(Emhyr) We ruled the world

15 Juin 1889. Naissance des jumeaux Kostelic à Sucuraj. La petite île Croate de Svetac, exclusivement sorcière, est en liesse. Les héritiers sont célébrés un mois durant, suivant la tradition insulaire.Enfin, les noms sont offerts, sous les auspices des sibylles, habitude déjà surannée dont le clan n'a guère pu se défaire. Vadim pour dicter les règles, douce autorité, roi ignorant. Emhyr aux accents absolus, sensible despote des ombres. D'un duo d'enfants à peine nés, on fait des déjà des souverains.
Octobre 1898. Départ d'une partie des Kostelic pour l'Angleterre. Mandatés par l'ambassade magique Croate, ils emportent avec eux une partie de leur richesse, les reliques dont ils veulent exposer les mystères dans les îles britanniques. Farouchement, ils gardent les secrets magiques, les prophéties et les oracles. Impassibles dépositaires du secret, les lippes scellées, entre leurs phalanges dansent les anciennes malédictions, les mythes impies, toutes les croyances que l'on pensait éteintes.
Septembre 1900. Entrée à Poudlard. Contre toute attente, ceux que l'on pensait si semblables au point de les confondre sont séparés. Vadim chez Gryffondor, enfer pavé de bonnes intentions, or et carmin des seigneurs. Emhyr ira à Serpentard, dans les veines l'argent des seconds gonflés d'orgueil. Les maîtres de l'illusion ne sont plus si interchangeables mais les règles ne durent qu'un temps. Cravates escamotées, faux sourires en coin, pernicieux arrangements, la place de l'autre est rapidement retrouvée et on connaît par coeur les noms des Gryffondors, des camarades Serpentards, comme si on en avait toujours naturellement fait partie des deux maisons.
Mai 1901. La magie est capricieuse. On le savait déjà et la malédiction courant les veines des Kostelic a toujours été dans les esprits. Habituellement, il était aisé de savoir qui elle finirait par frapper mais les jumeaux ont cultivé l’ambiguïté jusqu'au bout. Jusqu'à ce qu'une plume prenne feu et embrase les pupitres avoisinants en plein cours de sortilège. On sait désormais qui sera l'héritier.
Juillet 1903. L'été ouvre les portes de la Salle des trésors familiale pour la première fois. Dans le dédale de pièces, les regards se perdent sur ce que l'on aura jamais. Vadim parcourt le Royaume qui sera sien à protéger tandis qu'on ne rêve que d'une chose, extraire les reliques de leurs prisons, leur trouver un sens, faire vivre les légendes. Chaque année, de la Croatie à l'Angleterre, on fera l'inventaire avec passion des mains momifiées et autres prophéties absurdes. On s'amuse, un peu, à les dévoiler à demi-mot, comme si on était voyant soi-même.
1903. Pour une raison que tout le monde ignore mais sans doute parce que le trou noir existant entre la pression des BUSES et la quatrième année, Vadim se prend de passion pour les causes que l'on ignore. Les dragons, d'abord. Puis les vivets dorés. Les licornes. Les gens qui ont la peau grasse. Tout est bon, à vrai dire, pour s'engager tête la première dans l'ingérence la plus totale.
1904. B.U.S.E.S. Les examens se profilent et on est moyen en tout. Nul en rien, d'un autre côté, c'est plutôt une bonne nouvelle. Ce n'est pas par manque d'ambition, on a déployé des trésors d'ingéniosité mais on ne peut juste pas se distinguer. Pas qu'on ait déjà cherché à le faire non plus. La passion pour les inventions étreint toujours l'âme, l'idée de décortiquer des reliques, de s'en approprier les principes est toujours là, à l'arrière de la caboche.
1905. Les nés moldus. La nouvelle cause qui passionne Vadim, après les raretés magiques et les opprimés. Les nés moldus, qui, au fond, cristallisent un peu tout ce qu'il a toujours voulu protéger. L'injustice qui lui arrache la gueule et qu'il ne se prive pas de décrier, à s'attirer le supports inconditionnels de certains, les foudres d'autres. Il lèverait une armée, s'il le voulait. On aurait préféré rester à l'écart mais on se prend au jeu des meneurs d'hommes provisoire, abat le poing sur les faces au nom du frère, l'âme belliqueuse. De loin, on l'observe un peu mettre des coups dans la fourmilière, casser des pots en oubliant de recoller. Attirer les mouches. Maladroitement, on essaie de réparer discrètement, éloigner les autres, échanger les places. Qu'il est dur, le rôle de tyran à mi-temps.
1906. ASPICs. Dans le marasme du jeu des identités floues, les choix sont à faire. On aurait bien aimé continuer à jouer à chat avec les professeurs et tous les autres, Vadim comme excuse, alibi pour tout. Mais Vadim est très occupé à jeter ses cours à la gueule d'une brunes aux boucles sauvages même si elle refuse son aide depuis plus d'un an. On ne sait pas trop quoi faire d'elle, elle a rendu le jeu plus palpitant depuis qu'elle sait les différencier, la plupart du temps. On voit surtout les flammes perdre en éclat ou briller trop fort parce que Vadim les attise plus qu'elles ne devraient l'être. Elle va se consumer sur place. On voit Icare voler si près du soleil qu'on finit par fermer les yeux pour ne pas voir la chute. Il se trouve que la chute n'arrive jamais.
1907. Jetés dans la vie active, les frères Kostelic reprennent ensemble les activités de leur famille. Vadim reçoit les clés du musée, royaume suspendu entre les mondes et les époques où le passé côtoie le futur, anciennes malédictions flirtant avec les prédictions sibyllines de fin du monde. Dans un refus crasse de ne pas voir les reliques emprisonnées aux mains des odieux britanniques, Emhyr traverse les frontières, la moitié d'un chargement présumé perdu qui finit dans une cave à l'autre bout de Londres. Des parchemins sous le tapis. Tout est bon pour soustraire aux regards, garder pour soi. On finit même par entasser jusque dans l'appartement, Vadim abandonne l'idée de dissuader la folie. Par épuisement ou résignation, qui sait.
1908. Les couronnes s'échangent comme on change de veste. Sur les traits on porte à la fois la réputation du souverain et l'orgueil du prince frustré, passant de l'un à l'autre dans un sourire, un froncement de sourcil, des mèches en bataille. Pour les besoins du père, on prend la place du frère lorsqu'il est malade, lorsque son apparition est compromise. Pour les besoins personnels, aussi, les entrées, les passe-droits, esquiver les pognes du paternel. On ne se plaindra pas, l'utilité dépasse le simple échange de bons procédés.
Eté 1908. Cet été encore, il y a une personne en plus à la table de Sucuraj et on ne sait pas vraiment quoi en faire. Elle a la flamme incandescente mais les humeurs fluctuantes.
1909. La Brune est sortie de Poudlard et Vadim l'attend comme on récupère un prisonnier sorti du bagne. Marrant comme ils ont immédiatement repris les réflexes. Il l'accueille comme une princesse, on la récupère comme on récupère une relique curieuse, compte les boucles en désordes, sorties du rang parfait, les froissements sur les traits, des sourires faux comme des couteaux dans le dos, fugaces moments de relâchements. Dans le petit appartement, en tout cas, il y a beaucoup moins de place pour cette momie antique Egyptienne. Du coup on la met dans le placard. Peut-être était-ce une mauvaise idée.
1908 - 1913. On vit de voyages et d'instables relations. Au creux de la main dansent les liens éphémères, comme on accumule les objets et les reliques, on collectionne les âmes abîmées, les curiosités lointaines aux reflets sauvages. On met les mains partout, pour être le premier, cette fois, avant qu'elles ne soient souillées par les autres.  
1913. La relation du Roi et de l'Oiseau bleu n'a pas vraiment survécu. Cage trop dorée, barreaux trop serrés, ils ont fini par étouffer. On espérait pas grand chose, on a tenté de prévenir le désastre avant même que la lassitude ne s'empare des traits. Mesquin "je vous avais prévenu", en litanie au bord des lèvres, lippes serrées pour ne pas l'échapper. Au final, le rossignol s'est envolé et le roi a cédé aux suppliques du paternel, son destin lié à celui d'une autre. La momie Egyptienne a retrouvé sa place sur le canapé du salon mais c'est toujours une mauvaise idée.
1914. Vadim rejoint les Enfants de Morgane, si on nous avait demandé notre avis, on serait resté à la lisière des conflits. On aurait préféré la confortable neutralité des érudits écartés. Mais non. Il fallait que Vadim soit le bras armé de la justice.
Mars 1914. Le roi est mort. Vive le Roi. On n'aurait jamais dû aller voir l'arène ouvrir ses portes. Mais Vadim a insisté. Parce qu'il fallait voir, parce qu'il fallait sentir. Parce qu'il fallait faire naître la rage dans les entrailles pour embraser les colères. Ca n'a pas manqué. Le chevalier est tombé, le glaive encore levé à hurler la justice. Vadim est mort et, dans la folie, on a décidé de prendre sa place.
Mai 1914. Un mois. Il a fallu un mois pour que les préparatifs s'achèvent et que Vadim rejoigne la terre des Ancêtres. Spirituellement, en tout cas. Physiquement, c'est Emhyr que l'on a enterré. Peut-être une partie de son âme avec. Beaucoup sont venus apporter un soutien indéfectible, des promesses de chaleur au fin fond des prunelles embuées, regards navrés jetés aux survivants. Ce n'est pas tant celui qui part, que l'on pleure avec tant d'ardeur. C'est celui qui reste que l'on prend en pitié, enfle sa place dans toutes les pensées, les prières et les faux sanglots. Comment va-t-il faire, Vadim, seul ? On rigolerait de la mascarade, si elle n'était pas aussi réelle. Un jeu de gamins, tour pendable que l'on aurait assurément joué dans le passé pour voir qui viendrait aux funérailles. Compter les points. Mais Vadim, Vadim, Vadim, le nom sur toutes les lèvres, trop proche trop réel. Vadim ne se lèvera pas d'un coup dans un rire qui fait s'envoler les oiseaux et défaillir les anciens, roulement de tonnerres, éclats de la houles sur les falaises de Svetac. Pas d'insultes, pas de froncements de sourcils, d'heures passées à expirer la faute. Un silence assourdissant aux tympans. Siffle l'absence, tambourinne déjà le manque. Un creux dans l'âme, un vide dans la tête.

Glitter and gold. Dans la cave s'amassent toujours les richesses glanées çà et là. Tant à apprendre, tant à garder, si peu de temps. Dans l'appartement aussi, croulent les crânes gravés, les têtes réduites et les manuscrits à moitiés éventrés, réécrits à la hâte sur un bout d'étiquette, déchiffrés sur les murs. Emhyr vole, Emhyr accapare, l'ambition débordante des savoirs profanes. Tout est prétexte à dévorer, dérober aux yeux des indignes, sous le sacro-saint prétexte de protection. Par peur de voir les légendes avilies avant même qu'elles n'atteignent leur public, elles sont discrètement subtilisées. Des années de travail, une discrétion sans pareille et une passion pour l'interdit que l'on amasse dans la caboche en désordre. L'esprit a toujours été affamé de nouveauté et d'expérience. C'est ce que les autres ignorent qui agite les entrailles, un intérêt inégalé pour les secrets enfouis et les accumulations. Plus encore depuis que Vadim n'est plus là pour calmer les ardeurs, forcer le retour des oeuvres à leur propriétaire, pousser vers des chemins plus fréquenter. Plus encore maintenant qu'il faut combler l'absence de conscience, avancer sans la voix à l'arrière du crâne, le regard désapprobateur sur l'épaule. On remplit. Toujours plus.

You were fucked up by the blame Le regard du paternel est d'une chaleur insoutenable, aussi brûlant que les envolées lyriques de Vadim. Jamais les prunelles froides d'Emhyr n'ont su soutenir les iris enflammés, ordres sur ordres, requêtes sur requêtes. Il y avait toujours Vadim pour prendre les devants, proposer dans une pirouette pleine d'audace une solution détournée, quand Emhyr crachait entre les mâchoires serrées. Relation houleuse teintée de blâme à demi-conscient, la communication n'a jamais été leur plus grande qualité, rupture d'échange. Qu'importe la pertinence de la réponse, la valeur a toujours été moindre aux yeux du Père si le regard n'épingle pas l'autre. Mais à trop jouer les fils du vent, observer de loin, parfait miroir du Petit Prince, Emhyr n'a jamais su affirmer ses opinions, soutenir les thèses, à se demander si elles sont réellement les siennes. Le regard fuit inévitablement, le sourire se crispe, à la recherche d'arguments qui pourraient venir si naturellement s'il était dans les bottes de Vadim. Calquées au millimètre, l'attitude du frère et les convictions empruntées. Il ne sait argumenter qu'en pensant à l'autre. Maître menteur, piètre avocat.

Love me wrong. Comme il aime les reliques oubliées, celles que les autres possèdent, Emhyr aime les âmes à la dérive. Celles qui errent sans but, celles dont les chaînes s'entrechoquent en échos infinis, que les autres font déjà danser au creux de la paume. Vadim avait le même défaut, sauver les essences rares pour les entreposer dans son musée, les couver d'un regard de protecteur insistant, gardien aveugle aux besoins de liberté, sourd aux velléités avortées. Au yeux du Pygmalion inspiré et inspirant, les êtres comme des objets, marbre brut à tailler avec attention, jusqu'à ce que les statues prennent forme. La Galatea Vadim a la chevelure bouclée au chaos savant, la peau mouchetée de tâches de rousseur comme des centaines d'étoiles et des sourires effilés qui échappent au monde. Pensées ciselées, figée dans le temps, dans les esprits. Vadim avait oublié que, parfois, les idoles devaient respirer, à craqueler le carcan d'albâtre, descendre du piédestal pour ne plus jamais remonter. Plus jamais. Qu'on s'était promis après avoir vu les autres brûler par les deux bouts. Plus jamais jouer les bâtisseurs sur des châteaux de sable. Emhyr a toujours préféré décortiquer les royaumes plutôt que les ériger. Il n'a jamais su façonner les autres. Il sait à peine se façonner lui-même aux idéaux qu'il aimerait voir chez les autres. Plus facile d'imiter et de prétendre mal faire. Plus facile de laisser la langue abrasive retourner les commentaires acides. De ses mains nues, il abattrait les barrières, arracherait les coeurs des prisonniers de marbre pour leur donner l'opportunité de vivre. Emhyr brise les énigmes, éclate les casse-têtes sans jamais savoir comment les remonter. Vadim aimait les gens pour leurs failles à réparer, fissures à sublimer. Emhyr les aime pour s'y engouffrer, la découverte des coeurs à nus, des mots claqués à la gueule. C'est éphémère, douloureux. Mais ça rend vivant. On fait quoi, maintenant qu'on doit faire semblant de savoir construire ?

Remember to Remember me Sous les traits du fantôme jumeau, les masques se font de plus en plus lourds à porter, supporter. Ce qui était un jeu de gosses devient le rôle d'une vie, composition sinistre, coupable comédie aux accents tragiques. Les jours s'égrènent et il en perd le fil. La main qui s'accroche à la bague de fiançailles, les mots hésitants, faux aplomb sous le regard de glace, prunelles voilées d'hésitation. Sous la peau hurle le supplice agacé, Vadim sur toutes les lèvres. Ce n'est pas tant l'idée que l'on ne parle plus d'Emhyr  qui dérange. Mais qu'on ignore celui qui est réellement parti. Dans deux, cinq, dix ans, peut-être, d'Emhyr, on aura oublié le nom. Mais de Vadim, on retiendra la pantomime du frère à sa place. Dans les mémoires l'ersatz du chevalier blanc, le simulacre de sauveur qu'il aura voulu être, quel que soit l'aboutissement de la quête.

I. Tatouage magique censé améliorer la magie, posé sur l'omoplate gauche, il serpente sans honneur, entrelacs grossier de runes faits en Scandinavie. Emhyr a cédé aux sirènes des légendes et a espéré stabiliser la malédiction. Non seulement c'est un échec mais en plus, c'est moche. II. Dans le placard du salon, il y a une tête réduite qui remplace la momie Egyptienne. Elle s'appelle Josiane. Des fois, on lui parle. On lui confie les doutes, les colères, surtout. Elle ne répond jamais (ce serait très inquiétant). III. On a le démon du jeu sous la peau, le vol dans le sang. Mais pas Vadim. Les phalanges démangent toujours, de temps en temps. Alors on dérobe à la volée, les montres, les tas de cartes de visite. Un paquet de cigares. Un jeton de casino. On retient aux lèvres les sourires pleins de gouaille, "Tu veux parier ?" bien trop frondeur. Jamais attrapé, le pirate des Balkans, le regard furetant sur les issues de secours, compter les gardes par acquis de conscience. Savoir quand se barrer. IV. Les fiançailles n'étaient pas vraiment heureuses, plus politiques qu'affectueuses, quoi que leur complicité fasse illusion aux yeux des autres. Elles ne sont toujours pas vraiment heureuses et on fait beaucoup moins bien illusion. V. Force des choses, lorsque le frère était Roi incontesté, on était chevalier à ses côtés, serviteur aux poings lestes et à la baguette capricieuse. Si le sort n'atteint pas sa cible, les phalanges le feront. Emhyr est duelliste sans l'être, combattant aux veines brûlantes. VI. On ment comme on respire, avec un talent qui n'est pas sans rappeler celui des corsaires de Sucuraj. La langue bien pendue, l'attitude bien trop assurée. On a des centaines, des milliers d'heures de pratique et, même si le poids de la couronne est trop important, jamais elle ne fera fléchir les genoux. VII. Angoisse au bout des doigts, on vit dans la peur d'être découvert, la crainte que l'illusion soit levée trop tôt. On a peur des explosions et des hurlements, mange la haine au bout des phalanges.