et se détend pour la dernière fois de son existence. Ce ventre qui meurt sous les assauts barbares de ta lignée purpurine. Vivante, ta soeur exulte de sa première victoire. Tu ne pleures pas. Devant l'idole écarlate, tu craches deux fois, pour conjurer le mauvais sort. Septembre 1893 - juillet 1900.Flamboyante enfant, hérault du rouge et de l'or, le Choixpeau n'a fait qu'effleurer ta joli tête avant de hurler son verdict. Chaque fibre de ton corps est dévoué à ta maison. Tu es le bras chevaleresque qui s'interpose entre les faibles et les brutes, le capitaine dans son armure brillante. Le poing s'écrase sur le gencives des réfractaires à ton code judiciaire et tu ne comptes plus les heures passées en retenue. Aucune compromission possible - tu es dure, inflexible, rigide - quitte à perdre des appuis, quitte à remettre en cause ta place au cœur du fragile microcosme scolaire - tu joues toujours ton va-tout, c'est de famille.Tu veux voir les coupables sous le joug de l'opprobre, face noire, mains rouges, bouche cariée, haleine pestilentielle, courbés par le midi solaire. Acharnée sur les terrain de quidditch comme dans les études, tu es une force dévastatrice, une volonté aveugle qui détruit plus qu'elle ne construit. Ton dossier est bardé d'asymétriques éclats de bravoure mais également d'échecs si cuisants qu'ils damasquinent ton honneur d'un T honteux. Alors, tu fais ce que tu sais le mieux : cogner fort et dur. Rester sur la ligne sans jamais faillir. janvier 1901. Une griffe dorée barre ta poitrine. Dans ta main, la rugosité rassurante de ta vieille batte éraflée. Les hourras qui te galvanisent alors que tu encaisses un cognard belliqueux en lieu et place de votre attrapeuse. Tu comptes les côtes qui craquent alors que la chute vertigineuse s'amorce. La folie s'empare du stade quand  tu t'écrases dans la boue. Tu t'évanouis dans la fange automnale. C'est ton premier match chez les Harpies. Par Merlin, tu ne t'es jamais sentie aussi vivante. hiver 1903. Votre père meurt. Tu regardes le patriarche s'effondrer, dévoré par la maladie. L'enterrement - robes noires sous le ciel délavé de pluie - les dettes - l'ombre grise de la misère prochaine. Tu aides comme tu le peux - entre deux entraînements - à faire tourner l'entreprise familiale. Cerbère, tu défends l'entrée du Golden Dragon et il te faut davantage qu'un morceau de flûte pour t'adoucir. Février 1914. Le monde de la nuit n'a guère plus de secret pour toi. Tu es le sourire amical qui cueille les pigeons sous les néons déroutants. Tu sers les bouffons et les rois avec la volubilité joviale teintée de franchise qui te caractérise. Ce soir-là pourtant, tu effleures plus que raison la batte qui dort paisiblement sous le comptoir. Ils viennent les chercher et tu pries Merlin qu'Edel se presse. Caressante, tu ralentis la progression des hommes venus débusquer Ciri, Ambrose et Théo, la bile raclant le fond de ta gorge. Derrière les compliments et les douceurs, la peur agite tes plus sombres pulsions. Un geste, et tu les égorges, quitte à vous perdre. Juillet 1914. L'Ordre du Phénix. Edel a plongé, tu l'as suivie. La vérité, c'est qu'il faut toujours quelqu'un pour se salir les mains - pour ta famille, tu enfonceras les tiennes dans le sang et la merde, jusqu'aux coudes. Tu n'es pas si naïve pour croire que l'on peut vaincre innocemment.

anecdotes ou histoire au choix Une cigarette. Le bruit sec du papier qui se consume. L’acier qui racle légèrement quand tu étouffes sèchement la flamme-tempête de ton briquet. Tu exhales une bouffée de nicotine dans les volutes vespérales. Des corps chauds et moites se pressent contre toi, ravis d’échapper à la morsure bestiale de l’hiver. Il faut dire que l’averse a décidé de chialer sur Londres de toutes ses larmes acides. Un spectre rôde la rue jadis animée - une gangue glacée de suspicion trempée de xénophobie. Sur les murs décrépis, de faux slogans et de vaines banderoles s’effritent sous la lumière huileuse et glauque des rares réverbères.

Conneries. Tu grinces en déboulant face à l’établissement familial dont la façade édentée de vieux lion trône au centre de l’espace qui vient de se dégager. Les oiseaux de nuit t’accueillent. L’œillade torve, la bouche violine rougie du baiser suave de l’alcool, la fragrance familière de la sueur et du désespoir. Tu souris en passant la porte. Ici, il est de bon ton d’abandonner toutes espérances.

Tu connais la rengaine : ne pas baiser la main qui vous nourrit. Mais tu t’en fous, cette nuit, tu pends Orphée et tu t’offres Eurydice, ta jolie dame des Enfers. Les dents qui s’entrechoquent, le souffle qui se brise sur tes lippes pleines, les mains qui se cherchent alors que vous naviguez entre les matelots à la recherche d’un port t’attache. Sa bouche a le goût de gin et de luxure. Demain. Promis, tu rendras des comptes. Demain, tu te rangeras. Pour l’heure, il y a cette béance affreuse qui gronde en toi et qu’il te faut nourrir.

Tu ne connais ni son nom, ni sa vie, ni ses goûts. Pourtant, tu apprends la cartographie des éphélides et les constellations qui s’épanouissent sur son derme. conserver peut-être encore un instant ce tableau mirifique. Rêver le petit déjeuner et les baisers volés. Partir pourtant. Ne plus revoir mais observer, les yeux mi-clos, dans l’intensité froide de l’aube - Retracer, du bout des doigts, la courbe délicate d’une épaule, la ligne racée de la nuque, le grain subtil de sa peau. S'enivrer encore quelque seconde d'ambre et d'or. Elle est belle, ta promise nocturne. La longe du désir n'est toutefois pas assez solide pour résister à ton évidente fuite.

L'esquive telle est le prix de ta liberté.  

La solitude t’étreint lorsque tu te glisses hors du lit. Tu t'es promis de ne jamais regarder en arrière, de n'offrir ton flanc à nulle grossièreté, nulle rancune, nulle promesse. Dans le silence feutré de la chambre, tu t’effaces. Au réveil, ne demeurera de toi qu’un visage anonyme et le souvenir de l’interdit. Tu seras faites de la matière des songes. Peut-être n'auras-tu jamais existé et que la sylve assoupie égarera ton souvenir dans les brumes du matin.

Après tout, c'est là l'apanage des fantasmes : de disparaître une fois assouvi.